top of page

   comme un frère   

 

 

 

- I -

 

 

Malgré la pénombre relative il ne put ignorer l’état ravagé du jeune visage, l’arcade sourcilière ouverte, les pommettes marquées, un bout de lèvre saignante…il ne valait guère mieux sans doute mais ce constat, chez elle, lui déplut.

Foutu tempérament…et pire que tout : endormie.

Comme ça, quasi sereine, inerte à même le pavé sans plus s’occuper de rien. Et s’il n’était pas toujours là, lui, comment ferait-elle ! Le détail qu’elle fut ainsi en partie par sa faute s’estompait sous une colère sourde, elle n’avait pas à se vautrer dans l’inconscience de cette manière.

Un point c’est tout.

 

Elle, un garçon, tout de même ! Faisait-il des façons ? En avait-il pris des coups pourtant, peut-être deux ou trois fois plus, était-ce une raison pour après se laisser traîner à travers les routes puantes comme un enfant fourbu ? Une enfant gâtée, oui…

Oscar était bien trop nantie, voilà la vérité ; elle ne se rendait plus compte de sa chance à l’avoir comme souffre-douleur et il faudrait bien qu’il le lui dise, un jour, en face.

Il se pencha pour la regarder de plus près, l’écouter geindre sous la morsure invisible de la douleur.

Il en fut satisfait.

 

L’obscurité mangeait sa physionomie mais pas sa peau, qui brillait sous la lune rare de cette fin d’automne en une caresse n’ayant plus rien d’agréable, depuis de longues semaines. Tant mieux.

Qu’elle apprenne donc à être ce qu’elle n’était pas…qu’elle en paie le prix.

 

Ses yeux fâchés détaillèrent les paupières closes agitées de légers soubresauts, même son souffle tiède lui parut désinvolte. Aristocrate…Et lui, issu de la roture, devrait sans cesse subir ses sommeils égoïstes…Ah non, par Dieu non ! Qu’il l’abandonne soudain là, qu’elle se débrouille seule, enfin, voilà la juste leçon à lui donner à cette écervelée ! Ce petit caractère qui se croyait grand, sa constante morgue à n’en faire qu’à sa tête…

 

 

La bagarre avait été épouvantable, à casser les murs de la taverne.

Un lieu anonyme, repaire d’antiroyalistes et de quelques soldats de garnisons clairsemés, un lieu qui n’agit que par le silex des conditions modestes prêt à s’embraser à tout moment sous un regard, le ton d’une voix, plus que de son discours.

Très vite elle fut leur soleil de bataille, vers qui toutes les dévotions convergèrent.

 

Il faut dire qu’elle y avait mis du sien :

« Pauvres culs, alors, c’est comme ça que vous vous battez ?! Venez, mais venez bande de pourceaux !»

 

Et lui, jeune et fougueux satellite s’ingéniait à écarter ceux, c’est-à-dire tous, obéissant à l’injonction…

En vérité il avait été à deux doigts de les imiter, pas vraiment contre aller assommer lui aussi cet astre infernal, en ce qu’il le considérait comme l’expression du plus formidable mauvais caractère que la terre ait jamais produite. Pourtant elle n’avait rien fait bien sûr, ou plutôt l’essentiel : elle avait répondu. Contre leurs provocations elle s’était dressée, butée, assez magnifique et terrible pour qu’ils veuillent la détruire aussitôt de leurs poings, elle et sa noblesse d’égouts.

 

« Bande de putassiers !! » beuglait-elle, « Piétailles de merde, venez donc vous mesurer à moi si vous êtes des hommes !! »

 

Satané tempérament oui ! Exaspérante au possible, et particulièrement dans les tavernes de préférence à une contre vingt, car lui bien entendu, elle ne le comptait pas, tout juste si elle ne l’insultait encore plus que les autres en le voyant l’aider à remettre un peu de désordre dans l’ensemble, elle adorait tant tout faire elle-même.

« Répète un peu, toi, vas-y !! Venez donc !!! Venez tous !!! André mais foutrerie, je t’ai demandé quelque chose, va-t-en !!! »

 

En réponse le jeune homme avait envoyé deux inconnus casser une table, enchaînant sur un autre pour oublier à quel point ce personnage singulier l’agaçait. Oublier le fait qu’il se serait fait tuer plutôt que de laisser le soin à quiconque de la cogner à sa place, parce que cela c’était son privilège de gueux, celui de tous les jours.

Elle, qui se clamait homme, dont l’uniforme en berne ne protégeait plus d’aucune violence ni de crachats, acharnée, bravache, son rire sanglant jeté à la face du petit peuple pour lui dire que même morte, elle se tiendrait toujours debout.

Peut-être l’auraient-ils tuée, peut-être pas ; mais jamais elle n’aurait cédé.

N’ayant plus de choix André s’était alors offert le seul luxe qu’il eût jamais de toute son existence : brusquement il pivota et envoya un direct précis et traître en plein dans le joli menton.

Plus que de douleur Oscar avait vacillé, de surprise, en suspend avant de tomber tête la première. Complètement sonnée elle fut hissée sur une épaule compatissante et meurtrie, menée sans savoir comment vers la sortie, sauvée sans qu’elle le veuille.

Lui aussi devrait payer, sans doute.

Elle s’en chargerait évidemment, hurlerait sa rage à n’avoir pas été la plus forte, à cause de lui.

Quand elle se réveillerait.

 

- Oscar…

 

De mauvaise humeur dans cet endroit mal éclairé mais tranquille, à présent seuls, sous le froid des étoiles éclairant le pavé de Paris il la guettait, contrarié par son inertie.

A moins qu’elle ne fasse exprès de ne pas répondre pour déjà le punir… ce qui le contraria aussi.

Le fougueux militaire réduit à l’état de poupée de chiffon quand lui, André, détaillait ce visage sans aucune compassion.

Son visage…

L’espace d’une fraction de seconde sa brusque impulsion le préoccupa, l’autre fut sans pensée.

Juste apprécier la douceur fade du sang perlé, un souffle soumis au sien, l’érotisme confus d’un moment…

 

 

Le jeune homme se redressa, encore plus furieux, contre lui-même et ces étoiles diablesses, immobiles et glacées, où les odeurs putrides de Paris se faisaient également complices de quelque chose, évidemment ; tout le monde en fit les frais.

Le silence clément accueillit divers jurons, mais personne alentour n’en souffrit : les rixes étaient monnaie courante par ici, on ne songea pas à venir voir si les poivrots s’embrassaient maintenant.

S’embrasser ? Jamais ! ça, un baiser ?

 

D’une rudesse étudiée le jeune homme la rechargea, éveilla les chiens errants de paroles paillardes quand il reprit sa marche, des paroles viriles, décida qu’il n’y avait plus aucune étoile au dessus d’eux. Des hommes, allons ! Des êtres carrés de sentiments, si lisses, inertes en leur cœur et ne posant pas leurs lèvres à tort et à travers, qui se battent en sang jusqu’à leur mort, de vrais hommes oui !

Il ne s’aperçut pas l’avoir reprise entre ses bras, cette fois.

 

André s’offrit à la lune pour oublier cette autre pesant légèrement contre sa poitrine. S’accrochant inconsciemment à ce qui le blessait depuis un temps oublié, sa condition.

 

- Très bien Oscar. Je vais te soigner…comme un frère.

 

Une paillardise parmi tant d’autres, pas de douceur mais de la brutalité puisque ils l’étaient, des hommes, des frères de sang, des êtres lisses ! Froids comme le noir des rues…André se sentit méchant. Non pas ému, ni attendri ; juste satisfait d’être malheureux, presque aimant s’avilir à se soumettre à cette fille, contre lui, ce frère…

 

La servir. Il n’était bon qu’à ça. Il se détesta un peu moins, l’espace d’un moment à la détester elle. Enfin, ce baiser plutôt…

Pfeu, un baiser cela ? Il avait posé ses lèvres.

Sur les siennes ?

Peut-être, aucune importance. S’il en avait encore le goût c’était de son sang, pas d’autre chose. Oublié le frisson fugace, il n’en avait aimé que l’interdit à la rigueur, bien sûr. Jamais autre chose. Parce que ce n’était rien ce baiser, il n’existait déjà plus, et même pas du tout puisque personne n’avait rien vu.

Surtout pas elle.

 

Il l’entendit râler de douleur, peut-être à cause de ses mains trop fortement serrées pinçant sa peau. Exprès.

Cette fois, c’était la faute à ce visage. Ce qui venait de ne pas se passer était à cause de lui. Oui il le lui dirait un jour, en face.

Les étoiles absentes en étaient témoins.

Le domaine Jarjayes était à cette heure à peine plus accueillant que les rues, les domestiques couchés depuis longtemps laissaient agoniser le feu dans toutes les pièces de la demeure.

Domestiques…Ne l’était-il, lui, qu’il faille ramener à la vie et l’âtre et ce foutu Colonel, à toutes heures du jour et de la nuit.

Comme un frère, bien sûr…

Comme un homme en tout cas, de ses manières brutes et anguleuses il la mit sans soins sur le lit, jusqu’à la faire protester encore.

Bien fait.

Qu’elle eût mal lui plut beaucoup.

Peut-être parce qu’il en oubliait la sienne, de douleur, d’ailleurs regarder son propre visage dans le miroir immense au-dessus de la cheminée lui parut inutile et presque risible. Il ne se sentait plus d’importance soudain. Plus d’utilité si ce n’étaient ces tâches si banales, aussi vides que cette chambre.

Oui, il n’y avait rien ici. Pas de parfum. Pas…d’âme.

 

Ses mâchoires saillaient tandis qu’il jetait le bois, s’occupant avec conscience pour ne pas penser à ce mensonge ; ne pas se dire qu’il la détestait, cette chambre, justement parce que trop remplie de murs, barrée de ce qui précisément les séparait, eux, tous deux, hommes qu’ils étaient.

Cette chambre était la plus neutre qui fut, et de fait la moins virile qu’il eût jamais connue.

Parce qu’il n’y venait plus, et que le véritable domaine Jarjayes était là ; tout entier accroché à…elle, son frère.

Son cœur à elle était là.

Il alluma les chandelles, aurait bien voulu embraser le ciel pour fuir le malaise qui naissait en son sein. Le feu, l’eau…

Il pourvoyait à tout, quand l’air lui faisait défaut : il s’était trop battu. Et mal, comme à l’accoutumée.

Pensant à trop de choses, de celles qui durcissent les poings à se les faire saigner.

Ses phalanges étaient presque noires en plusieurs endroit, il les regarda pensif à la lumière naissante du brasier.

L’eau, se laver de toute cette souillure…

 

- Pu…putassiers, venez…donc…v…

 

Elle aussi avait mal. Même pas consciente, égoïste…cassée de fiertés dérisoires.

André hésita, releva la tête et observa au travers du miroir la forme qui s’agitait sur le lit. Et s’il n’était pas là…s’il partait tout de suite. La laisser tacher les draps de la manière masculine qu’elle souhaitait, et pas comme…

André jura en pensant à la femme ; pas à une mais à celle que connaisse tous les hommes quand ils y songent, la souillée, celle mariée qui perd en une nuit l’image stupide de cette fleur qu’on lui prête, ce sang qu’elles perdent. Toutes.

Sauf une, son frère.

Jamais elle. Jamais de cette façon.

 

Ses regards dévièrent, revinrent à lui-même ou plutôt son reflet dans le miroir, parce qu’il savait ne rien y voir.

La fleur écarlate occultait son visage. De l’eau…

 

Il aurait voulut qu’elle n’existât pas, cette forme blanchâtre derrière lui. Qu’il puisse se laver d’elle, que l’eau coule sur ses pensées et de ce trop d’oppression. Il n’avait plus mal, c’était pire. Il souffrait. Les entrailles à vif, ou à peine, il ne savait plus.

André versa un broc d’eau froide dans le lave-main, en versa trop, en renversa encore.

Il se sentait au bord d’un gouffre empli de détachements, à percevoir chaque seconde filer et suinter sur les murs de cette chambre.

De l’eau, qu’il renversa à nouveau sur la courtepointe en s’y asseyant trop lourdement.

Elle aussi, protesta.

 

- Oscar…réveille-toi, je t’en prie…

 

Tout aurait été si simple. Cette chambre et ses trop de tout, d’ombres et de non dit, de ce sang qui sourdait contre ces lèvres devinées…Ce n’était rien tout à l’heure. Certainement pas un baiser. Ce n’était rien sous ses yeux juste son frère, une nuit de bagarre aussi banale que le feu allumé et les chandelles hésitantes, tout autour.

Il fallait qu’il s’en aille, voilà tout, très loin.

Très vite, remplir sa fonction et partir.

Concentré tout entier sur ce visage quand l’écarlate développait ses pétales à lui broyer la poitrine.

La noyer, son frère. La toucher…

Oscar gémit, très peu. Un tout petit cri d’enfant.

 

Le sourcil reprit son tracé quand il en retira le sang coagulé mais la plaie, elle, martyrisa l’inconsciente. Il appuya trop fort, juste un peu trop, légèrement. Il fallait qu’elle paie, oui. De tout et de si peu, de ce vide qu’elle avait là, ce qu’il ne voulait regarder.

Qu’il imaginait depuis trop de temps. Plus bas…

 

Le nez, et la lèvre, encore ces gémissements qui lui faisaient plaisir ; cette douleur, qu’il attisait. Et lui ne s’aimait plus, parce qu’il adorait de plus en plus cette voix contrainte, à faire exprès de laisser peser sa main et ce linge froid désagréable, contre ce menton qu’il avait marqué. Sciemment, encore…

De quoi devrait-elle payer bon sang, d’habiter cette chambre interdite…

La jambe d’Oscar frôla sa hanche quand il reprit de l’eau, elle s’agitait.

Il fallait qu’il parte, et sa charge lui hurlait que non, le voilà le rôle détesté.

Rester près d’elle, à ce pire moment, où la faire gémir lui causait ce besoin inavouable tout au creux de lui-même.

Elle eut beau protester, et ne pas se réveiller, il continua contre son cou et ses cheveux collés irradiants de ce blond lourd et mûr qui le blessait.

Un soleil, elle, foutaises…

 

Les gouttes y perlaient, la mouillaient à peine cette chevelure, pour montrer qu’elle ne se laissait pas si facilement dompter, surtout pas par lui. Un soleil, bien sûr que non, Oscar ne l’avait jamais été, rien n’était bienfaisant chez elle à cette heure, elle ne le réchauffait pas. Il s’y brûlait. Même l’eau ne pouvait éteindre ce feu.

Oscar gémit plus haut.

Sa main venait de découvrir une entaille à l’épaule, elle se fit aérienne et distraite, lorsque l’autre écartait sans grâce les pans du col pour mieux la soigner.

Des gestes trahissant la dualité inavouée, la nécessité de choisir leur camp quand lui n’aurait jamais voulu le faire.

Force et douceur…ce n’était que son frère pourtant…comme lui ?

 

Il lui fit mal, encore, sur cette épaule blessée et puis brusque il jeta le linge mû pas l’impulsion déjà éprouvée dans la ruelle, empoigna la chemise pour la déchirer, l’exposer elle et sa douleur de manière complète et sans fard.

Secrètement grisé de son trop de pouvoir André regarda les bandages tachés, de longues secondes. Descendit impunément, et le regarda enfin ce vide ; celui, là, sous le tissu sale des culottes d’homme, constituant ce frère si différent des autres.

- Oscar…

Comme tout à l’heure sa peau brillait, parce qu’elle respirait, geignant, se débattant maladroite contre d’invisibles adversaires.

Et lui, le plus dangereux de tous par tous les diables pourquoi ne le voyait-elle pas ! Oscar, bon dieu !

Sans un regard pour lui, qui du sien dévorait tout sur son passage ; ses jambes, ce buste étroit, et sa voix d’enfant sourde, ses petits gestes inutiles, et tous ses gémissements, trop nombreux, si…

Il la regardait entièrement, sans plus bouger.

Puis revint vers le bassin si peu masculin, agité, se prenant à le voir vibrer sous un autre plus solide tant leurs mouvements devenaient…

 

- Ven…ez donc…bande de…d…

 

Même dans ses sommeils elle bataillait, un soldat, rien n’avait d’autre place. Ni personne, évidemment.

Et moi Oscar, moi !

Il se fit peur, soudain ; se sentit l’un et l’autre si affreusement seuls dans cette immense coquille vide, et André ne fut pas sûr de parler de cette demeure mais bien de leurs vies. Ce simulacre perpétuel de quoi pouvait-il accoucher sinon de deux écorchés d’âme et de corps, tels qu’ils l’étaient, maintenant ? Ne pourras-tu jamais te réveiller Oscar ! Pourquoi t’en remettre à moi lorsque je ne me sens plus la force, ouvrir les yeux et redevenir mon frère, hurler, te défendre, insulter ce que je fais ou ce que je suis, pourquoi ton inconscience Oscar, pourquoi maintenant ! Nous vivons côte à côte mais jamais ensemble, jamais ensemble comprends-tu, réveille-toi bon dieu, je t’en prie…

 

Il se pencha, l’appela durement, la pinça de sa voix sans aucun effet sinon de la faire gémir un peu plus.

Elle bascula son visage, lentement, vers l’arrière, chercha un souffle anarchique en y laissant sa voix, qui se brisa un instant pour aussitôt reprendre. Souffrait-elle tant que cela ? Ou bien…

Très fort attentif à cette bouche entrouverte le jeune homme mit du temps à en comprendre la cause.

Il lui fallut détourner les yeux, et revenir.

Là.

Où sa main se trouvait, sa main distraite, celle venue se poser sans qu’il y songe sur le vide intolérable, sur le cœur chaud, son cœur à elle ; celui palpitant entre ses jambes.

Le vide, le sexe de son frère qu’il tenait enfermé, l’éprouvant d’une tendresse inouïe tandis que son propre esprit vacillait, entraînant à sa suite toutes ses certitudes.

Parce que cette caresse, même à travers son sommeil, elle la percevait. Ne se battant plus, comme vaincue…éveillant d’autres gémissements presque comparables, des plaintes si proches de la souffrance que lui-même en avait été trompé, devenu bien plus inconscient qu’elle à les écouter.

Le visage tuméfié d’Oscar perdait de son inertie, et sa voix recherchait de plus en plus avidement la force de protester, si faiblement, si faible…

Un gouffre. André contempla ce corps discrètement tendu, n’y trouva aucuns charmes, blessé, trop féminin, trop mince et si peu fraternel, soumis…

 

La main d’Oscar battit l’air, s’abattit sur la soie du couvre-lit comme une aile d’oiseau fauché en plein vol, sa voix seule témoin de la nature du supplice.

Le jeune homme écarta la bassine, pressant davantage sa paume.

Sa voix bouleversante, des sons lascifs d’enfant endormi, et lui André, lui qui les écoutait, qui les regardait ces sonorités, les toucha presque de son visage.

Il se haïssait, mortellement, parce que se sachant incapable d’arrêter de les entendre il s’allongea à demi, en appui sur un coude. Il la voyait commencer à vivre, cette enfant insupportable, lui parla.

Collé à elle, son frère…

 

- …tu m’entends Oscar ? Pardonne-moi…de ça.

 

Il prit son temps pour embrasser le coup qu’il lui avait porté au visage, se fit pardonner maintes fois, puis assura sa prise de manière parfaitement consciente du tranchant de sa main au point qu’elle s’échappa de lui, de ses lèvres.

Sa tête se renversa un peu plus contre la soie en froissant l’ordre des choses par ses gestes. Cherchait un ancrage, comme on tombe dans un puits sans fond ; parce que c’était horrible ce qu’il faisait.

Elle le lui dit : elle écarta largement les jambes, sans savoir ; oui, horrible ce qu’il lui faisait…

 

Ce qu’ils faisaient tous deux, un simulacre comme le reste ? Tacitement accepté ou instant volé, pour André rien n’importait, il l’avait entièrement en sa main ce frère si fragile, il étreignit un peu plus ce qu’elle offrait, comme voulant incruster dans le tissu sa marque brûlante. Caresse plus intime ne pouvait s’imaginer et lui, osait…et sans douceur, au contraire il se laissait guider par le rythme de sa voix plaintive pour encore l’entendre monter, pour voir si ce bassin viendrait à la rencontre de ses attouchements.

Le jeune homme se redressa un peu au-dessus de sa gorge et des bandages sanglants, les bénit.

Il n’aurait pu supporter les voir ces seins de femme, elle qui n’en était pas une. Il n’avait en tête que le vide béant de ses cuisses, et ce qu’elle en éprouvait, et puis ces baisers à l’instant.

Il avait embrassé sa peau ; sans une once de lune froide alentour, sans témoin, sans personne à accuser sinon lui-même et cette taverne qui la lui volait, elle y avait laissé toutes ses forces. Frère de sang, bordel de dieu, qu’était-il en train de faire, il…

 

Une nouvelle pression et sa main, plus du tout négligente, s’activa de manière constante. Au travers du tissu peu de ses secrets intimes pouvaient y résister car il les découvrait tous, il touchait Oscar au plus vrai de son mensonge. Un homme…

Elle serrait ses poings sans une once d’inhibition, perdue qu’elle fut dans ses délires, sa fatigue, et ses envies.

Car elle en avait envie…André ne cessait de se le marteler ; elle aimait la folie qu’ils commettaient, oui…

Il observait ce corps se soulever par intermittence, n’en perdait aucune variation qui ouvertement le transformait de manière sensuel, le différenciait enfin en les dépouillant tous deux de cette ambiguïté sexuelle obsédante et larvée. Pourquoi ce soir, maintenant…à cause de la souffrance, de toute cette blessure physique si proche de l’acte païen qu’il mimait ?

Car sa main devait être intolérable de voluptés, la voix haletante le clamait, et tous ces gémissements, mon dieu tous ces gémissements comparables au supplicié demandant grâce, inaudibles, assourdissants...

 

Les paupières closes, s’entrouvrirent...

Tendue à l’extrême Oscar parut ouvrir la bouche autant pour quémander un souffle qu’une réponse, ou bien un soutien parmi son savoureux naufrage.

Paralysé le jeune homme parut s’éveiller, lui aussi, jeta un regard perdu sur son odieuse pratique; sa main si fortement serrée.

 

- Oscar, non…Je vais…

Le honte et la rage nouèrent sa gorge lorsqu’elle tourna la tête.

 

1.

 

 

 

 

 

pages   2.   3.   4.   5.   6.

 

 

 

bottom of page