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PERMIS DE JOUER

one shot

 

 

 

 

 

En règle générale, les mauvaises idées s’épanouissaient dans l’esprit d’André aussi aisément qu’une brassée de pâquerettes dans un champ.
Il avait beau faire, sa nature audacieuse le poussait à imaginer mille folies très peu conformes à son rôle de serviteur docile.

Et le soir venu, seul face à sa conscience, toutes ses belles promesses de mieux se comporter fondaient comme neige au soleil dès les premières lueurs de l’aube.

Il se fatiguait lui-même.
Pour sa décharge il avait tout de même un bon auditoire : ce qu’il y avait de pratique chez Oscar, c’est qu’elle voyait en lui tout sauf un serviteur docile. Au contraire elle râlait et tempêtait quand il mimait le bon petit compagnon d’armes bien poli, et adorait se lancer à sa suite dans une nouvelle élucubration. Et Dieu sait si le cerveau d’André en était fertile.

Comme ce jour où il fut question de débusquer un traître au Roi. En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, les deux compagnons se retrouvèrent grimés en mendiants pour mieux assiéger discrètement les abords de l'hôtel particulier du forban. Jusque là le plan du jeune homme était excellent, sauf qu’Oscar joua si bien son rôle qu’ils se mirent rapidement à dos toute la vermine du quartier, transformant le boulevard en théâtre de guerre civile. Quand les forces de l’ordre intervinrent et embarquèrent ce joli monde bien puant il fallut vraiment toute la ruse d’André pour éviter le scandale et préserver leur anonymat. L’énorme gousse d’ail et quelques faux chicots jouèrent pour beaucoup, sans compter des talents d’acteur qu’il se découvrit pour la circonstance, au grand ravissement de sa compagne : personne à la caserne ne comprit pourquoi ces deux gueules tordues sortirent en se tenant les côtes.

Enchantée par cette découverte, Oscar lui demanda peu après de jouer un jeune blanc-bec de marquis pour confondre une canaille de courtisan. Preuve qu’il n’avait pas le monopole des âneries après tout; il sauta néanmoins sur l’occasion, trop heureux d’aller faire le zouave dans le beau monde. Evidemment le tout fini en catastrophe, on dut fermer plus d’une semaine deux petits salons d’apparat à Versailles pour cause de travaux, sous prétexte que les lustres supportaient très mal de servir de balançoires. Le courtisan quant à lui avoua tout, hurlant comme un damné qu’il ne voulait de sa vie se retrouver dans la même pièce que ces deux-là.

Comment se décourager après la crise de rire qui suivit ? André se maudit mollement, puis de plus en plus faible, puis plus du tout. Au diable les conséquences, d’autant qu’Oscar se moquait éperdument des colères de son père qui ne manquait pas de superviser toutes ces fantaisies douteuses.

Oh elle était obéissante, oui ; et bien conforme aux espoirs qu’on plaçait en elle; en apparence.
En somme, tout était de sa faute, à elle. Dès qu’il lui voyait le front barré d’un pli soucieux comme souvent après ses confrontations paternelles, André se sentait en veine d’inspiration.

- Et si nous allions casser quelques gueules ? lança t-il justement un soir après une autre de ces convocations houleuses avec le Général.

Oscar envoya valser de sa botte un trognon de pomme dont les caniveaux de Paris étaient friand.

- Je ne suis pas un mauvais fils ! gronda t-elle. Je suis un militaire, redoutable et sanguinaire, quoi qu’il dise !
- C’est bien pour ça qu’il te convoque...
- Pfeuh, s’il croit m’impressionner avec ses menaces de disgrâce. Je partirai aux Amériques, voilà, qu’ai-je à faire des honneurs ou de la gloire !
- Et tu irais gratter un bout de sol pour y faire pousser des choux-fleurs...tellement toi, Oscar.
- Et pourquoi pas! Je ferais ce que je veux de mon existence, au moins...
- ...et tu t’y ennuierais sobrement. Allons, cassage de gueules ?
- Beuverie tu veux dire.
- Beuverie.
- Ça n’a pas l’air très drôle...
- Attends d’entendre la suite : j’ai un indice au sujet de ton affaire de faux témoins, se rengorgea t-il.
- Le Baron de Salettes? Impossible. Il est intouchable. On le soupçonne de comploter avec le clergé, les francs-maçons, les jansénistes ou je ne sais qui à propos de ces procès en sorcellerie. Toutes ces poules qui se roulent par terre en prétendant être possédées...il les fournit aux tribunaux et personne ne dit rien. Pire, personne ne sait rien ! Evidemment, cette pourriture possède une fortune digne de lui offrir les meilleures “actrices” pour compromettre qui bon lui semble.
- Hé, tu oublies que tu as devant toi LE meilleur acteur que Paris ait jamais connu ! J’ai mené ma petite enquête.
- Mmmh...et bien ?
- Je sais où il se “fournit” comme tu dis.
- Les filles ?
- Absolument. Un bouge, des courtisanes, tu vois le tableau.
- J’entrevois...ensuite ?
- Nous y allons en simples marchands, nous payons une tournée, puis une autre, les langues se délient...
- Une beuverie ! s’exclama Oscar le visage rayonnant. Il fallait le dire tout de suite !


C’était la meilleure mauvaise idée qu’il puisse avoir; empochant ce sourire comme nouvelle victoire André fut bien obligé d’admettre, quelques heures plus tard, qu’il avait omis un point d’importance. Dans ce trou à rat on y offrait un breuvage à la hauteur de la réputation de l’établissement. C’est à dire épouvantable.

Force fut de constater qu’après le troisième défi lancé à l’assistance, ils n’avaient rien récolté d’intéressant si ce n’était d’affreuses brûlures d’estomac et un tas d’amis infréquentables.

- Amenez la prune, qu’on trinque à la santé de...comment tu t’appelles déjà?

Oscar et André avaient depuis longtemps oublié leurs prénoms, celui qui gueulait cette amabilité également.

En réalité ils en avaient plusieurs assis en face d’eux, tous souhaitant pareillement trinquer à l’amitié nouvelle et au manque de prénoms réconfortant.

Voyant un alcool brunâtre émerger des l’arrière boutique, une sorte d’instinct de survie saisit le jeune homme.

- Il...il est temps de partir...dévida pâteusement André.
- Naaaaaan mais attends, voilà la ptite prune !
- Oui, justement. Osc...Hum...hé compagnon, il est tard !

Oscar reçut une tape “amicale” qui faillit l’envoyer en travers de la table, à la grande joie de l’assemblée.
Elle-même se mit à rire bêtement comme seuls les gens pris de boisson savent le faire.

- Allez heu...companion, la ptite prune ! hurla t-elle sous une bourrasque de claquements de langues approbateurs et de bravos. Hé...mais hééééé !!!

Il la tira par la manche et l’envoya vaguement en direction de la porte, ce qui la fit rire de plus belle. Ils atterrirent sur le pavé un immense cri de joie derrière eux, l’assemblée nageant dans la béatitude d’apprendre que ces deux-là leur offrait une nouvelle tournée générale.

- J’veux participer à c’que j’ai payé !! protesta Oscar pour la forme, tendant les bras vers une borne de pierre.
- Arrête, ... ils sont certainement tous en train de devenir aveugles avec leur prune !

La jeune fille arrêta son élan pour rire tout son soul. Le quartier était très animé malgré l’heure tardive. Des cris de couples parsemant ces rires paillards, l’odeur de graillon, les mauvaises viandes...tous lui tournaient la tête à dire vrai.

- Tu viens joli coeur ?

Le rire d’Oscar redoubla en considérant d’un oeil torve la dame qui venait de l’accoster, dans le seul but de monnayer des charmes disons....

- Nan mais tu as vu ? Elle est...elle est énoooooorme !!

André balbutia de glorieuses excuses en entraînant comme il put la jeune fille, riant lui aussi sans raison sous la bordée d’injures de l’hétaïre.

- Pas tant que ça...chut elle peut t’entendre, ce n’est pas gentil.
- Hein ??! Avec un seul de ses seins on pourrait défoncer la cabane à outils de Grand-Mère !

Ils s’arrêtèrent encore pour rire comme deux idiots, accrochés à leurs vestes respectives, du moins ce qu’il en restant tant le tout était entortillé et maculé de tache indéterminées.

- Et...et en plus elle m’a pris pour un homme...TU VOIS, PÈRE !!! HA !
- Mais tais-toi !
- Tout le monde se contre-fous de ce qu’on dit ici ! JE SUIS UN HOMME !!!

Un “ta gueule” et quelques cris de chiens surgis d’un taudis n’entamèrent en rien la joie d’Oscar, elle s’accrocha de plus belle à la manche de son “companion” pour le tirer en avant.

- En plus ce soir j’ai bu plus que toi.
- Oui mais c’est malin, on n’a rien appris...
- Pas grave, on reviendra cuisiner la grosse dinde demain soir...
- Mais arrête Oscar, enfin ! C’est une femme, même de mauvaise vie on ne parle pas comme ça d’une dame !
- Oh lalaaa, André monte sur ses grands chevaux ! Tiens, où sont les nôtres d’ailleurs...”Une dame”...non mais tu as vu comment    ces autres, là, dans cette taverne, léchouillaient les trognes des clients ?!
- Oui...j’avoue ce n’était pas engageant...
- Dégoûtant oui !
- Ils avaient l’air d’aimer ça.
- Pouah, tu aimerais ça, toi ?
- Moi ! Déjà qu’en temps normal ça n’a pas l’air très appétissant...
- Exactement. L’autre jour à la cour, un comte machin a fait la même chose avec un freluquet dans un couloir, j’ai failli vomir !

André s’arrêta net, comme déssoulé.

- Et tu ne m’as rien raconté ?! tangua t-il dangereusement. Non mais alors je sers à quoi, moi ! Si tu ne me dis pas tous les potins ce n’est pas drôle !

Oscar manqua s’étaler sur le pavé, vu qu’elle continuait et revira dans la foulée pour faire face au jeune homme.

- Ooooh lala mais tu ne vas pas bouder. J’ai oublié, c’est tout...
- Oui je boude ! Avec un freluquet en plus ?!! Ça devait être immonde !
- Ça l’est avec tout le monde. Tu aurais vu ça...
- Tu aurais pu m’en parler quand même...grommela André en reprenant son pas très approximatif. Moi je te dis tout.
- Oui, bon, excuse-moi. Ce n’est pas le genre de choses qu’on aime se souvenir non plus.
- Mouais...là je suis d’accord. Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à la fin !

Oscar s’écrasa le nez contre le dos de son ami, qui pilait de nouveau sans prévenir.
Ils observèrent une autre courtisane beaucoup plus jeune et plus mince, très absorbée par “l’activité” qu’ils dénigraient tous deux.

- Je ne comprends pas en quoi c’est intéressant... grogna t-il reprenant son chemin tortueux
- Quoi !
- ...cette chose, là. Se lécher la figure.
- Je suis d’accord. Pourtant ils le font tous à Versailles. Et à la taverne. En fait, partout.
- Ils sont fous.
- Ils se forcent alors, tu crois ?

Nouveau dérapage. Oscar se retourna vers un André des plus dubitatif et inspiré.

- Ça doit être ça, admit-il. Ils doivent penser à autre chose le temps que ça passe.
- Mais pourquoi le faire alors ?
- C’est ça que je ne comprends pas...Ici au moins on paye les dames, mais à Versailles...
- C'est bien ce que je dis. Ils sont forcés.
- Oui mais par qui ?!
- Bah je ne sais pas...leur parents ? Le Roi, ou bien la Reine, ou...
- Ton père t’as déjà parlé de cela, à toi ?

Oscar gratta sa tête houleuse. Malgré ses presque dix-huit ans personne ne lui avait jamais parlé de quoi ce que soit de toute façon, au domaine.

- Et toi Grand-Mère ?
- Non...

 

André tapa du pied en croisant les bras, exercice hautement risqué pour l’équilibre de l’ensemble.
- Non mais c’est quand même formidable, cria t-il, indifférent aux “ta gueule-cris-de-chiens” en retour. On a l’air de quoi, à présent!
- En léchouillant des figures on aurait peut-être appris quelque chose...hasarda Oscar.

- Exactement ! Il faut qu’on y retourne.
- Oui mais si on vomit ? On va se douter que nos parents ne nous ont pas forcés, ou la Roi, ou bien la Reine, ou....
- Morbleu, tu as raison...

Nouveau pli soucieux...La mauvaise idée ne pouvait qu’intervenir sous le crâne déjà très embrumé d’André.

- Attends, viens.

Oscar et lui se retrouvèrent dans un même mouvement contre le mur crasseux d’une ruelle.

- Il faut qu’on essaye avant.
- Quoi ?! exhala Oscar d’un souffle qui aurait pu allumer tous les becs de gaz alentours si ils avaient existé. Mais si on me reconnaissait !
- Tous le monde se fiche du Capitaine de la Garde ici. En plus on y voit comme dans un four, ça pourrait aider à penser à autre chose au contraire...
- Mmmmh tu as raison...admit Oscar en plissant les yeux. Bon, allons-y.

Ils y allèrent, mais en même temps. Leurs nez se cognèrent avec un bel ensemble, allumant une flambée de rires débridés.

- Il faut pencher la tête je crois...se souvint Oscar, plus très au fait de la réalité. Non mais pas tous les deux ensemble sinon ça va recommencer !
Ils pouffèrent comme deux porcinets, décidément très ivres.
- Alors ne bouge pas, j’y vais, moi.

André joignit le geste à la parole et plaqua résolument sa bouche.
La réaction ne se fit pas attendre.

- Mais c’est horrible !! cracha André.
- Pouahh !!  Répugnant, comment est-ce qu’ils font !! approuva t-elle en se frottant la bouche de sa manche frénétique.
- C’est humide, c’est...
- ...comme embrasser une planche moussue !
- Pire ! Je te préviens Oscar je ne retourne pas là-bas.
- Moi non plus. En fait ils sont fous tu avais raison ! BANDE DE MALADES !!

Ils rirent à gorges déployées et repartirent sous les étoiles, chantant haut, bras sur l’épaule pour mieux défier les quolibets des fous.

 


****



Ouvrant une paupière vague, la joue écrasée sur le banc de la cuisine du domaine Jarjayes, André calcula par la force de l’habitude qu’ils n’avaient dormi que quatre heures tout au plus. Lui, pour être exact. Il avisa Oscar qui ronflait toujours tête en arrière sur une des chaises, elle comme lui tels qu’ils s’étaient écroulés en arrivant. Ce qui tenait du miracle, puisque cela supposait être rentrés à cheval. Il n’en avait aucun souvenir.

Restant un moment encore à plat ventre, quelques bribes surgirent péniblement, dont l’immense fiasco de leur folle équipée. Comme démonstration d’habileté, on y repassera. Ah et puis...cette chose, aussi.
Détestable pratique ! Pas question de réitérer ce contact...gluant...pouak.
Lorgnant le ronflement conséquent, le jeune homme se demanda vraiment comment on pouvait perdre autant de temps à faire quelque chose d’aussi pénible.

Un craquement l’avertit qu’il venait de tomber. Vertu qui eut le pouvoir de réveiller Oscar, appelant très vite un râle de douleur.

- Ma tête va exploser...
- Moi, c’est fait....grogna André en se massant le bas du dos.
- Jamais plus je ne boirai de ma vie !
- C’est ce qu’on disait la dernière fois.
- Il y a quatre jours, je sais. Mais cette fois c’est vrai ! J’ai juste envie de mourir...

Ça aussi elle l’avait dit. Il remit de la vie dans cet endroit même si ce n’était pas son rôle, c’était heureux que les domestiques ne voient un tel naufrage. Bientôt affalés devant diverses victuailles très peu conventionnelles de si bon matin, le grand bol de lait chaud ne pouvait qu’appeler aux plans machiavéliques.

- Il faut y retourner.

Oscar leva les yeux d’épouvante.
- Pas ça, je vais vomir ! Tu as vu le désastre de...enfin de ce que tu sais !
- Tu t’en souviens au moins? Moi j’aurais mieux aimé oublier vois-tu...
- Pour ça oui, je suis d’accord. On n’y arrivera jamais...
- Voilà pourquoi il faut s’y prendre différemment : on se déguise en mendiants, on...
- Encore ? Et pourquoi pas en bouteilles de vin ?! Tu sais parfaitement que ça ne marchera pas ! Et puis...et puis foutre diantre, là, je ne vais tout de même pas me laisser mater par ces hérétiques ! Il faut qu’on recommence. Lève-toi.
- Quoi ?!

Lui aussi savait bien que c’était la seule solution, son cerveau si prompte à défier toute logique ne parvenait plus à fonctionner normalement de toute façon.

- On ne peut pas attendre l’heure du déjeuner au moins, je me sens déjà barbouillé...regimba le jeune homme en traînant des pieds.
- Si on ne buvait pas comme des trous ce serait déjà fait. Ils y arrivent bien, ces autres ! C’est quand même humiliant et je ne peux pas l’admettre.
- Mais c’est horrible...
- Arrête de geindre. Mets-toi là et vas-y.
- Pourquoi moi !
- Parce que tu es le plus grand. Je...je n’arrive pas à atteindre..., enfin bref, allez !

André soupira comme une forge. Sans les effets de l’alcool cela semblait encore pire. Il se planta devant elle, sans la toucher, sa mine parfaitement accordée à celle de sa compagne. Nez plissé de dégoût il se pencha en fermant les yeux, priant pour que tout ce qu’il venait d’ingurgiter reste bien intact. La réaction fut aussi vive que la veille.

- Mais comment font-ils bon sang de bois ! cria de nouveau Oscar en trépignant. Il n’y a aucun bon sens à s’imposer pareille engeance !
- C’est plutôt ça qui est humiliant, oui, le faire ! Tu vois bien qu’il faut trouver autre chose.
- Recommence.
- Ah non !!
- Une dernière fois, et reste plus longtemps, il faut y arriver.
- C’est au-dessus de mes forces...
- Moi aussi mais ce n’est pas possible d’abdiquer de cette façon ! Nous avons toujours tout vaincu toi et moi !

Il devina qu’elle parlait de cette enfance si particulière, de sa condition, de ses ambitions même. Et puis le pli soucieux était là, remuant toujours quelque force obscure. Il obéit. Cette fois il y alla résolument, bien virilement selon son idée, compta mentalement. Trois...quatre...c...

- C’est trop insupportable, j’abandonne ! s’écria Oscar, la bouche rougie par la pression.
- Parfaitement d’accord ! On n’a pas idée d’être aussi bête, pourquoi ne pas admettre que tout ces gens sont des crétins ?
- La terre entière ? Exactement, en fait ! approuva la jeune fille poings sur les hanches. André, tu es le plus sage de tous. N’y pensons plus : allons nous entraîner à l’épée puis nous aviserons.

Enfin un saine activité...
Soulagés, les deux compagnons prirent leurs armes malgré un mal de crâne galopant. Ils avaient l’habitude. La meilleure réponse à toute chose était de se battre, d’autant qu’ils se valaient largement l’un l’autre en habileté et en puissance à se jeu-là. Oscar répondit bientôt par la dextérité à la souplesse de son ami. Tous deux redoutables, ils ne lâchaient rien, jamais. Le cliquetis des lames s’enchaînait à un rythme infernal, bien habile celui qui aurait deviné les libations de la veille ! Jeunes et fougueux ils n’avaient que faire de ce qui n’était pas eux-mêmes.
Ils finirent par s’écrouler dans l’herbe, côte à côte, ivres de tant de talents.

- J’ai gagné !
- Foutaises, tu t’es battue comme une mule !

Un coup d’oeil et leurs rires éclatèrent de concert, cela aussi faisait parti du rituel. Oscar envoya une bourrade dans l’épaule puissante et resta immobile sous le soleil bienfaisant, écoutant un long moment leur deux respirations.

- Et si c’était nous, les fous ?
- Que veux-tu dire...

Elle se dressa sur un coude, observant le profil et les cheveux indomptés.

- Nous pouvons considérer que nous n’avons pas de parents, toi et moi.
- Moi, surtout.
- Tu sais ce que je veux dire. Quand on voit mon père...Personne ne nous a rien dit à propos cette pratique barbare, n’est-ce pas ?
- C’est un fait.
- Personne ne nous force, donc. Contrairement à tous ces autres.
- Oui et bien ?
- Il faut que nous nous forcions nous-même.
- Tu ne vas pas recommencer ! protesta aussitôt André à la face du ciel. Nous avons vécu vingt ans sans en mourir, nous pouvons bien en passer vingt autres à ignorer cette horreur ! Si tant est qu’on puisse vivre jusque là.
- Raison de plus ! Il faut juste s’entraîner à penser à autre chose à mon avis, voilà ce qui ne va pas.
- Et à quoi je te prie. J’ai déjà essayé tout à l’heure de garder l’intégrité de mon déjeuner, je ne pensais qu’à ça et c’était trop.
- Justement, peut-être qu’il faut penser à quelque chose...d’agréable ?
- Avec ce contact immonde ? Impossible.
- Mais les autres y arrivent bien, eux ! Il faut essayer.
- Non, non et non, je...

Entêtée comme une mule, assurément ! Elle roula sur lui malgré ses protestations bien senties.

- Bon Dieu mais tu pèses une tonne en plus ! Oscar, je ne recommencerai pas, je vais en avoir des cauchemars le restant de ma vie !
- Moi aussi je te signale ! Tant pis, tais-toi, arrête de bouger.
- Tu es vraiment exaspérante comme garçon, je te jure...

Les mouvements de recul étaient impossibles, cela pourrait aider...Oscar reprit l’équilibre sur un bras trois secondes plus tard.
- C’est désespérant, gémit-elle, le nez toujours plissé.
- Tu vois ? En plus j’ai mal à la bouche avec ces âneries. Maintenant dégage de là, je ne peux plus supporter ta grâce de pachyderme.
- Tu n’es qu’une femmelette André, voilà la vérité ! Tu te plains, tu te plains, tu te plains...
- Aïe ! Mais tu pinces en plus !
- Allez, une dernière dernière fois...
- Si tu le fais je te casse la figure, je te mmmmh....

Oscar se dressa comme si la foudre venait de courir sous la terre, et tout en le regardant la tenait commotionnée.

- Tu as...senti ? hasarda t-elle au bout d’un moment, appelant le hochement incertain de son compagnon.
- C’était...étrange, admit André. Différent, non?
- Plutôt oui. Quand j’embrasse tes lèvres juste un peu ouvertes c’est...comment dire...
- Recommence.
- D’accord.

Elle resta plus longtemps, plus que pour toutes autres tentatives.
- Alors...?
- Ça n’a pas de sens...articula t-elle finalement, une main dans l’herbe mais de l’autre écartant une des mèches brunes de son ami.
- Tu as envie de vomir ?
- Et toi ? J’ai toujours mal au ventre, mais c’est...enfin, je ne sais pas comment dire.
- Moi non plus...Recommence.
- Oui mais si c’était l’indice de très graves symptômes ? J’ai la tête qui tourne un peu aussi...
- Pareil. Nous avons trop bu, tant pis, vas-y.

Il la laissa faire sans trop intervenir, au bout de trois nouvelles pressions ce fut tout de même plus fort que lui : il ouvrit la voie à l’essence même du trouble qui tait son nom.
Il crispa ses mains contre le dos de la jeune fille sans s’en rendre compte. “Ce n’est pas normal”...dit-il vaguement en la retournant dans l’herbe, sans plus s’arrêter d’embrasser le coeur chaud de sa langue nouvellement découverte. Les secondes se liquéfiaient totalement sous le soleil de plus en plus ardent. A moins que ce ne soit autre chose ?

- Je ne me sens pas bien du tout...confirma Oscar tandis qu’il se laissait retomber à ses côtés.
- Comme moi, grogna le jeune homme.
- Les autres n’ont pas l’air si...enfin si...
- Impliqués ?
- Oui. Ça ne ressemble pas du tout à ce qu’on a vu hier. Ni aux autres à Versailles. Il...il faudrait peut-être qu’on se force encore plus. Qu’on pense très fort à quelque chose d’encore plus agréable. On doit mal s’y prendre.
- C’est aussi mon sentiment.
- En tout cas on peut retourner dans notre bouge dès ce soir et y glaner des informations, on ne vomira plus je crois.
- Sûr.
 - Aide-moi à me relever alors...

Debout, ça n’arrangeait rien. Ça ne se calmait pas.
Ils se regardèrent sans se voir, puis à la dérobée très intensément. Rien à faire. La nuit tombée paraissait ne jamais devoir venir, elle devenait à ce point abstraite qu’il était même urgent de se trouver une occupation. Isolée de préférence. André partit s’occuper des chevaux. Oscar dans le sens opposé, à remplir des documents qu’elle jugea très vite stupides. Après une demi-heure environs, elle jura. Et encore. Une troisième fois. Elle aurait bien continué mais buta littéralement contre son ami au détour du couloir de l’étage.

Leur “ J’ai un problème” fusa presque parfaitement synchronisé, les jetant sans même avoir besoin de se concerter dans l’un des deux grands salons dont les baies donnaient sur le parc.

- Je crois que je suis malade, assena aussitôt Oscar en faisant les cent pas.
- Moi aussi. C’est ce que je venais te dire.
- Je...je n’arrive pas à me concentrer.
- Moi aussi. Et j’ai terriblement chaud.
- Moi aussi ! Une sorte de...de...de fièvre ou je ne sais quoi qui m’empêche de tenir en place...
- Et de penser à quelque chose de cohérent.
- Voilà. Nous avons été contaminés par cette bibine !
- La prune ? Nous ne l’avons pas bu...
- Quoi alors !
- Ce type qui nous crachait dessus en demandant nos prénoms...
- Une sorte de peste ? Si vite, tu parles...et puis...et puis je ne me sens pas faible ! C’est tout le contraire.
Ma poitrine menace d’exploser...
- La mienne aussi !

Oscar suspendit ses aller et venues.

- Pourquoi tu me regardes comme ça ? dit finalement André.
- Comme quoi...
- Peu importe. Bon, restons calmes, raisonnons : nous avons attrapé quelques vermines, bien fait pour nous. Nous pourrions ne plus sortir le temps que ça passe mais ça ne va pas nous aider beaucoup.
- D’autant que...bon sang je vais devenir folle si je ne fais rien !
- Moi aussi.

Ils se regardèrent sans mot dire. Leurs poitrines semblaient faites de la même matière en fusion. C’est André le premier qui reprit vie, à tournoyer à son tour comme un animal en cage.

- Bien, quelque chose ne va pas chez nous mais peu importe. Il faut réfléchir à ce soir...se concentrer...qui va faire quoi d’abord ?
- Pardon ? sursauta la jeune fille, davantage concentrée sur la silhouette en mouvement.
- Qui va...enfin...qui va faire ce que nous avons...
- Oh, ça ! Oui ! Tous les deux je pense...
- Le faire ensemble ?
- Oui ! Enfin je veux dire : NON ! P...pas ensemble, en même temps, toi et moi...bon sang c’est une fournaise ici...

Elle ouvrit une des hautes fenêtres aussi adroitement que pouvait l’être son discours, revint, vira, ne sachant que faire d’elle-même.

- Nous allons faire notre...enquête chacun de notre côté voulais-je dire, articula t-elle d’un ton scolaire pour se redonner contenance. Je...par exemple nous rebuvons comme des trous, nous re-harponnons quelques unes de ces dindes qui adorent...faire ce qu’elles font, puis nous...nous...
- ...faisons ce qu’il faut, bref, nous nous forçons comme...tout à l’heure...
- Voilà ! s’écria Oscar, heureuse de l’intervention aussi consternante que la sienne pouvait l’être.
- Mais toi, Oscar...tu vas le faire avec une dind...une dame ?
- Et pourquoi pas ? L’autre avec son freluquet le faisait bien, lui, je ne vois pas pourquoi je n’y arriverai pas maintenant que nous...savons comment penser à autre chose pendant...que nous...

André opina de la tête, l’air si intensément concentré sur l’image qu’il parut avoir plus chaud encore. Il essuya d’ailleurs ses mains moites sur ses cuisses.

- Très bien, très bien. Tu seras...d’un côté et moi de l’autre...parfait. Oui mais...si nous sommes malades, nous allons contaminer tout le monde...
- Eux ? Leur prune a dû servir aux égyptiens pour conserver les momies. Je suis sûre qu’il faudrait les tuer deux ou trois fois de suite si ça tournait mal.
- Tu as raison...et puis nous ne toucherons personne au fond, il n’y a pas d’herbe où s’écrouler pour...
- Tout à fait ! approuva la jeune fille en s'essuyant mollement le front. Tu as raison de le préciser. Très bien, très bien. Nous..pouvons y aller je crois, non ? Refaire...heu faire ce que nous faisions...heu AVANT, juste avant cette conversation.
- Bien sûr, renchérit-il tout aussi vite, reconnaissant, marchant vers la porte.
- Je suis contente que nous en ayons parlé, enchaînait Oscar sur ses talons. Il est toujours utile de mettre au point nos...

Comme la veille elle buta contre lui mais ce ne fut pas son dos.
- Puisque nous sommes si malades, il me vient une idée...murmura le jeune homme d’une voix altérée au-dessus de son visage.
- Oui ?
- Peu de chance de l’être encore plus, n’est-ce pas ? Malades, je veux dire...
- Sans doute...répliqua Oscar, complètement distraite par ces yeux verts.
- Et bien voilà : tout à l’heure, j’avoue ne pas avoir réussi à penser à quelque chose d’agréable...en fait je ne pensais à rien.
- Moi non plus. Ce n’est pas la bonne façon d’agir tu crois ?
- Absolument pas. Je pense...je pense que nous manquons de...concentration.
- C’est très ennuyeux...approuva t-elle d’une voix mourante.
- Imagine que nous fassions n’importe quoi, ce soir. Qu’on nous prenne pour des idiots sans cervelle...
- Oui, évidemment...que devrions-nous faire selon toi ?
- Se forcer encore plus.

Elle répondit amplement à ce baiser urgent fondant sur son être entier. Et cela dura, preuve qu’ils perdaient toute notion de ce qu’était une seconde, désormais.

- C’est censé être aussi...dévastateur?
- Je ne sais pas...balbutia Oscar en s’écartant prudemment. C’est peut-être à cause de la fièvre. Tu colles de partout.
- Toi aussi.
- Je sais, ça devrait nous dégoûter...
- Complètement. Sauf que ce n’est pas le cas, en fait...en fait j’ai encore plus chaud qu’avant je dois dire.
- Moi aussi...


                                                                                                              ****

 



Les deux jeunes gens ne se seraient jamais doutés à quel point l’odeur du graillon pouvait être réconfortante, dans certaines circonstances. Puissante, insoutenable, musquée...cela permettait de ne penser à rien d’autre sinon de retenir sa respiration. C’était parfait.
Pétris de bonnes résolutions, c’est-à dire éviter de se tenir à moins de deux mètres l’un de l’autre et sans trop se regarder si possible, la salutaire perspective de réingurgiter des lampées d’alcool tombait à point nommé. D’autant qu’on les accueillit à bras ouverts, tout du moins ceux qui en avaient encore deux, largement minoritaires dans cet endroit. Les tournées se succédèrent bientôt aussi gaiement que la veille, à un détail près : Oscar n’avait pas du tout envie de rire.
Mais alors pas du tout.
 
La même chope traînait devant elle depuis son arrivée, on pouvait lui taper familièrement l’épaule ou la tête tour à tour, rien à faire. Et pour cause : aucune, mais vraiment aucune courtisane n’était venue vers elle, forcément, puisqu’elles étaient toutes littéralement amoncelées près d’une des colonnes branlantes du fond. Toutes autour d’André.

 

- Allez, boiz-y un coup...
- Merde...marmonna Oscar dans le brouhaha général.

Elle avait chaud. Toujours. En plus diffus, ce qui était pire.
Comment glaner la moindre information intéressante dans ces conditions ? D’autant qu’elle sentait monter une suspicion sournoise.
- Foutrecul, ton copain c’est quelque chose ! gueula t-on à ses côtés
- Merde à la fin...Quoi, comment ça “quelque chose”...c’est quoi ça d’abord, qu’est-ce que ça veut dire !
- Ben il a un paquet de dents, déjà, ça plaît aux gueuses y parait. ...’fin quand elles sont blanches comme ça, quoi, pas jaune pisse comme nous. Les dents, hein, pas les gueuses mouhaaaaaaaaa !
- Bon allez, ça va, allez vous faire pendre ailleurs...grogna la jeune fille.
- Pis il est gaulé comme un dieu, moi ch’suis pas mal mais bon, devant lui franchement, j’fais un peu peine, faut r’connaître.

Oscar considéra l’espèce de bossu aux dents toutes aussi branlantes que les colonnes du taudis.

- Merci de prévenir...renifla t-elle.
- T’as vu ? L’a qu’à sourire et zou, y s’en prend une sur les genoux...
- Oui ça va, j’ai compris !!
- Hé mais...toi aussi tu fais un peu peine, garçon, pas vrai ?! T’fais pas de bile, on peut pas lutter.
- Nom de nom vous pouvez arrêter de me souffler dans la figure, oui ? Et foutez-moi la paix avec vos...
- T’es jaloux, quoi, c’est pas un drame, mais perds pas ton temps on est hors concours jte dis avec ce gars.
- Merde ! Oh et puis tiens...

N’y tenant plus elle lui cassa la chope sur la tête, ce qui fit rire sa partie de salle. L’autre partie, la bien féminine, s’en contrefichait ouvertement...

- Vulgaires, oui...marmonna Oscar en constatant, qu’effectivement, les genoux d’André étaient fort prisés.

Elle haussa les épaules. Maintenant que la bière n’était plus là elle avait soif. Son bossu riait encore plus fort que les autres d’être aspergé de partout, chantant des “chuis le p’tit Jésus, chuis baptisé!” à tue-tête.
Bon sang de bon sang...
Quelle idée il avait eu, aussi. Revenir dans cet endroit...et si il l’avait fait exprès rien que pour les avoir toutes collées à lui, hein ?  T’en foutrais du comédien le plus palpitant de Paris !
Les yeux célestes s’assombrirent un peu plus : une de ces gourdes, assez jolies d’ailleurs, prenait d’assaut autre chose que les genoux d’André.
Sa bouche.
Sa bouche à lui, contre celle de cette traînée.

- Bordel de Dieu on n’a rien à boire ici ?! hurla t-elle sans raison.
- Ho, le mioche, la paix oui, ça arrive.
- Tu viens de dire quoi, là ?

Elle balança la table d’un coup de pied. Ça tombait bien, la fièvre se calmait un peu. Trois types s’en trouvèrent démunis et n’eurent pas l’air d’apprécier, ce qui tombait encore mieux. Bien plus réconfortant que le graillon, mais ça elle le savait déjà. Se battre était quand même le meilleur médicament qui soit sur terre !

- Tu m’as traité de mioche pas vrai ? Lève-toi.
- Ho, compagnon, tu nous payes à boire plutôt.
- Ta tournée tu te la fous au cul et tu te lèves!
- Non mais...tu rigoles hein ?
- J’ai l’air ? Soulève ta bidoche espèce de femelle mal dégrossie.
- Tu m’as traité de....foutre nom attends voir !

La partie qu’elle adorait. Pour être honnête ce n’était pas le premier à la prendre pour un morveux. Quand elle les dessoudait ils changeaient d’avis, rapides à se convaincre que le “mioche” avait un concentré de foudre dans les poings. Oscar se savait redoutable, à ça aussi elle s’était entraînée avec André...Une rage nouvelle la possédait. La certitude que seule l’autre partie de salle l’intéressait vraiment, dans le genre destruction bien entendu, motivait amplement le soin qu’elle mit à tout balayer sur son passage. Le patron eut beau hurler qu’il apportait à boire, au bout d’un moment ça devenait accessoire.

Pourtant, ça se calma assez vite, fait plutôt contrariant pour sa fureur. Songeant aux manchots elle comprit que la statistique était contre elle, la salle retombait comme un soufflé faute de combattants.
Sauf un.
Évidemment, face aux épaules dures là devant, la statistique en prenait un coup dans l’aile, comme à l’habitude.
La chemise à la diable, aussi blanche que son sourire en effet, de cette bouche qui...

- Tu ne pouvais pas t’empêcher hein, il faut toujours que tu viennes tout gâcher ! cria Oscar en tapant du pied.
- Quoi ?
- J’avais envie de me battre ce soir ! Je te demandais quelque chose peut-être ? Mais non, monsieur Grandier adore venir piétiner mes plates-bandes avec ses gros sabots ! Tu ne pouvais pas rester avec tes...tes poules, non ?
- Non mais tu as reçu le lustre sur le crâne ? Tu as fini de hurler comme un veau ?
- Oh alors là je te jure que tu vas en recevoir une dans pas longtemps !
- J’attends de voir ça : viens si tu es un homme.
- Mes...messieurs, vous pourriez allez vous battre dehors s’il vous plait ?

Les “poules” n’étaient pas bien loin, toutes réfugiées au fond de l’établissement et massées courageusement derrière le propriétaire des lieux. Personne n’en menait large pour tout dire, à part quelques chaises peu de chose tenait encore debout.
La jeune fille allait donner la réplique au pauvre homme quand elle avisa la petite courtisane si entreprenante.

Le tavernier tomba à genoux au premier de ses pas vers eux, jurant sur ses aïeux qu’il était prêt à sacrifier toute sa prune si...

- Toi ! Si jamais tu t‘approches encore de lui je te tue !

Elle aurait adoré retomber sur l’énorme dind...dame de la veille, sa réserve de répliques assassines n’en était qu’à son début de soirée. De coups de poings aussi, mordre ne l’aurait pas gênée non plus. Elle se sentait très mal. Énervée. Ulcérée. Et méchante.

Et en même rien de tout ça. Différente, voilà, malade à en cracher par terre, ce qu’elle fit aussitôt dehors.

- Tu vas me dire ce qui t’arrive ?
- Je n’en sais rien, je n’ai pas envie d’en parler !
- Oscar, arrête de marcher comme si le Diable était à tes trousses.
- Merde !
- Oscar !
- Quoi ! Tu vas m’en empêcher peut-être ? Ne me cherche pas, ce n’est pas le moment !

André ne misa pas excessivement sur l’indifférence apparente de l’endroit. Trop de témoins ici, le mot “folle” aurait eut l’effet d’un boulet de canon. Même près des chevaux le terrain de jeu n’était pas idéal. Nettement plus au domaine Jarjayes apparemment.

- Oui je suis folle et je t’emmerde copieusement ! répliqua Oscar à sa pensée clairement formulée.
Elle balança violemment les sangles et sa selle dans un coin d’écurie.
- Explique-toi au moins. Pourquoi tu t’es battue ce soir. Ce n’est pas ce que nous avions prévu. Qu’est-ce qui t’arrive, parle !
- Ne me donne pas d’ordres. Je te l’ai dit je n’en sais rien ! Et arrête de me tourner autour, tu m’énerves
- Tu n’es plus comme d’habitude.
- Parce que toi oui, peut-être ? À sourire à tout bout de champ devant ces laiderons...tu étais ridicule, voilà !
- Tu es soule ?
- La ferme.
- On ne se querelle jamais, alors pourquoi ce soir ?

Oscar envoya bouler une touffe de foin.

- Moi non plus, je n’y comprends rien, grogna t-elle en se calmant un peu. Je me sens...affreusement mal, et puis si tu veux tout savoir j’ai envie de te cogner aussi, voilà la vérité !
- Vas-y alors.
- D’accord.

C’était leur passe-temps favori, il n’y avait pas si longtemps ; un autre jeu où on ne réglait pas ses comptes, parce que là c’est bien ce qui s’amorçait au grand déplaisir de l’un et de l’autre

Les règles étaient simples : on cognait sans esquiver, tour à tour, jusqu’à presque tomber dans les pommes.
Ce qui faillit arriver à Oscar dès l’ouverture : au lieu d’encaisser ce beau serpent feinta et la prit résolument dans ses bras contre une des portes des stalles.

- Espèce de faux-jeton, ce n’est pas dans nos conventions, tu n’as pas le droit de changer les règles !
- Tu es brûlante...
- Raison de plus pour me lâcher !
- Non. J’ai besoin de comprendre quelque chose avant.

L’ardeur qu’il mit dans l’objet de son étude la rendit furieuse : sous ses baisers toute fâcherie devenait impossible. Elle noua ses bras et se laissa dangereusement porter par le charme évident de l’instant.

- Ce n’est vraiment pas normal...murmura t-il pourtant, s’éloignant.
- Qu...que veux-tu dire.

Il fit quelques pas, la regardant par intermittence.
Sa mine doucha immédiatement la faiblesse d’Oscar.

- Toi, tu me caches quelque chose et c’est particulièrement déloyal de ta part ! Surtout après...ce...qu’est-ce que tu voulais comprendre nom de Dieu!
- Il faut vraiment appeler le docteur Lassonne, demain. Avec toi...c’est différent, trop. Je ne comprends pas pourquoi, pourquoi à ce point je veux dire...

Les nuages noirs revinrent en force dans le regard de la jeune fille.
- Qu’entends-tu par là ? Tu veux dire que...ha mais ça y est je comprends : j’étais sûr que tu voulais retourner là-bas pour une raison précise ! Ça me semblait étrange aussi, cet empressement que tu avais ! C’est mieux de l’embrasser elle, n’est-ce pas ? Et bien vas-y, retournez-y puisque tu aimes tant ça ! Va lécher sa trogne pleine de pustules ! Qu’est-ce que j’en ai à foutre, moi, après tout, de tes...
- Non, ce n’est pas ça, répliqua André très calmement, comme énonçant un fait scientifique. Cette fille se collait à moi mais ça m’était égal, elle m’a embrassé, je crois ; je n’avais pas le coeur qui battait. Je n’ai rien ressenti. Je n’avais pas ce feu dans les reins, comme maintenant, je n’avais pas envie de l’enlacer sans plus vouloir la lâcher.
- Oh...Parce qu’avec moi...
- Depuis ce matin ? Tout le temps. Ça n’a pas de sens. Ce n’est pas...rationnel. Les autres ne se comportent pas de la même façon il faut l’admettre. Cette fille doit ressentir la même chose avec tout le monde, moi non. Il est évident que j’ai un problème.
- Oui, vu sous cet angle...grommela Oscar en tâchant de masquer l’onde fort plaisante courant le long de sa colonne vertébrale. Peut-être si j’essayais, moi aussi ?
- Quoi donc...
- Il doit bien avoir l‘équivalent masculin de ces courtisanes, non? Si je constate qu’en embrassant quelqu’un d’autre j’ai les mêmes symptômes, ce...
- Hors de question. Je crois que moi aussi je pourrais tuer.

Elle mâchonna ses lèvres face à la complexité des problèmes que causait cette foutue maladie.
Rentrons veux-tu, j’ai froid...finit-elle par marmonner, à cours de solutions.
Elle l’observa dans la pénombre de la cuisine, très vite absorbée par ses gestes, puis tout à fait distraite.

- Qu’est-ce qu’il y a encore !
- Pardon ? sursauta t-elle.
- Tu menaces de m’assommer et maintenant tu me regardes avec ce sourire vraiment douteux...
- Je ne vois pas ce que tu veux dire.

Il haussa les épaules et se pencha de nouveau pour attiser l’âtre, empilant une masse conséquente de petit bois dans la cheminée.
Elle n’eut pas le temps de réagir quand il vira exprès.
- Ça ne va pas m’aider si tu me détailles de cette façon, soupira le jeune homme, excédé. Et regarde-moi dans les yeux quand je te parle.
- T’aider à quoi ? dévida t-elle distraitement.
- Oscar, Oscar...essaie d’y mettre un peu du tien. J’ai été honnête avec toi. J’ai terriblement mal aux reins à cause de...peu importe. Peu importe. Peu importe ! Je suis fiévreux. Je suis malade.
- D’accord, excuse-moi ! Tu as faim ? Grand-Mère va avoir une attaque cérébrale quand elle verra son garde-manger mais tant pis. Attends.

Elle pilla tout ce qu’elle put trouver, ils s’étaient souvent écroulés en ronflant en procédant de cette manière après leurs sorties nocturnes. Manger ferait oublier l’inconfort des corps, ça valait bien d’autres traitements.

- Tu sais...je doute que ce soit une si bonne idée de mander le docteur demain matin, dit-elle la bouche pleine au bout d’un moment. A la vérité j’ai un peu honte de lui expliquer notre comportement et...Ne le prends pas mal mais je me sens mieux depuis tout à l’heure. Je ne sais pas pourquoi.
- Tu as de la chance...grommela t-il à l’autre bout de la table.
- Je sais que tu crois ne pas être normal, mais peut-être que je pourrais t’aider ?
- Toi ? Tu te fiches de moi, c’est ça ?
- Mais non écoute : à mon avis il suffit juste d’inverser notre stratégie. Nous pourrions penser à quelque chose de terriblement désagréable quand nous nous embrassons. Tu ne ressentirais plus rien et moi non plus ! Nous serions comme tout le monde.
- Moi, tu veux dire.
- Je n’ai pas besoin de me lancer dans des extravagances et embrasser n’importe qui pour savoir ce que je ressens, figure-toi ! Je ne suis pas aussi dépravée que toi. J’ai déjà vu Girodel allumer un feu, et ça ne m’a rien fait du tout. Il n’y a qu’avec toi. Tu vois, chez moi aussi il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.

André suspendit sa mastication.
- Tu as...quoi ? Quand !
- Un jour, à la caserne. Evidemment, si tu as une meilleure idée, ne te g...
- Tu fais du feu avec Girodel toi maintenant ?
- Mais qu’est-ce qui te prend, arrête de crier.
- Je ne crie pas, je demande, haussa t-il d’un ton. Et qu’est-ce qu’il a fait après ?
- Qui, Girodel ?
- Non, le Pape ! Il t’a demandé de venir mettre une bûche, histoire de détailler lui aussi ton postérieur ?
- Non mais ça ne va pas bien, cria t-elle à son tour en jetant son bout de saucisson, le rouge aux joues d’avoir été démasquée.
- Bah je ne sais pas, puisque tu as l’air de t’entendre à merveille avec ton Girodel tu pourrais l’embrasser lui aussi, pas besoin d’aller ramasser un pouilleux dans une ruelle !
- André Grandier tu vas la fermer immédiatement !
- Tu as raison : je vais me coucher. Mes amitiés à ton aide de camp.

Il grimaça un sourire suffisamment provocant pour l’entraîner à sa suite, encore plus furieuse

- Tu ne vas pas t’en tirer aussi facilement avec tes insinuations ! Je...je ne regardais rien du tout tout à l’heure et ce n’est pas “mon” Girodel, retire ça immédiatement !
- Tiens, voilà une autre bonne idée : dis-lui de retirer son pantalon d’uniforme pendant qu’il allume des feux, ça va te distraire !
- Je vais te fracasser la tête ! Arrête-toi !

Il obéit si bien qu’elle faillit se râper le nez à la porte close de sa chambre balancée à toute volée.

- André ! Ouvre et excuse-toi ! Je demande réparation !
- Va te battre avec TON Girodel ! hurla t-on. Et n’oublie pas tes bûches et ton allume-feu !
- Foutre de foutre !

Elle envoya un coup de botte dans le bois massif, évidemment impassible.

"Ça ne va pas se passer comme ça..."

Elle redéboula dans la cuisine, sortit en trombe puis considéra la façade avec la grâce d’une catapulte.
- Descends donc si tu es un homme !

Aucune réponse, bien entendu. Elle contourna l’immense bosquet de roses et de lauriers, attrapa la structure en fer forgé qui courait le long du mur pour les soutenir, se piqua sans rien sentir.
“Si tu crois que je vais me laisser insulter de cette manière ! “ hurla la jeune fille en progressant vers le balcon. “Tu n’es qu’un lâche...un gros lâche hypocrite et fourbe, un foutu serviteur malade de la tête oui ! Tu vas voir, je vais t’en foutre de la médecine moi, un traitement spécial fait maison tu m’en diras des nouvelles ! Tu vas en avoir de la bûche, tu peux me croire, et... aaaaaaaaah !!!”

Le juron suivant fut nettement plus confus. Nettement plus bas, surtout. Au bout d’un moment Oscar entendit vaguement un “mais qu’est-ce que tu fiches encore...” consterné, incapable de se défendre quand on la tira d’un enchevêtrement d’épines et de feuilles.
De fait elle mit du temps à comprendre qu’on la portait à travers les couloirs, cette nuit infernale menaçant de ne jamais finir décidément.

- Si jamais j’entends “tu es folle” je te trucide à mains nues...gémit-elle.
- Pourquoi dirais-je cela, mmh ? Quoi de plus normal que d’aller faire du jardinage passé minuit. Cela m’arrive constamment.
- La ferme.

Pur réflexe, elle n’était plus vraiment apte à l’insurrection. Plus aucune parcelle de son corps ne l’était.
- Dans quel état tu t’es mise...Tu n’as rien de cassé au moins ?
- Comment le saurais-je...Aïe ! essaya t-elle de bouger dans ses bras.
- Tiens-toi tranquille pour changer.


Il la posa sans ménagement sur le lit, à plat ventre.

- Dans ta chambre ? constata Oscar pour la forme, le nez déjà tombé dans les plumes de l’oreiller.
- C’est la seule qui soit chauffée ce soir. Oh mais j’oubliais, tu veux que j’aille chercher Girodel pour s’occuper de la cheminée de tes appartements ?

Elle lui dédia une grimace très peu élégante, auquel il répondit tout aussi gracieusement.

- Par pitié dépêche-toi, retire-moi toutes ces épines bon sang ! abdique la jeune fille. Je me sens déjà assez minable à devoir jouer les porcs-épics...et je ne veux entendre aucun commentaire, compris !

Elle tourna péniblement la tête tandis que rien ne se passait, assez pour apercevoir André un léger sourire aux lèvres.

- J’ai eu quantité de mauvaises idées, ce soir, bien plus que durant l’année entière je dois dire, soupira t-il à regret. Et celle consistant à retirer une à une toutes ces épines de ton joli postérieur serait assurément la meilleure de toutes. Je vais certainement le regretter mais il est préférable que j’aille réveiller Grand-Mère...
 

 

 


****

 



Malgré la douleur Oscar s’éveilla avec le sourire : désormais elle possédait un “joli postérieur”, acquisition aussi plaisante qu’étonnante. Et puis elle avait dormi dans ses draps. Elle se surprit à enserrer l’oreiller entre ses bras, il n’y avait aucun témoin pour trouver cela étrange de toute façon. Pas trace d’André ni de Grand-Mère. Quelle heure pouvait-il être ? Le jour filtrait entre les volets et la fenêtre entrouverte, l’air était encore frais.
Elle frissonna, aurait bien aimé courir les refermer mais son mouvement la fit gémir. Ah il était beau le Capitaine de la Garde, vaincu par un armée de fleurs batailleuses !

Par leurs piqures presque toutes distribuées à un endroit fort...stratégique, pour être exact.

Grâce aux baumes de Grand-Mère cela ne faisait plus trop mal à la vérité, son amour-propre en revanche la cuisait cruellement.

 

La jeune fille soupira en enserrant plus fort son petit compagnon de plumes, accablée par le souvenir des derniers mots de son ami. Un peu à cause de son sourire, aussi. Elle n’aurait pas renié son aide hier soir, pour tout dire...Elle noya sa honte en se coulant sous la couette malgré la pulsion sanguine l’envahissant toute entière à cette seule idée. Cette fièvre, encore...

A l’abri dans son refuge, Oscar ouvrit soudain grand les yeux à l’écoute des pas bousculant la quiétude de la chambre.

- André ?

Il eut l’air tout aussi ennuyé qu’elle, quand elle émergea les cheveux aussi disciplinés que les buissons de lauriers sous les fenêtres.

- Tu ne dors pas ? Je...je t’apportais juste de quoi manger. Je te laisse...
- Attends ! Ne pars pas si vite voyons...Nous...pourrions parler un peu.

 Il déposa son plateau, hésita un moment.

- Viens t’asseoir au moins, continua Oscar. Je ne vais quand même pas t’inviter dans ta propre chambre ! Où as-tu dormi au fait ?
- Dans ton lit, comment faire autrement.
- Ah oui, évidemment...approuva platement la jeune fille en se raclant la gorge, troublée. Je heu...c’est un peu absurde comme situation n’est-ce pas. Je tenais à te dire que j’étais désolée.

Il haussa un sourcil d’étonnement. Elle dégagea un peu plus le nez de sa cachette quand il daigna s’asseoir au bord du lit ; curieux cette envie de ne perdre aucun de ses gestes quand il bougeait, désormais.

- Je crois qu’en terme d’excuses je peux largement apporter ma contribution moi aussi...
- Ça, c’est vrai. Plus que moi, même.
Sa réponse carrée fit sourire le jeune homme.
- Tu ne changes pas. Tu...souffres beaucoup ?

Oscar repensa de manière fugace à son bossu : qu’avait-il dit à propos du sourire d’André, déjà ?
- Oui, beaucoup, dit-elle d’une manière distraite. Je crois que je préfèrerais oublier cette nuit affreuse à dire vrai, je ne sais même plus pourquoi j’ai dit toutes ces choses...enfin si je sais : cette maudite fièvre qui nous troublait l’esprit sans doute.
- Et...cela va mieux ce matin ?

Elle ouvrit une bouche stupide tandis que leurs regards s’accrochèrent, se firent plus lourds, s’ancrant l’un dans l’autre sans plus pouvoir se dérober. D’un coup les battements de son coeur dansèrent la gigue. De mieux en mieux, maintenant il n’était même plus nécessaire qu’il s’approche de trop près pour créer la catastrophe.

- Oui évidemment, c’est tout à fait parti à présent...murmura t-elle en butant presque sur chaque mot. Tu...peux me passer ce verre d’eau s’il te plait ?

Il se leva soudain, tendu, contemplant assidument son bras sorti de la carapace bouillante. Ses griffures étaient-elle donc si horribles ?

- Tu..tu es nue ?
- Les baumes de Grand-Mère auraient beaucoup moins bien marché sur le tissu de ma veste tu sais ! Evidemment que je s...

Elle se tut, les joues carrément tomate en réalisant brusquement la tension qui émanait de lui. Exactement la même que la sienne, en fait. Ce n’était donc pas à cause des griffures...

- Je vais...je viens de me souvenir que j’ai une tonne de choses à faire aujourd’hui. Demain aussi. Et les autres jours.
- Hé, mais...attends !!

Elle jeta un regard noir sur la porte précipitamment refermée puis envoya un coup de poing à l’innocent oreiller sous elle.

“M.... !”
Réfléchir...voilà qui devenait pratique, avec pour seule envie de courir à sa suite pour le rattraper.

A la place elle s’écroula lamentablement sous cette couette décidément volcanique, un sentiment de manque impitoyable lui broyait l’estomac.
La pauvre Grand-Mère en fit les frais, deux heures plus tard. L’humeur d’Oscar si plaisante au réveil, avait eu le temps de virer à l’orage maussade. Deux heures...comment pouvait-on supporter deux heures sans pouvoir s’énerver contre lui, le toucher, le cogner,...l’embrasser en ne se concentrant sur rien ? Elle fut infernale. Maugréant sans raison, critiquant chacun des soins que la brave femme lui prodiguait, sans compter ces baumes dont l'inefficacité n’avait d’égal que la puanteur.

Au bout de la troisième puis de la quatrième visite de la journée, la jeune fille ne se gênait même plus pour ne plus desserrer les dents, ni bonjour ni un regard, rien.
De nouveau seule elle retrouvait le parfum d’André tout autour, et cela donnait un peu envie de pleurer. Ridicule. L’après-midi tirant à sa fin elle consentit tout de même à reprendre un peu d’empire sur elle-même.

- Ton petit-fils n’est qu’un crétin...marmonna t-elle.

Oui, chez Oscar la notion de peine passait toujours par une humanité incroyable.

- ...il ne voit jamais rien que le bout de son grand nez, continua t-elle sur le même ton. “Oscar, Oscar !” singea t-elle, “j’ai besoin de comprendre quelque chose !” et il me laisse après ce...Un crétin je te dis ! Je ne peux quand même pas tout faire non plus ! Il passe son temps à s’enfuir ; c’est moi qui voulais lui casser la figure après ses âneries sur Girodel, ce n’était pas une preuve, ça ? Hé non, Monsieur fait sa pintade en s’enfermant dans sa chambre. Et il insiste, prétextant je ne sais quelles occupations, c’est lui qui devrait être à mon service en ce moment, oui ! La première chose que je ferai en sortant d’ici, c’est d’aller lui envoyer mon poing dans la figure, c’est très exactement ce que je vais faire. Ça lui apprendra à...
- Pourquoi ne le fais-tu pas tout de suite?

Nouveau coup au coeur. Elle en oublia d’avaler sa salive.

- De...depuis combien de temps tu es là ? souffla t-elle du fond de son oreiller après plusieurs secondes, d’une toute petite voix en réponse à celle on ne peut plus grave.
- Depuis que Grand-Mère s’est écroulée dans mes bras en pleurs en te traitant de méchante enfant. Ce sur quoi je suis amplement d’accord.
- J’ai été si terrible que ça ?
- Pire. Remarque, la moitié de bouteille d’eau-de-vie y a peut-être contribué : Grand-Mère a toujours eu l’ivresse larmoyante.
- Tu as...quoi ?!
- Ça me semblait un moyen plus doux que de l’assommer. C’était la seule solution pour venir t’admirer sans conséquence fâcheuse. D’ailleurs, tu devrais toujours faire semblant de croire que je suis une vieille femme chenue.

Cette fois la jeune fille manqua s’étouffer, ce qui revenait au même au fond, rabattant d’un coup sec draps et couette-cuirasse en se retournant.

- Je sais, tu me défonceras le crâne après, approuva André en l’embrassant sans transition.

Un long, vraiment très long baiser, rallumant d’un coup tous les signaux d’alarme. Il ne semblait pas vouloir bouger quand ce fut fini, à demi-assis au dessus d’elle son sourire couronnant le tout.

- Tu te déguises en ami d’enfance mais tu es un voyou de la pire espèce, en vrai...hocha t-elle la tête en cherchant son souffle. Dis-moi très vite que tu as fermé les yeux pendant que tu étalais cette foutue crème...
- Non.

Elle parvint à reprendre un semblant de réflexion, levant la main vers la joue du jeune homme en fermant son poing.
- Dis-moi très vite que tu vas partir de cette pièce, alors.
- Non. C’est toi qui te trouve dans mes appartements, te ferais-je remarquer. Selon toute logique ce serait donc à toi de sortir.
- Mais j’en ai bien l’intention ! Ôte-toi de là.
- Non. Si toutefois tu veux passer outre je dois également t’avertir que j’ai jeté tous tes vêtements par la fenêtre.
- Ho...tous ?
- Tous. Tu souhaitais que nous parlions ce matin, non ? Eh bien causons...

Le traître. Il paraissait avoir pris de l’assurance depuis le début de leur ”maladie”, et ça lui allait fort bien.
Elle renonça au coup de poing.

- Tu devrais être mort de honte André Grandier, pour ce que tu as fait à ta pauvre parente. Et à moi encore plus. Je suis maintenant à ta merci sans plus pouvoir sortir de ce lit, fiévreuse, blessée...
- Tes blessures sont tout à fait charmantes si cela peut te rassurer, dit-il en embrassant l’index accusateur qu’elle agitait devant lui. Quand à ta fièvre...j’espère bien qu’elle est aussi terrible que la mienne, en ce moment même.
- Je ne vois pas du tout ce que tu veux dire. Je ne suis pas malade. Je ne dérobe pas les vêtements des gens, moi.
- Tu allumes plutôt des feux avec les imbéciles, c’est vrai.
- Pourquoi es-tu revenu...
- Peut-être pour venir mettre mon grand nez dans la chaleur de ton cou ?

Elle devinait son sourire sur sa joue.

- Pour être franc je n’ai pas dormi du tout...chuchota t-il tout contre son oreille. Tu me hantes à ne plus pouvoir même manger normalement.
- Tu ne l’es pas, normal, de toute façon. Et je suis sûre que tu m’as menti : tu as fait boire à Grand-Mère la bouteille entière n’est-ce pas ? Elle va reprendre conscience dans deux jours la pauvre.
- Comment me connais-tu si bien ?
- Ton regard torve. Lorsque tu trouves une de tes mauvaises idée, ton oeil droit clignote.
- Calomnie. J’avais juste envie de retrouver la douceur de mon lit...et tant pis si il est occupé par une divine créature, je ferai contre mauvaise fortune bon coeur.

Elle le repoussa pour jouir de la vue de ce si beau garçon, un peu intimidée par l'harmonie de l’ensemble tout de même.
- Je dois faire peine à voir...maugréa t-elle, repensant un bref instant à la courtisane et ses fanfreluches tapageuses.

Elle fut étonnée face à l’incroyable lascivité qu’elle dégageait, quant il lui tendit un miroir d’un air entendu. N’étant pas spécialement attirée par les femmes, elle n’y trouva pas d’intérêt particulier. André semblait d’un autre avis.

- Donc là, maintenant, tu as sommeil c’est cela ? articula t-elle tandis qu’il se relevait.
- Incroyablement.
- Et...et tu retires toujours tous...tes vêtements quand tu dors ?

Elle déglutit avec beaucoup de difficulté à la vue des hanches étroites et des larges épaules qui émergeaient.

- Non. Là, c’est tout à fait inhabituel je dois l’admettre...

Il se pencha sans hâte pour ramasser ses effets, à la seule fin de faire admirer son fessier si...prisé par son amie. Il ouvrit la fenêtre et les jeta dehors avant de se retourner.

- ... je dois secourir un compagnon d’armes.  Il n’a pas beaucoup de succès avec les femmes vois-tu, je vais lui prouver qu’il se trompe.
- Je n’ai...pas besoin d’être secourue ! s’exclama Oscar face à cette très spectaculaire nudité masculine.
- Qui te dit que je parle de toi ? observa t-il en lui dédiant un clin d’oeil malicieux, se glissant à ses côtés.
- Tu n’es pas fréquentable, André ! Sors donc de là ! Tu ne vas quand même pas...
- ...te prendre dans mes bras ? J’ai quantité de choses à me faire pardonner. Et à vérifier aussi.
- Bon sang mais je ne suis quand même pas une grenouille sur une table de vivisection ! Retire tes mains ! Je...je n’aime pas beaucoup la façon que tu as de “vérifier”ce qui te tracasse sans mon accord.
- Vraiment ? Il s’arrêta à quelques centimètres de la veine palpitant son cou. Ce que je te propose n’est pourtant que pur travail de fond : allons-nous réussir à penser à quelque chose de désagréable suffisamment longtemps ? Ou allons-nous très vite manquer de concentration...

Sa peau était fraiche, tout comme sa main sur son sein, caressé avec grande délicatesse.
- V...vu sous cet angle, en effet...Mais si tu crois que cela excuse tes manières...embrasse-moi pendant que je cherche un châtiment adéquat...
- Je te jure que je vais faire bien plus, promit André en l’enlaçant.

 

 

FIN

 

 



 

 

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