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LE SANG DE MON ENNEMI

ONE SHOT

 

André était un monstre.
Au sens premier du terme.

Enfin, il le devenait plutôt : a
ucun doute là-dessus !

Tout avait commencé durant ce mois de novembre, très exactement le tout dernier dimanche, par une nuit sans lune.
De sa botte le Capitaine de la Garde envoya bouler un morceau de chou qui trainait dans le recoin sombre lui servant de cachette : pourquoi diable tout partait en quenouille dès qu’on causait astronomie ! Impossible de faire un pas dans la tragédie sans voir débouler cette morveuse : et que je te fasse mon intéressante, et que je brille dans la nuit avec un halo orangé pour annoncer les pires plaies et cataclysmes à travers les siècles.
Oscar haussa le épaules.

Si elle avait été un astre quelconque, elle, ça aurait eu tout de suite une autre classe : elle leur aurait balancé une bonne trempe au travers de la trogne à ces humains stupides, pas besoin d’allumer les clignotants pour prévenir.

Elle aurait eu le croissant perfide, et cela aurait évité pas mal d’enfantillage.
Au lieu de cela elle devait se geler les os comme une pauvresse dans ce trou à rats, ce qui avait nettement moins d’allure.

Tout cela à cause de la Bête. André.

Le matin même de cette fameuse nuit, pour une raison quelconque elle avait brusquement levé la tête, sa question de stratégie militaire à jamais coincée dans sa gorge : son ami de toujours l’observait, sans mot dire, comme si sa subsistance en dépendait. Depuis combien de temps ? Elle aurait pu dire “combien d’années” si cette perspective ne lui glaçait un peu les sangs.

Pâle comme la mort oui, et ses yeux, bon sang ses yeux...trop brillants, trop...

Ce qui suivit ne la rassura pas, bien au contraire : tandis qu’elle allait et venait sans sa chambre tenaillée par le doute et l’insomnie, des bruits au dehors marquèrent le début du cauchemar. Il fallait bien se rendre à l’évidence  : André s’échappait du domaine, nuit après nuit. Parce qu’elle l’avait suivi, hé, comment faire autrement ! C’était son âme soeur tout de même...enfin elle ne savait plus trop, sa constante présence ne lui avait jamais permis de réfléchir à ce sujet puissant, il était là un point c’est tout.

Pas besoin d’aller déterrer un crâne et cogiter aux secrets de l’existence en louchant sur lui, c’était déjà bien assez agaçant comme cela de constater que tout se fissurait.

Où allait-il, foutrecul, voilà ce qu’elle essayait de découvrir depuis maintenant presque un mois  ! Un mois...c’était long tout de même, bien assez pour élaborer un solide système de défense face à l’horreur de plus en plus imminente. Elle en était sûre.

Quelque chose de terrible se préparait...oui, c’était pour ce soir.

Au fond elle jouait les espions uniquement pour la forme, chaque nuit tout se passait à l’identique : André escaladait le mur de leur domaine pour ne pas faire grincer les grilles et éveiller les chevaux, puis s’engageait d’un pas urgent dans les quartiers populaires du vieux Versailles ; il laissait derrière lui les mendiants et toutes âmes vivantes.
Cette ruelle déserte enfin, et la petite porte basse mal ajustée...

Oscar avait évidemment menée l’enquête sur cette façade crasseuse de la rue du Belvédère, avait appris par Girodel qu’elle abritait la tanière d’une vieille femme à la réputation plus que douteuse selon les gens du quartier. Dans quel sens ? Mystère. Personne ne souhaitait en dire plus sous une menace aussi floue qu’implacable.
La tentation de mettre le jeune homme devant le fait accompli avait été forte, si ce n’était sa transformation physique et morale : pâle...irritable, secret...était-il en danger ? Ou sous l’emprise de quelque drogue concoctée par la vieille folle...
Non, Oscar fut très vite persuadée qu’il s’y rendait en pleine conscience. Comme si il avait hâte au contraire de s’éloigner d’elle pour rejoindre cette mystérieuse inconnue, chaque jour un peu plus distant, le regard ailleurs, si loin...ces taudis regorgeaient peut-être de passages dérobés pour rejoindre la campagne avoisinante...pour quelques rites inavouables ?

Sa conviction s’était affermie le surlendemain : elle avait prétexté des manoeuvres dès l’aube et réclamé la présence du jeune homme à ses côtés. Le résultat fut sans appel. Plus pâle que jamais, les traits tirés, il avait grimacé face aux rayons du soleil inondant le salon comme sous une douleur insupportable. Puis l’avait plantée là sans sommation.

Par tous les Dieux !
Tenaillée par d’affreux soupçons Oscar sollicita de nouveau Girodel, qui semblait plus que ravi d’apporter son concours. Oui, il possédait une des plus fameuses collections privées de livres anciens de la région, et oui nul doute qu’un ou deux ouvrages sur la démonologie devaient s’y trouver.
Elle prétexta un grand marasme théologique pour justifier pareille demande, André était son monstre après tout, pas besoin d’ameuter les villageois et leurs fourches.
Enfin pas encore...

Alors, voyons...pâleur, fatigue, irritabilité, yeux fous et hantise du jour...
Oscar s’était relevée tel un ressort, le livre à ses pieds.
Un vampire ! André devenait la pire engeance qui fut, comment en douter !

Bon sang, que faire à présent ? Elle fut tentée d’aller déterrer un crâne tant les spéculations et la marche à suivre promettaient d’être complexes. On ne se débarrasse pas d’un suppôt de Satan comme d’un clou dans la botte, d’autant que les symptômes se confondaient allègrement avec ceux des loups-garous.
On ne savait que choisir, et si elle se trompait dans le mode opératoire d’éradication, le monstre devenait furieux et se transformait en archidémon. Le bouquin était formel. On serait bien avancé, après, si Versailles se trouvait soudain enseveli sous une morve méphitique, pire que celle des courtisans.

Non, non, il fallait des preuves, forcer la Bête à se démasquer. Et puis l’auteur le spécifiait de manière catégorique : si le sujet tolérait encore la présence de ses congénères c’est qu’il n’avait pas achevé sa transformation. Oscar ne pouvait nier que le jeune homme formulait toujours un discours cohérent, fait de mots humains en tout cas. Sous peu il ne s’exprimerait plus que par grognements et hurlements en marchant à l’envers ou quelque chose de ce genre. Quelque chose de pire, évidemment.
Et, encore une fois, les transformations de vampires marchaient de concert avec les phases de la lune : comment s’étonner qu’on la retrouve encore dans le cou, cette gorette !
Seulement la pleine lune, c’était demain.

Oscar sortit prudemment de sa cachette. Tout était comme elle l’avait lu : le possédé se trouvait une victime, en l’occurence cette vieille bonne femme - comme il était réconfortant de penser qu’elle était vieille ! - puis il attendait patiemment de la rendre consentante jusqu’à la nuit fatidique où elle accepterait d’être mordue. La relation de confiance était très importante. Ainsi naissait le vampire, ou le loup-garou, ou la goule, offrant son âme à Satan en une mort éternelle jusqu’à trouver une autre proie.
Elle, peut-être ? Comptez là-dessus mes mignons, hors de question qu’elle serve d’escalope au repas des maudits !

Et il fallait aussi tirer André de ce guêpier...elle devait bien avouer que cela la contrariait méchamment de devoir le partager avec un quelconque cornu.

Bon.
Il fallait procéder par ordre.
Le jeune homme ne bougerait pas de là-dedans avant une bonne heure.
Il revenait invariablement au domaine au coeur de la nuit, s’absentant et rentrant quand personne ne l’observait.

Une belle surprise l’attendrait cette fois-ci !

En fin militaire Oscar avait réellement tout prévu, elle était non seulement fière d’elle-même mais heureuse de se sentir une férocité à toute épreuve.
Au fond, le combat contre le Malin était une guerre à sa mesure.

Avant tout, il était important de définir contre quoi on allait se colleter : ce n’était pas la même chose d’exploser le crâne d’André avec une balle d’argent ou de lui balancer un pieu en plein coeur ! Eventuellement les deux, elle connaissait son ami d’enfance : le jeune homme faisait rarement les choses à moitié.

Son intelligence allait faire merveille.
Elle vérifia le tout avec une extrême minutie, presque fébrile que le temps ne passât assez vite. Tout était en place, ne manquait plus que l’acteur principal. Tapis dans l’ombre, juste derrière le poêle, elle attendit.

Comme à l’habitude la porte grinça quelque dix minutes plus tard, et comme à l’habitude il jeta sa veste contre un dossier de chaise puis releva ses manches de chemise pour s’activer devant l’âtre. Les mêmes gestes, nuit après nuit.Un feu timide surgit bientôt, la jeune fille ne voyait que son dos mais elle devina l’effrayante pâleur, à la veille de devenir...ÇA.

Il frotta ses mains. Évidemment...son sang devait déjà se transformer en eau glacée. Allez, ouvre donc le garde-manger...
C’était une grande armoire normande à double porte, haute de trois mètres, dont il n’extrayait jamais de nourriture comme elle l’avait constaté avec étonnement, cachée telle qu’elle était en ce moment même. Non, il se contentait d’y prendre une bouteille et buvait, seul, assis face au feu, retiré en lui-même...autre preuve ! Les vampires ont toujours froid.

André ne dérogea pas; il s’avança et tendit la main, lentement....geste immédiatement suivi par un juron formidable : de la porte ouverte se déversait un véritable torrent de gousses d’ail agressant André de toute part, ce dernier s’ingéniant à surnager parmi cet océan. Oscar tandis le cou, pleine d’espoir.
Aucune brûlure intolérable, aucune roulade sur le sol assortie de grognement putride ! A la place une réaction désespérément...humaine.

- Bon sang de foutre de bordel à cul ! répéta t-il. Mais qu...Grand-Mère, je te jure que tu vas m’entendre, demain !...elle est capable d’avoir acheté ce fatras par charrette entière juste pour économiser deux sous ! Je t’adore mais que soit maudite ta radinerie Grand-Mère...oh oui tu vas m’entendre...et où est le vin...

Un chapelet de jurons bien pires accueillit l’ouverture de l’autre battant : un flot tout aussi fourni se déversa sur son crâne, d’une nature nettement plus..improbable.

Et alors, cette transformation, ça venait oui ? La jeune fille faillit taper du pied de contrariété. Très bien, son sang n’était pas encore une bouillasse glacée, mais tout de même ! Girodel la regardait maintenant de travers à cause de cette commande saugrenue.

A qui d’autres, aussi, demander une centaine de crucifix sans éveiller les soupçons, et voilà que cela ne donnait aucun des résultats escomptés !

Là, évidemment, difficile de mettre ça sur le dos de Grand-Mère...Oscar se terra un peu plus dans l’ombre en voyant André lancer une des croix à travers la pièce et regarder en tous sens comme pour trouver un gamin à rôtir. Il s’énervait, c’était peut-être ça, le signe...

Bon, la partie n’était pas totalement perdue.

Tandis qu’André sortait en trombe la jeune fille mima le geste : VLAM ! Voilà, maintenant il venait de faire connaissance avec la corde à noeuds tendue en bas de la porte. Curieux...à part les jurons montant encore en puissance il n’avait pas la bave aux lèvres. Oscar commença légèrement à douter de ses sources. Pourtant, la corde à noeuds c’était imparable contre les vampires ! zut...
 

Elle le vit se relever, examiner le dispositif comme si il allait commettre un meurtre, le suivit à pas de loup puis compta de manière appliquée : un, deux, trois...il montait le grand escalier maintenant...treize, quatorze...il tournait sans doute, le couloir oui, voilà...seize, dix-sept...

Un fracas épouvantable déchira la nuit, là haut. On y était ! Oscar bondit, enfin prête à voler au secours de l’âme du mécréant, une main crispée sur le pieu et l’arme à sa ceinture. Crève démon, tu vas voir ce qu’il en coûte de t’attaquer à mes amis d’enfance !

- Toi, tu vas m’expliquer ce que tu fabriques depuis un mois et pourquoi tu cherches à me tuer, tout de suite ! Quelle est la raison de cette sinistre farce !

Oscar se fixa sur les premières marches, le regard figé sur un André pas si pâle que cela, pas transformé du tout et trempé jusqu’aux os. Une partie de sa chemise avait largement glissée sur un de ses bras, elle le collait en fait de toute part vu que le tissu était à tordre, rendant le tout encore plus embarrassant.

Aucune corne à l’horizon...et il ne marcha pas à l’envers en descendant en trombe les marches du grand escalier non plus.
Sa colère en revanche était on ne peux plus terrestre.

- Depuis des semaines tu te comportes comme une folle, Oscar ! Crois-tu vraiment que je ne remarquerai pas tes filatures, tes regards en dessous, et...et maintenant, ÇA ! L’ail c’était toi aussi sans doute, ce bordel en cuisine, la corde...et pour finir ce seau d’eau au dessus de la porte de ma chambre qui a failli me fracasser le crâne, c’est ton oeuvre n’est-ce pas ? Tu as interêt à me fournir une explication cohérente ou tu vas te retrouver avec mon poing dans la figure !

En fait, c’était vraiment pire vu de près ; certainement parce que son propriétaire dégoulinait aussi, cela animait la chemise de manière coordonnée.
Oscar réagit par réflexe, le regard ailleurs.

- Je...heu...hein ? Non mais...c’est...c’est parce que... ? Et puis d’abord...

Elle ne sut trop ce qu’elle baragouina, tenaillée par la contrariété que rien ne se passait plus comme dans le livre : très bien, d’accord, il n’avait pas réagit comme elle l’imaginait. Mais c’était censé lui causer un tel sentiment, à elle, de le regarder ainsi la menacer de précipiter sur sa tête les murs du château en représailles ?

- Je peux savoir ce qui te fait sourire ?  Je suis très loin de trouver ça comique  au cas où tu ne l’aurais pas remarqué ! Je vais me servir à boire maintenant, j’en ai besoin. A la cuisine et tu m’expliques, immédiatement !
- Euh, je...il n’y a plus d’alcool à la cuisine...je...j’avais besoin de place...
- Bordel de Dieu ! Oscar ! Mais pourquoi as-tu fait ça !
- Je...j’ai crû que tu étais...enfin que tu devenais quelque chose...un vampire, voilà. Ou bien une goule. Ou un loup-garou je n’étais pas sûre. Tes cheveux sont trempés, cela te change...Tu as l’air plus...enfin moins...
- QUE JE...QUOI ?! Alors l’ail, les crucifix...non, ne me dis pas que c’était de l’eau bénite tout de même ?!
- Euh, si...Bonté divine, même ton pantalon est mouillé...
- Où. Est. L’alcool.

Il l’avait saisie au col, pas le moins du monde concerné par l’état général de sa mise. Ses boucles sombres goûtèrent sur le visage de la jeune fille, mettant définitivement le feu aux joues de cette dernière.

- D...dans le bureau de mon père. Je...tu es fâché ?
- Tu as intérêt à avoir une bonne histoire. Viens par ici.

Balançant le seau à toute volée il lui saisit rudement le bras et l’entraîna à sa suite, Oscar décidément toute retournée par sa capacité à prendre ainsi les choses en main. Sitôt arrivé et presque dans le même mouvement il la catapulta dans un coin et se saisit d’une bouteille, en lampa une large rasade au goulot puis se dirigea ver le foyer mourant. De sa botte il réveilla sans soin les cendres à l’agonie et les aspergea du liquide, le feu manquant l’enflammer d’un coup. A peine s’il y prit garde...Captant l’éclat assassin de ses yeux verts, Oscar eu la nette impression qu’il hésita entre la bûche et elle-même pour alimenter le brasier, le bout de bois sortant vainqueur d’une courte branche.

- Alors ? J’attends.

Finalement le livre n’avait peut-être pas tort...on y parlait de transformation, non ? Et bien voilà, André était...
La jeune fille émit un borborygme approbateur : bon sang mais quel spectacle !

- Oscar, mais tu es soûle ou quoi ?!
- Pardon ? Oui...je ne sais pas, la tête me tourne...non ne bouge pas, là devant le feu tu es très bien, enfin ta chemise est très...
- Oui, vas-y, moques-toi à présent, singea t-il en se saisissant rageusement du tissu mouillé. C’était cela ton plan ? Me ridiculiser une fois de plus ?

Oscar fut reconnaissante de trouver un fauteuil, juste derrière elle. Elle s’y affala tandis que son ami se retrouvait sans rien jusqu’à la taille, toujours peu disposé à partager son admiration hébétée. En vérité elle ne parvenait plus à cesser de sourire, juste à le regarder, tel qu’il était, avec ses allers et venues de fauve face à ellel.

- Quelle est cette histoire de loup-garou, vas-tu t’expliquer à la fin ? Qui t’a mis ces inepties en tête, parles ! Girodel ? Fersen ? Un autre que je ne connais pas ?
- Qui ça...je, non...non...

Il reprit une gorgée, ravageur comme un troupeau de diables. Incroyable comme le manque de vêtement lui seyait !
- Fort bien. Tu n’as donc besoin de personne pour être stupide, voilà qui me rassure ! Pourquoi me suis-tu depuis des semaines alors.
- P...parce que...

Elle aurait bien aimé un peu de ce vin elle aussi. Sa tête était encore plus mal rangée que  son discours, les pièces de cette demeure, la tenue effarante de son ami. Grand dieu, elle se trouvait face à une bombe humaine, plus démunie que la pire des ingénues, à peine si elle se souvenait comment ils en étaient arrivés là ! Ah oui...

- Je ne te suivais pas du tout....c’est toi qui devenais, qui es...
- ... une abomination ? Tu es folle ma parole. Définitivement.

D’habitude Oscar n’aimait guère qu’on lui jette à la face le mot “folle” plusieurs fois dans la même soirée, pourtant elle n’eut envie de taper sur personne. Elle s’affaissa un peu plus, comblée.


- Oh bon sang Oscar ôte ce sourire infernal de tes lèvres ! je me retiens déjà bien assez fort de ne pas te briser cette bouteille sur le crâne.
- Je suis désolée...mais, et si tu cessais de crier pour commencer ? Enfin non, n’arrête pas, cela va mieux avec le reste finalement...
- Le reste ? Quel reste ? Tu es folle. Tu es stupide. Je ne sais même plus quoi dire ! Pourquoi suis-je censé me transformer en vampire je te prie ?
- Je...heu...ta hantise du soleil le jour où je t’ai demandé de venir avec moi aux manoeuvres, tu te souviens... Voilà la preuve.
- Ma...Non mais quelque chose ne marche vraiment pas correctement dans ton cerveau, Oscar !
- Ta pâleur...tes escapades nocturnes...
- Une mauvaise fièvre due au brouillard de l’automne petite idiote, voilà ce que j’avais !  Je n’arrivais plus à respirer normalement la nuit. Même le docteur Lassonne se décourageait de me guérir. J’ai eu recours à une rebouteuse, c’est elle qui m’a soigné.
- La femme que tu allais voir? Alors ta fatigue...
- Des insomnies !
- ...et ta peur du jour.
- La fièvre me consumait, Oscar !
- Des... pourquoi ne m’as-tu rien dit ?
- Comme si je...comme si cela t’intéressait encore, siffla t-il. Il faudrait déjà que tu sois là : il n’y en a plus que pour ta charge, tes missions, ton Fersen...

La jeune fille eut comme une commotion tandis que son ami remettait une autre bûche : elle se prit à penser que les bottes et le pantalon étaient vraiment de trop dans cette conversation dramatique. Il avait raison, quelque chose n’allait pas très bien dans la région de son cerveau !

- Fersen ? dit-elle d’une voix absente. Mais...tu n’es donc pas au courant ?
- Que vous vous voyez chaque jour, que vous passez des heures entières ensemble ? Si vois-tu, je suis au courant.
- Qu’il est amoureux de la Reine, idiot toi-même. Et que Sa Majesté m’a demandé de faire en sorte que leurs entrevues se passent...le plus discrètement possible.
- Comment ?! Alors tu n...Tu mens, ce n’est pas possible !
- Une guérisseuse dis-tu...mais...Le livre disait qu’elle devait donner son sang pour accomplir le rituel !  Je n’y comprends plus rien.
- Le livre ? Quel livre !
- Celui que m’a prêté Girodel, il...
- Ah, j’avais raison ! Girodel...le misérable. Alors c’est lui et pas Fersen n’est ce pas ?
- Lui quoi.
- Ton amant ! C’est lui ?
- Tu...tu ne voudrais pas recommencer à marcher comme tout à l’heure ?

Oscar était dans un brouillard total, délaissant de plus en plus la moindre rationalité : elle venait d’aviser les formidables vertus de l’eau bénite sur le fessier de son ami.

- Je vois clair dans son jeu, ce séducteur de bas étage, évidemment...maudit soit ma condition...et toi bien sûr qui ne peux que...quand cela a t-il commencé, je veux savoir !

La jeune fille quitta précipitamment la contemplation du tissu sombre épousant si avantageusement sa colère.

- Que je...pardon ?
- Ne joue pas les innocentes, veux-tu ? Il n’y a qu’à voir ton air d’extase lorsqu’on parle de lui !
- Oui...certes. Quand on parle de qui ?

Elle eut soudain son visage  au-dessus du sien.

- Que tu me prennes pour un vampire, passe encore. Mais pour un imbécile...ça je ne te le pardonnerai jamais.
- Mais...mais où vas-tu maintenant !
- Me coucher. J’ai froid.

Oscar s’extirpa comme elle le put de son fauteuil, tant ce regard furieux réduisait ses fonctions vitales à néant.
- Tu ne vas pas aller te rhabiller tout de même...enfin je veux dire te coucher ! protesta le jeune fille. Inutile de te fâcher pour si peu.
- Tu te comportes comme une écervelée. Va donc le rejoindre et laisse-moi tranquille.
- Mais rejoindre qui bon sang ! cria t-elle à son tour en tentant de reprendre le fil de la conversation là où elle l’avait laissé, c’est-à dire dès le début.
- Cesse de te moquer de moi, Oscar.
- Je ne me moque pas ! Bon sang ne peux-tu arrêter de courir à travers les couloirs, laisse-moi t’expliquer au moins...
- Cela fait dix-minutes que j’essaie d’obtenir une seule phrase cohérente de ta part ! A présent cela suffit.

Il pila devant le seuil de ses appartements, là où l’accueillait une énorme flaque d’eau. Aiguillon supplémentaire sur la culpabilité très relative d’Oscar : elle se confondit de nouveau en excuses en n’y prêtant aucune attention, son cerveau droit toujours désespérément fasciné par les hanches du jeune homme, ses épaules humides, ses...

- Je crois vraiment que je vais te casser la figure Oscar, si tu ne sors pas d’ici sur-le champ ! grogna t-il en se dirigeant vers les lambris du mur. Va donc tourmenter un autre suppôt de Satan je te prie.
- Non, André ! N’ouvre p...

Dans le silence le plus total, la penderie révélée délivra le piège ultime.
Oscar, confondue, ne put que contempler le désastre : trois gigantesques sacs de sable cachés là par ses soins venaient de se déverser sur le jeune homme entier.

Main sur la bouche, la jeune fille mit quelques secondes supplémentaires pour reprendre vie.
- Oh mon Dieu...je...je suis désolée André, ce n’est pas ma faute je te le jure ! C’était juste...au cas où l’eau bénite ne marcherait pas, le livre disait qu’il fallait du sable pour détourner  l’attention du vampire : il est alors obligé de compter chaque grain tu comprends, ça m’aurait donné le temps de t’assommer et de trouver un moyen de ne pas t’enfoncer un pieu dans le coeur... Et...et...

...et un fou-rire inextinguible la posséda quand elle avisa le tas minuscule qui tenait toujours au sommet du crâne du jeune homme retourné vers elle, immobile, poings sur la taille. Il en avait partout, dans les cheveux, sur sa peau mouillée, sur le peu de vêtements qu’il portait, le reste lui enserrant les bottes jusqu’à mi-mollet.

- Pa..Pardon, pardon, pardon, ne me regarde pas avec ces yeux-là ! articula t-elle complètement hilare. Je ne me moque pas je t’assure, je te promets je vais tout arranger, je s..

Une attaque fulgurante et elle se retrouva plaquée contre le mur, menée sans ambages à une bouche ardente de la façon la plus nette et virile qui fut, sans sédition possible. Surprenant André...

- Tu...tu m’as embrassée, articula t-elle au bout de quelques secondes avec ravissement. Tu n’es plus fâché ?
- Si. Mais je vais recommencer.

Ses hanches pesèrent sur les siennes à chaque mouvement de lèvres, son corps lourd contre le sien. Elle voulut toucher ses épaules dures mais il ne lui en permit même pas l’accès. Il ramena ses poignets contre elle, décuplant tout autant sa surprise que son désir en lui défendant tout mouvement qui n’était celui qu’il décidait.

- C’était très imprudent de me suivre jusqu’ici, Oscar, très imprudent.
- An...André. Tu es...si
- Changé ? haleta le jeune homme contre sa joue. A qui la faute...
- A ces quelques grains de sable apparemment, qui t...
- Pas quelques, 367.256. 692 908 exactement.

Elle mit du temps à comprendre, laissant errer son regard absent sur le tas de sable, derrière eux, et cette chevelure de nuit désespérément soyeuse contre sa joue.

- Alors c’était vrai...Je n’étais pas folle, je le savais...

Elle y laissa voluptueusement tomber les mains dès qu’il investit la région de son cou, et le lobe de son oreille en particulier. A peine si elle prit garde à la déchirure de sa propre chemise tant ses baisers devenaient anormalement agréables. Le timide André, si sage, si...

- Et moi qui vais devoir te tuer maintenant...et les croix, l’eau bénite...cela ne te fait donc rien ?
- Du folklore, grogna t-il sur son épaule
- Pourtant le livre disait qu...
- J’ai demandé à Girodel de ne pas te donner les bons ouvrages.

Oscar regarda avec effarement sa poitrine mise à nue et l’éclat diabolique du merveilleux sourire, si fier de son oeuvre.
- Girodel ? Mais alors...depuis tout à l’heure c’est toi qui te moquais de moi ?
- Je te tentais, plutôt. Et cela n’a pas eu l’air de te déplaire.
- Girodel, mon Dieu il...
- Oui, lui aussi. C’est même lui qui m’a “converti”. Ce que je peux faire pour toi à mon tour, si tu le désires...
- Tu veux que je deviennes une morte-vivante ? gémit-elle sous la caresse de ses mains sur ses seins.
- Non. Une déesse. Puissante. Terrible. Invincible...

Il s’agenouilla, déjà en dévotion. Davantage pour la débarrasser de ses armes inutiles, et du reste de ses vêtements qui l’étaient tout autant.
Nue contre ce mur, contre ce “monstre” soudain relevé, comment penser ?

- Il est d’ailleurs regrettable que tu n’aies lu que ces fadaises, ajouta le jeune homme. Outre la puissance, je dois t’avertir qu’un vampire possède des capacités sexuelles tout à fait hors normes...c’est même la clé du rite d’initiation. Le vrai rituel, pas toutes ces sornettes à propos de cordes à noeuds. Quoique je puis en faire un tout autre usage...La morsure doit être faite au plus fort du plaisir charnel. Non, rassures-toi, je n’ai pas fait l’amour avec ton lieutenant ! rit-il en captant le regard scandalisé et perdu. Cela ne vaut que pour ma  compagne, celle qui sera mienne pour l’éternité.
- Qui sera tienne...
- Tout comme je suis à toi, n’est-ce pas.
- Non...mais non enfin ! Ça n’a pas de sens, je n’ai aucune intention de me laisser transformer en...en être baveux !
- En ai-je l’air ? susurra t-il d’une manière suave.

Elle crut déjà tomber entre les doigts venus sur sa toison, couplés par le baiser qui voltigeait tour à tour sur sa joue, sa tempe, ses cils. Ils dérangèrent méthodiquement dix-huit années de chasteté, son autre bras heureusement là pour la soutenir.
Avec fascination elle contempla les canines anormalement longues soudain, le rendant un peu plus sublime et dangereux. Toute sa physionomie l’était.

- C’est tout de même très extrême cette histoire d’éternité...gémit-elle, éperdue par les pressions incessantes fouillant chaque secret.
- Certes : je vais devoir subir ton infernal caractère jusqu’à la nuit des temps.
- Tu me le paieras ! Je crois que je vais te tuer. Vraiment te tuer. C’est mon devoir. Tu es un monstre...Et cesse de faire ce qu...

Oscar ouvrit soudain grand les yeux, terrassée par le vertige lacérant ses jambes.

- Mors-moi, supplia t-elle comme on dirait je t’aime, l’attirant brutalement contre son cou.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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