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OEIL POUR OEIL

   fantaisie en 3 actes   

 

 

Acte Premier

 

 

 

 

- Oscar, je n’en peux plus ! Elle me gratte…

- Tais-toi ! Et essaye de penser à autre chose.

- Crois-tu que ce soit si facile, bon sang ! Tu ne voudrais pas me soulager un peu ?

- Es-tu fou ?! Cesse donc de te plaindre ou tu vas nous faire remarquer.

- Comme si on ne l’était pas suffisamment…

- Je ne te le fais pas dire. Alors tais-toi !!

- Mais c’est insupportable, je ne tiens plus, moi ! Et elle me serre en plus.

 

Le fier Capitaine de Jarjayes se tourna, au comble de l’exaspération. Et détailla sans aucune aménité celui qui se tenait là…ou,

plus justement, CELLE qui se tenait là.

 

- Bien et alors, s’emporta Oscar, où cela te gratte t-il !

- Aaaah, merci Oscar, soie bénie…regarde, c’est juste là…

- On verra plus tard pour la bénédiction. Tourne-toi.

 

L’aimable conversation se tarit sur un soupir extasié et le hululement d’une chouette, étrangement similaires, non loin du bosquet où se cachaient deux bien étranges silhouettes.

Un jeune homme, mince et blond, d’une rare élégance.

Et une musculeuse dame de compagnie fort attirante pour qui est aguerri à la séduction hors norme.

En vérité il était aisé pour un œil plus attentif de deviner la fourberie élémentaire : le contenu ne correspondait pas au contenant. En plein jour tout du moins, et à quelques centimètres des intéressés car pour le moment, en ce minuit dans un jardin français, le stratagème fonctionnait à merveille : un militaire faisait sa cour à la plus plantureuse des jeunes femmes, si tant est qu’on puisse nommer ainsi le fait de lui frictionner furieusement le dos avec ses doigts. Et de l’injurier au passage, le tout à voix basse.

 

- Quelle brillante idée j’ai eu, je te jure ! Cesseras-tu de gigoter ainsi ! Tu soupires comme une forge, André, je me demande même pourquoi je t’ai demandé la discrétion : va donc frapper à la porte du Cardinal de Rohan, ameute ses gardes tant que tu y es et qu’ils t’embrochent, par tous les diables !

- Inutile de donner dans le sarcasme, ma chère, soupira derechef l’interpellé en laissant s’épanouir un sourire. Et puis je voudrais bien t’y voir, toi, dans un accoutrement pareil. En effet, brillante idée ! Grand-Mère a failli mourir de honte tout à l’heure…

- De honte ? De rire, oui…

- Comment ?! Ne suis-je pas attirante ?

 

Lorsque jeune fille on vous élève comme un garçon vingt années durant chez un Général ronchon et austère, la phrase a déjà de quoi vous perturber ; quand en plus elle est lancée par un jeune homme tout ce qu’il y a de viril et d’agréablement bâti, il est fort possible de frôler la commotion cérébrale. La fraîcheur de la nuit empêcha à Oscar cette issue fatale mais pas l’étranglement, preuve que son cœur était d’une solidité exemplaire et son sens de l’humour avoisinant le zéro pointé.

 

- Pour la énième fois : ferme-la, abruti !! rugit elle.

- Modère tes propos, ou je te plante ici sans sommation. Tu vas avoir l’air fin toute seule, sous les fenêtres du Cardinal, à pester comme une vieille mule !

- André, je pense que c’est moi qui vais t’embrocher !

- D’accord, mais continue de gratter. Ouch !

 

Les doigts de la jeune fille venaient de se transformer en griffes contre l’échine de son compagnon d’armes, malgré le corset ce dernier sentit la nécessité de tarir ses lamentations vestimentaires et de mettre en action son éventail : au moins son orgueil serait sauf s’il continuait d’y dissimuler son visage.

 

Haussant les épaules, Oscar reprit la désespérante surveillance des fenêtres sombres, juste au-dessus de leurs têtes.

Deux heures qu’ils étaient là tous deux, une éternité à être gelés, et grotesques, dans le seul accoutrement qui pouvait se concevoir pour la stupidité de la mission.

Le Roi avait des soupçons sur le Cardinal…Qui n’en avait pas ! La Cour entière bruissait de rumeurs à propos des mœurs de l’homme d’église, on parlait de parties fines à son hôtel particulier jusqu’au petit matin ; et cela n’aurait ému personne au fond, si cela ne concernait de très jeunes hommes, des enfants, pour tout le dire.

Fange, que tout cela…C’était en tout cas l’intime conviction d’Oscar car au bout de trois nuits de veille il n’y avait rien, strictement rien, qui puisse titiller la morale à géométrie variable des courtisans. Hormis l’aberration à côté d’elle, bien évidemment.

 

Pour approcher l’endroit, célèbre au demeurant, il fallait en effet sacrifier à une curieuse tradition : l’hôtel jouxtait une sorte de petit jardin fort romantique appelé « le Bosquet aux Baisers », terme courtois masquant mal sa fonction ultime : culbuter la courtisane vous ayant fait œil de biche et sourire de velours durant la journée au Palais, et dont on devait se vanter dès le lendemain. Nombre de fois où Oscar avait entendu les gloussements de ces paons, ces infâmes séducteurs que la jeune fille rêvait de défoncer à coups de bottes à les entendre manquer de respect envers les pauvrettes.

Et aujourd’hui, ou plutôt cette nuit, c’était ELLE l’infâme séducteur ! A devoir culbuter un monstre, ah l’infamie !

Une…une sorte de…

 

Oscar jeta un coup d’œil de côté. Tout de même…Atterrée, elle devait bien admettre qu’André n’était pas si ridicule que cela, en femme. Il était…dérangeant. Il la mettait mal à l’aise. Déjà son obstination à l’accompagner pour cette « dangereuse » mission…qui y’avait-il de danger à prendre racine dans ce parc froid et lugubre, André avait de drôles d’angoisses tout de même !

Que pouvait-il bien lui arriver ? Qu’une chouette prise de folie se suicide sur son uniforme ? Ou qu’un amas de fourmis fasse la farandole et lui saute à la gorge pour tenter de l’étrangler ? Mais il avait eu le dernier mot, comme d’habitude, pensa sombrement Oscar. Il faisait d’elle ce qu’il voulait, au fond, cela l’enrageait d’admettre cet état de fait.

Et il avait fallu trouver un stratagème…

 

Pour être tout à fait honnête, son idée première était toute entière motivée par la vengeance : mesquine, certes, mais réelle.

Ah mon bon, tu veux me suivre…d’accord, mais payes-en le prix ! Il y avait du passage ici, oh très rare assurément, mais un flâneur noctambule déboulait parfois en titubant, chantonnant ou gémissant sa peine et sa joie pour rejoindre les quais de Seine, non loin. Qu’allait-on dire si par-dessus le marché on reconnaissait soudain le Capitaine de la Garde en compagnie d’un homme dans ce Bosquet Douteux ? Non…avec une « femme », au moins, son honneur était sauf.

Et sa petite méchanceté contentée, de voir la carrure du jeune homme engoncée dans un corset et une horrible robe de courtisane mauve que couronnait une perruque d’un autre temps.

C’était Grand-Mère qui l’avait fournit, vestige de sa jeunesse probablement, mieux valait d’ailleurs ne pas lui en poser question au vue de l’objet. De même que le poudrage du visage de son petit-fils, l’aïeule soutenant que « si, c’était comme ça qu’on faisait à son époque pour souligner les yeux ».

Hum…avec trois tonnes de charbon de bois, vraiment ?

Si le noir embrasait toujours les regards des coquettes à Versailles, André, lui, bénéficiait d’une véritable usine à bois.

Un vrai lémurien à binocles. Sauf…

Las ! C’était encore sa méchanceté qui s’époumonait. Parce que…dieu, ce regard vert…à chaque revue de détail sur le mâle visage, Oscar était saisie par la clarté de ces prunelles couleur de forêt liquide. Oui, on avait littéralement envie de s’y baigner dans ces yeux outrageusement soulignés, par la simple vertu de leur lumière. Absurdité, que de réaliser brusquement qu’ils étaient bel et bien la seule source de chaleur de l’endroit, et qu’elle, Oscar, y pensait bien plus depuis trois nuits qu’à ces satanées fenêtres toujours éteintes.

 

 

Et il n’y avait pas que les yeux, de chaleureux. Le gratter ? Toucher une braise, oui. Comment faisait-il, tout décolleté qu’il était. Tiens, d’ailleurs, et ses épaules…

 

 

- Ne devrions-nous pas rentrer, maintenant, marmonna justement le séduisant tison. Ce Rohan est couché et ronfle depuis belle lurette, et il a bien raison ! Je rêve d’en faire autant et pouvoir enfin quitter cette robe. Comment faites-vous, bon sang, pour supporter un tel harnachement ! Les femmes sont folles.

 

- Que veux-tu dire, par « vous » je te prie ?!

- Mhh ? Vous, les femmes bien sûr, les…ah pardon, pas toi évidemment…ricana André.

- Je suis d’accord : rentrons. Il est temps de mettre certaines choses au clair !

- A coups de poings, j’imagine.

- A coups de poings. Et à coup d’alcool aussi. J’ai soif. Et j’ai froid.

- Ah ? J’ai plutôt chaud pour ma part…

- Oui, j’ai vu.

- Comment ?

- Rien, ferme-la.

 

Le retour fut consternant.

Grâce à Dieu ils furent discrets malgré le couvre-feu, sans cela comment justifier une élégante montant non pas en amazone mais la robe remontée sur les cuisses et la perruque portée de travers ? André portait dessous ses culottes d’homme et ses bottes, fort heureusement, mais quelle allure…Oscar était en colère, ou bien était-ce la fatigue, la contrariété, les fenêtres sombres et ce foutu bosquet muet, tout un tas de raisons la poussait à faire une mine de trois pieds de long.

Ce qui ne manqua pas d’intriguer son ami, dès leur retour dans leur repaire de prédilection.

 

- Alors ? Plus que jamais de mauvaise humeur apparemment. C’est maintenant qu’on se casse la figure ou tu m’octroies la grâce d’une dernière volonté, attaqua André en attisant le feu des cuisines de la demeure Jarjayes. J’ai une faim de loup ! Et cette chose me gratte comme mille aiguilles, par tous les saints, débarrasse m’en !

 

Oscar le regarda d’un air absent, puis très vite, foncièrement inquiète.

- Tu plaisantes, j’espère.

- Quoi ! Tu n’espérais tout de même pas comme hier et avant-hier réveiller Grand-Mère dans son meilleur sommeil, la pauvre.

   Elle m’a aidé à m’habiller mais c’est toi qui vas officier maintenant.

- A cette heure, elle doit plutôt cuver ses verres de gnoles, oui…

- N’insulte pas ma famille !

- Hypocrite, tu n’es jamais le dernier à te moquer de son penchant pour la bouteille !

- Justement, c’est à moi de pencher et pas à toi, héritage des Grandier. Tu l’insultes encore et je te fais ta fête, jeune fille.

- Ne m’appelle pas comme ça !

- Alors dégrafe-moi, monsieur. Et fais vite par pitié ou j’arrache cette robe de mes dents.

 

La jeune fille observa le dos masculin, elle n’avait pas remarqué non plus sa masse…plutôt conséquente, jusqu’alors.

Le corset étriquait tout, décidément.

 

- Comment veux-tu que je m’y prenne ! dit-elle d’un ton brusque. Que veux-tu que je fasse à la fin, débrouille-toi !

- Oscar, si tu ne desserres pas ces lanières immédiatement, je te jure faire de ta vie un enfer sur terre.

- Ouh, alors là, André, vraiment, j’ai fort fort peur.

Il se retourna sans crier gare et avança d’un pas, approchant le visage de ses yeux.

- Tu devrais, oui.

 

En un instant, la verdure tout à l’heure si bienfaisante du regard clair s’était densifiée, assombrie, au point de la rendre muette.

Chose rare.

Peu de chose la faisait reculer, mais cela, juste ce regard y suffit.

Ou bien était-ce la perruque ?

 

- Enlève ce monticule de ta tête, grommela t-elle pour se donner une contenance. Et cesse de te plaindre, on dirait une femme.

- Tu es charmante, persifla t-il en attrapant un linge pour s’essuyer le visage.

- La ferme.

 

Une femme, incontestablement pas. Si grâce à la pénombre de ce soir son honneur était sauf, si l’éventuel passant aurait pu jurer ses grands dieux l’avoir vu en compagnie d’une dame, là, tout de suite décachetant la robe et voyant la plastique virile émerger, il aurait fallu des bûchers pour y brûler l’hérétique prétendant le contraire. Une femme, André ?

 

- Bon sang, mais où est le vin !

- Tu as attrapé froid ? Ta voix est étrange, Oscar…

- C’est toi qui as attrapé un rhume de cerveau, ma parole. Tu divagues.

- Quel plaisir que ta compagnie, ma chère !

- Je ne t’ai rien demandé, va au diable.

- Mmh, mmh… « merci André pour ta présence ce soir, comme c’était réconfortant de ne pas être seule et de pouvoir compter   sur toi ! » « Mais je t’en prie, Oscar, c’est tout à fait normal d’être ridicule, à quoi servent les amis sans cela ! »

- Oh, arrête, épargne-moi tes leçons de morale à six sous.

- Aucun humour…souffla le jeune homme, les yeux au ciel.

- Pardon ?

- Attise le four. Je prépare une omelette.

 

Elle jeta une bûche dans le foyer de fonte, comme souvent en présence de Grand-Mère qui invariablement la morigénait, prétendant qu’un Capitaine des armées n’avait pas à faire le travail d’une cuisinière. Elle adorait cela.

Cette soirée, nettement moins.

 

La saveur acide du vin ne la réconforta pas. Les odeurs de lard bien davantage mais admettre qu’André et sa présence étaient un tant soit peu agréables...semblait impossible pour le moment. Et durant les quelques siècles à venir, aussi.

Pourtant elle était incapable de sortir de cette cuisine. La faim, bien évidemment.

 

- Ce Rohan n’a pas l’air très actif, articula bientôt André, la bouche pleine.

- Que veux-tu dire ?

- Ces histoires d’orgies…tu y crois, toi ?

- Que veux-tu que je te dise ! Je ne suis pas le Roi, moi, j’exécute !

- Pas la peine d’être agressive…

- Je ne suis pas…oh et puis assez, c’est toi, tu m’agaces !

- Qu’est-ce que j’ai encore fait.

- Tu ne peux pas mettre une chemise, non ?

- Pourquoi ?

 

La jeune fille se mordit les lèvres. Bonne réponse, mauvaise question. Elle haussa les épaules et faillit lâcher prise, mais, vraiment, elle se sentait de méchante humeur, son regard courroucé se planta sur le visage de son ami comme un chien mordrait son os.

 

- Parce que ce n’est pas correct, voilà tout !

André faillit s’étouffer en pouffant la bouche pleine.

- « Correct » ? Que t’importe les bonnes manières, soudain, tu es malade ?

- Vas-tu arrêter de te moquer, bon sang de foutre ?

- Ah, parfait : tu jures comme un charretier et c’est moi le sans éducation !

- Et…et bien oui, parce que cela n’a rien à voir, et que tu m’agaces si intensément que cette fourchette me démange, et que, oui, tu pourrais t’habiller devant moi !

- Pourquoi ?

- Maroufle, cesse avec tes « pourquoi » ! Parce que…mais enfin, parce que cela ne se fait pas, c’est tout ! Tu te promènerais nu devant Grand-Mère, peut-être ?

- « Nu » ! Non mais vraiment, Oscar, tu as de la fièvre ! Premièrement je ne suis pas nu dois-je te le faire remarquer, deuxièmement Grand-Mère en voit bien plus quand elle m’apporte de l’eau pour le bain, et enfin elle n’est pas là justement, aussi je me tiens dans sa cuisine tel qu’il me plait. Et si cela ne te convient pas…

 

Il montra élégamment la porte doublé d’un sourire insolent.

Oscar tapa du poing, vraiment fâchée. Et même contre Grand-Mère, tiens. Qu’est-ce que cela voulait dire, « en voir bien plus », que ce passait-il donc ici pendant son absence !

 

- Ne me parle pas sur ce ton, André !

- Alors ne dis pas des sottises, Oscar. Et puis ne suis-je pas beau comme tout, ainsi ? compléta inopinément le jeune homme en faisant jouer son biceps, très satisfait de lui-même.

- Quoi ?! souffla t-elle, estomaquée. Tu…tu…on dirait ces jeunes paons à la Cour du Roi, tu me dégoûtes !

- Ah làlà ! Mais que tu es prévisible jeune fille, au-cun humour ! Trop aisé de te traumatiser, décidément.

- Je ne suis aucunement traumatisée, retire ce mot ! Simplement je ne suis pas…une bête sauvage sans éducation, comme toi. Et arrête de te regarder comme ça, bon sang !

- Pourq…

- NE DIS PAS POURQUOI !!!

- Avoue que je suis beau, quand même…provoqua malicieusement André, le sourire encore élargi quand il la vit rosir.

- Ton aspect m’indiffère, si tu savais ! parvint-elle à ricaner maladroitement. Serais-tu pustuleux que cela serait pareil !

- Sauf que tu ne me demanderais pas de mettre une chemise…

- Quel rapport ?

- Tu envies mes muscles, hein, Oscar ! Allez, avoue !

- Tu te payes ma tête en plus ?

- Mais quel mal y a t-il a dire « oui André, tu es plus musclé que moi ! ». Allez, Oscar, du cran…

- Je…n’aime pas du tout tes manières ce soir, qu’est-ce qui te prend ?

- C’est toi qui me provoques, te ferais-je remarquer. Tu m’agresses en critiquant ma robe et ma perruque, puis quand je les enlève, ça ne va pas non plus ; il faudrait donc un peu savoir ce que tu veux ma petite.

- Que tu te taises et arrêtes de sourire, parce que je vois clair en toi : tu veux me provoquer, hein ?  Mais je n’entrerai pas dans tes petites manœuvres, et tu n’es pas plus fort que moi, d’abord. Je te bats quand je veux !

 

Oscar vit rouge quand il éclata de rire. Merdaille ! En un tour de main elle retira sa veste d’officier et retroussa sa manche de chemise, le coude plantée dans le bois de la table.

 

- Allez, viens si tu es un homme !

 

André regarda la paume ouverte d’un air intéressé. Et légèrement ironique. Très moqueur, en vérité.

 

- Quoi…tu veux vraiment un bras de fer avec moi ? Maintenant ?

- Non, avec la Marquise de Pompadour. Mais oui avec toi, sombre idiot ! Prépare-toi !

- Tu es vraiment folle…

- La ferme, viens donc !

 

Le jeune homme soupira et prit la pause, saisissant de manière brusque la main faussement gracile. Qui ne céda pas, ils avaient l’habitude de ce jeu. Ils étaient de force égale, il n’y avait pas si longtemps encore. Ou peut-être cela était plus long qu’elle ne supposait. Deux ou trois ans, depuis qu’elle assumait sa charge dans l’armée en fait. Pour Oscar, c’était hier et sentant la poigne elle comprit immédiatement son erreur. Mais un Jarjayes ne s’excuse ni ne recule, jamais…

 

- Qu’est-ce que l’on parie ? murmura plaisamment André, le regard clair planté dans le sien.

- Pardon ?

- Tu te souviens des règles, je pense. Celui qui perd doit s’exécuter. Alors ?

Alors, cette paume la brûlait. Le vin la brûlait, les ombres et lumières sur la peau nue d’André la brûlaient, la colère l’embrasait toute entière.

- Je…

- Tu es muette ? Et bien moi, je sais. Si tu perds…il resserra sa prise. Si tu perds, c’est toi qui prends ma place ces trois prochains soirs.

- Que veux-tu dire !

- JE me déguise en militaire et TU te déguises en femme.

De rouge, Oscar passa au blanc en une seconde et eut un mouvement involontaire, mais il la maintint fermement.

- Tatata, pas de fuite stratégique, Capitaine de Jarjayes ! Tu perds, et tu te transformes en courtisane dès demain. Moi aussi j’ai envie de rire.

- Fumier ! Et si je gagne !

- Alors…je m’engage à continuer de mettre cette robe pour que tu te moques de moi, et te servir pendant trois jours comme un petit chien bien obéissant. Sans rire. Sans parler. Sans me plaindre.

- Tu feras tout ce que je veux !

- Je ferai tout ce que tu veux.

- Tu mettras une chemise et tu me parleras correctement !

- Je mettrai des tonnes de chemises et je te parlerai mieux qu’à la Cour.

- Tu vas perdre, André, je te le jure !

 

En quelques secondes l’ambiance devint solide pour les deux combattants. Un instant, le duel s’équilibra. Les mains tremblaient, mais aucune ne cédaient. Puis André amorça ses forces, tranquille il la regardait. Son poing oscilla lentement, lentement.

La jeune fille sentait des larmes amères lui brouiller la vue, elle vrilla ses talons au sol et accrocha la table de bois de sa main libre. Non, il ne pouvait pas gagner, impossible…Elle parvint à regagner le terrain perdu, trois secondes interminables furent en suspend, puis…

 

André se redressa bientôt, massa son bras en souriant.

 

-- Eh bien, tu vas devoir me trouver une vareuse militaire pour demain, ma chère ! Et toi…Il se dégagea du banc grossier et s’apprêta à sortir, non sans se pencher vers elle d’une voix suave.

 

-…toi c’est une robe qu’il te faut n’est-ce pas, mmh, veux-tu la mienne ? J’ai hâte de rire demain soir, tu n’imagines pas ! Dors bien…Et dans mon extrême bonté, je te dispense toute de même de porter une perruque : tu auras déjà bien à faire avec ta tignasse, Mademoiselle !

 

Et il lui ébouriffa rudement les cheveux sur la foudre d’un éclat de rire.

 

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