- Acte Deuxième -
Elle avait perdu. Lamentables, sèches, des journées terribles se profilaient sur l’écran noir de son imagination enfiévrée par la rancune.
Oscar pour la millième fois se retourna sur son lit et finalement s’assit sur le bord, ivre de rage. Elle ne POUVAIT perdre !
La seule victoire qu’elle puisse arracher elle la connaissait, et cela lui retournait les sangs. Le coq chanta au loin, pire que le glas pour la jeune fille. Déjà l’aube ! Ce soir, bon sang, ce soir et il rirait à gorge déployée, ce faquin. Jamais !
Le vêtement plus fripé qu’une vieille pomme elle se leva puis jura, sortit dans le couloir vers l’aile opposée du bâtiment, là où sa seule alliée dormait encore. Tant pis. Tant pis pour le meilleur sommeil mais là, vraiment, l’heure était à son paroxysme de catastrophisme.
Un fouillis de mots en isme.
Devant la porte de Grand-Mère, Oscar hésita pourtant, la main en suspend. Plus rien ne serait comme avant. C’était certain.
Mais « avant » n’était pas des plus attrayant, alors…gagner, au moins cela.
Il fallut presque deux minutes pour que la porte s’ouvre sur la charmante aïeule, toute tremblante et souriante de ses rêves récents. Pure et heureuse âme.
- C’est grave !
Sur cette phrase pleine de suspens et de concision, la jeune fille entra dans la pièce sans sommation. Cela sentait bon la lavande. Comme elle aurait voulu se blottir dans le lit douillet et ne plus en ressortir de sa vie…
- Ma petite ? Tu es malade ?
- Non. Enfin si. Je…ah merdaille, quelle épreuve !
- Oh ! Oscar ! Si c’est pour venir me dire des horreurs, tu pouvais attendre de descendre en cuisine !
- Oui, je…pardonne-moi Grand-Mère, ce n’est pas contre toi. Il faut que tu m’aides.
- Moi ? Mais en quoi…tu as de la fièvre ma parole, tu transpires comme une mule !
Oscar commençait à comprendre d’où venait à André son sens de la formule, elle faillit réagir mais il n’était plus temps.
- Voilà Grand-Mère, je…mais avant, promets-moi de ne pas t’évanouir ni de pleurer !
- Je te demande pardon ? En quoi ferais-je…
- Promets !
- Tu me fais peur, ma petite Oscar, qu…
- Je veux porter une robe ce soir, et il faut que tu m’aides.
Elle aurait dû attendre la promesse. Car la vieille femme s’évanouit et pleura, le coq eut le temps de chanter deux fois encore avant qu’elle ne fût calmée. Et même alors, on eut besoin de tout un tas de mots en isme.
Les "Mon-Dieu-Mon-Dieu" fusèrent comme un chapelet, suivis de près par "Depuis-le-Temps-Que-J’attendais-Ce-Jour", les petits rires de fouines convulsives clôturèrent le bouquet final.
Sombre, allant et venant les mains soudées derrière le dos, Oscar attendit que toute cette éruption se tarisse sans plus le moindre mot. Sa conscience l’avertissait que tout allait lui échapper, très vite. Profiter encore d’une quiétude factice.
Encore un tout petit peu.
A la nuit tombée, dans les cuisines, André étendait lascivement ses longues jambes contre le banc près de l’âtre.
Grand-Mère n’arrêtait pas de s’agiter, d’aller et venir, de rire, de maugréer, là-bas dans le grand salon. Guère difficile d’en deviner la raison…il s’en réjouissait d’avance : Oscar en fille, quel épouvantail allait-on découvrir ! Il ne l’avait vue de la journée, sacré repos que ça aussi. La vie s’annonçait plutôt belle. Ce soir, pas de perruque poussiéreuse pour lui ni de corset infâmant.
Sa vareuse lui allait à ravir, il en avait astiqué chaque bouton l’après-midi durant.
Grand-Mère s’était même évanouie et avait pleuré, en le voyant tout à l’heure.
Oscar, elle, en serait verte de rage.
- Garnement, au lieu de te prélasser comme un chat de gouttière va donc préparer le carrosse ! Elle est bientôt prête, ah, Mon Dieu, Mon Dieu…
- Quoi ?! Un carrosse, et pourquoi pas une citrouille dans la foulée, il n’a jamais été question d’un carrosse ! Les chevaux sont prêts, ça oui.
- Non mais tu es tombé sur le crâne, s’empourpra Grand-Mère. Des chevaux ! Et la boue des chemins, et le vent ! Je ne sais trop ce que vous trafiquez avec votre « mission » mais tu vas me faire le plaisir de te comporter en gentilhomme, chenapan ! On ne sort pas une dame à cheval, André Grandier, et on a des égards pour elle qui plus est !
- Oh oh, Grand-Mère, il s’agit d’Oscar, hein, et pas d’une « dame » ! s’esclaffa le jeune homme. Le résultat est donc si terrible qu’elle veuille se cacher dans un carrosse, elle est maligne cette petite.
- Et toi tu vas goûter de ma louche si tu ne fais pas comme je le dis !
- Allons, ne t’énerves pas….tempéra André de son plus charmant sourire en se levant pour venir déposer un baiser sur la joue rouge de sa parente. Je peux au moins découvrir la passagère dans toute sa laideur, avant ?
- Rustre ! Sors donc d’ici avant que je me fâche !
Un carrosse…bien joué, Oscar. Le jeune homme salua mentalement la rouerie au fond si caractéristique du tempérament impétueux. Elle perdait, mais elle édictait encore ses propres règles. Vraiment futée. Il aurait dû y penser pour lui-même, hier.
Et puis elle gagnait du temps, valeur non négligeable face à un accueil dont elle se doutait bien de la nature, qu’elle redoutait peut-être, même. Bien fait. Voilà ce qu’il en coûtait de se moquer des robes d’André Grandier, ah mais !
Un juron bouscula l’enfantillage : en manoeuvrant l’attache de l’attelage, une longue zébrure tacha ses culottes immaculées et une partie de sa manche d’uniforme bleu nuit en fit les frais. Foutrerie, voilà bien du soin pour un caprice de femme ! Ah, qu’il allait se moquer, Oscar paierait pour cette contrariété, de quoi avait-il l’air maintenant, encore et toujours d’un palefrenier ?
Il mena l’attelage devant la porte principale, obligé qu’il était de faire le cocher; mais quand il vit une forme gracile toute enveloppée de noir monter hâtivement dans la voiture, la moutarde lui monta à lui aussi, au nez.
Sautant souplement à terre, il voulut faire le gendarme.
C’était sans compter Grand-Mère sur les talons de la jeune fille.
- Teut teut mais que fais-tu, vas tu la laisser tranquille ?!
- Hey, mais je voudrais au moins la voir, non ! Ce n’était pas dans les règles, ça…
- André Grandier ! Si jamais Oscar a tant soit peu à se plaindre de toi, si tu ne la traites pas comme il se doit, je te jure faire de ta vie un enfer sur terre !
- Alors là, ouh, j’ai fort fort p…
Grand-Mère saisit soudain son petit-fils d’une surprenante vigueur en le forçant à la regarder dans les yeux.
- Et tu fais bien, d’avoir peur, gronda t-elle la mine terrible.
La terreur des Grandier. Brrr…
Toute cette histoire commençait à exaspérer le jeune homme. Au fond, cela n’était pas drôle du tout, on ne riait pas, on se salissait, sans compter les heures d’ennui complet à regarder des fenêtres borgnes. Stupide vie.
Bougonnant pour la forme, André obéit. Il aimait tendrement son aïeule malgré ses airs bravaches, bien sûr qu’il se comporterait bien. Enfin presque. Il attendrait de voir Oscar pour se moquer, voilà. Faisant claquer le fouet, il se demanda même l’espace d’un clignement de cil si la personne à l’intérieur était bien Oscar. Juste un instant. Son amie avait beaucoup de défauts, presque tous à ses yeux, mais pas la déloyauté.
Le résultat devait être si épouvantable qu’elle avait honte, assurément. Ayant vécu les douces heures de calvaire derrière un éventail et la mine poudrée hier, il pouvait comprendre. Mais tout de même, ce n’était pas drôle.
Il choisit de se ranger non loin, près des berges de la Seine pour ne pas éveiller les soupçons, une marche nonchalante jusqu’au Bosquet parachèverait les apparences. Comme la veille, un fringant militaire -tout taché- amenant une donzelle - aux allures d’épouvantail - mais cette fois du bon sexe. Décoratif que tout ceci. Romantique. Pouah !
- Voilà Oscar, nous y sommes. Vas-tu te décider à sortir ou bien dois-je venir moi-même te chercher et te compter fleurette, « Madâââme » ?! persifla t-il. Décide-toi bon sang, maugréa t-il en ouvrant grand la porte, la folle aventure des chambranles nous attend, les boutons de fenêtre n’attendent plus que nous ! Haut les cœurs, les buissons se pâment d’impatience de contempler ta somptueuse tignasse ma…
…chère. Bon Dieu. Blasphème.
André ne cilla pas, ni ne bougea. Incapable. Complètement pétrifié.
- Alors, tu es content ? explosa t-on d’une voix fébrile. Vas-tu m’aider à descendre au lieu de jouer l’animal empaillé, je ne peux pas bouger avec cette…cette chose ! Et c’est le moment de rire, vas-y, tu n’attends que ça depuis tout à l’heure, crois-tu que je ne devinerais pas !
Pas de réponse. Pas un geste.
- A…arrête de me regarde comme ça, aide-moi bon sang de foutre !
Gorge serrée, André reprit vie sous le juron familier et agit sans réfléchir.
- Mais…qu’est-ce que tu fais ! Ce n’est pas comme ça qu’on doit descendre de cette voiture, André, lâche-moi !
Il venait de la toucher. Il l’avait cueillit dans l’encadrement comme on le ferait d’une fleur, par réflexe, parce que c’était impossible une telle finesse, chez elle, impossible… Elle était donc réelle, pas de doute. Il tenait sa taille entre ses mains, et il ne bougeait plus.
- André, vas-tu me lâcher bon sang, tu as bu ?
Oui. Complètement. Il buvait ce visage et la silhouette entre ses mains, c’était exactement cela. Et tel un oiseau rétif il la lâcha soudain, les plis de sa robe s’envolèrent quand elle marcha, découvrant son pied menu et furieux.
- Tu es vraiment étrange ! Tout d’abord tu t’esclaffes comme un sans cervelle à l’idée de me voir puis tu ne dis plus rien, dès que je te le demande. Il faudrait donc savoir un peu ce que tu veux, mon petit !
Œil pour œil, d’accord. C’était mérité. Légitime. Oscar, bon sang…
Il aurait bien aimé rire mais sa gorge ne lui obéissait pas, ni son corps entier ; hautement désagréable comme sensation. Il avait mal partout. Un mal d’estomac épouvantable. Mal au cœur. L’organe lui-même. Et son sang, qui tambourinait la gigue ! Plus d’envies, de pensées, mais un désir violent, oui, extrêmement, sourd et inexprimable. Inextricable. Au sens strict du terme : qui ne pouvait véritablement plus s’abstraire de lui.
Le pied menu s’arrêta.
- Bien, et alors ! Te transformes-tu en lampe à huile à ne plus bouger ni parler ? Viens, et qu’on en finisse avec cette soirée de malheur. Et je te préviens : pas question de jouer les piquets de foire durant trois nuits encore, dès demain je vais voir le Roi, moi ! Ce Rohan est peut-être un dépravé à manger la bouche pleine, mais certes non à cavaler derrière les petits enfants !
Le jeune homme se mit enfin en mouvement. Son regard tomba sur les taches de ses jambes, sa manche…il en conçut une immense contrariété. L’épouvantail, c’était lui ! Il n’était qu’un pauvre sot.
- Tu ne l’emporteras pas au paradis, marmonnait la jeune fille en prenant place sur le banc de pierre, de biais pour mieux observer les hauteurs de la demeure de Rohan. Ne crois pas que tu triomphes ainsi sans que je ne fasse rien, un jour. Désormais attends-toi à tout moment à ma vengeance ! Tu ricaneras moins à…mais au fait, pourquoi ne ricanes-tu pas, d’abord ?!
Elle tourna son visage vers lui. Comme si elle réalisait soudain l’évidence, lui debout à la couver de ses yeux de forêt et elle, l’oiseau insoumis, à ne se laisser prendre dans aucun des filets connus. Et elle le regarda, vraiment, un instant.
Regard qui glissa tout de même vers les taches ridicules au bout de quelques secondes d’insupportable tension.
Oscar s’éclaircit la gorge. Le froid des jardins, décidément.
- Tu…t’es débrouillé comme une souillon, apparemment. Et vas-tu rester debout ta vie durant ? Tu es…vraiment étrange, ce soir. Tes…oh et puis qu’y a t-il, à la fin ! J’en ai assez de ce regard moqueur sur moi, vas-tu parler ? Dis-le que je suis ridicule, et n’en parlons plus, tout cela est déjà assez dif….
- Tu es vraiment très belle, Oscar, dit-il d’une voix étranglée.
- …ficile…Quoi ?
- Je n’ai aucune envie de rire quand je te regarde. Aucun homme ne le pourrait.
- Qu’est-ce que cela veut dire, est-ce encore une de tes inventions machiavéliques ?
- Non. La simple vérité.
- Je…je n’aime pas ce ton, ni ton regard, je…cesse de faire cela, André !
Il s’assit enfin, se laissa tomber plutôt à ses côtés. Son esprit n’était plus qu’un champ de fouilles pour archéologues perdus, lui n’arrivait à rien y retrouver de familier. Que ces fenêtres éteintes aillent au diable…ses yeux ne pouvaient se détacher de la peau offerte au vent du soir, blanche comme l’était cette robe qui de ses voiles tailladaient toutes ses envies. Bien se comporter ? Il n’était même plus sûr de ce que cela signifiait. Son ventre se renversa en détaillant le clair visage environné d’or pâle. Pas de tignasse. Des boucles soyeuses, au travail compliqué. Longues, attirantes. Le souhait de s’y perdre le terrassa.
- Arrête, te dis-je !
- Faire quoi, qu’est-ce que je fais, murmura t-il sans même savoir ce qu’il disait.
- Ce…je ne sais pas, moi ! Tu n’es pas…tu ne te ressemble plus, voilà !
- Ce sont les taches.
- Oui…ce doit être cela…Alors ne me regarde pas, je t’en prie.
- Pourquoi ?
- André…si de ta vie tu répètes encore une fois « pourquoi », je…tu me trouves belle, vraiment ?
- Au point de vouloir dans l’instant poser mes lèvres sur les tiennes, souffla t-il en s’approchant encore.
- Quoi ?!!
Il manqua perdre l’équilibre quand elle se leva en une seconde.
- Je mets un bout de chiffon et soudain tu veux te comporter comme ces cochons de courtisans à la Cour ? Et après, rire enfin de moi n’est-ce pas ?
- Je te demande pardon ? articula André avec difficulté, encore tout à l’émotion de l’instant.
- Ah, ma foi, je vais tout à fait t’embrocher je crois lorsque j’aurais enlevé ces oripeaux ! Et me dire cela ici, en plus ! Dans cet endroit infect, à qui iras-tu te vanter, demain, de m’avoir traitée comme ces dindes de courtisanes ?
- Je ne comprends fichtre rien à ce que tu dis…Oh mais attends…tu insinues…
Le jeune homme, pâli, se leva en montrant le banc.
- Tu croyais réellement que j’allais te…me comporter comme un garçon de ferme ?
Oscar se détourna, il était clair qu’elle ne savait où se mettre ni que faire d’elle-même. Le désir n’en grandit que plus fort chez son contemplateur car, Dieu, cette candeur mêlée à la plus indomptable mauvaise foi, lui retournaient les sangs.
- Arrêtons cette conversation, je te prie ! murmura Oscar en s’efforçant toujours de ne pas trop monter le ton, exercice rendu de plus en plus périlleux. Je veux rentrer, de toute façon. J’ai rempli ma part du jeu, tu as eu ta revanche.
- Attends un peu ! Tu me calomnies et tu veux fuir, aussitôt après ? On n’allume pas des foyers sans être sûr de pouvoir les éteindre, ma petite. Regarde-moi. Et dis-moi clairement ce que tu redoutes, regardes mes yeux bon sang et prétends après que je te veux du mal !
- Non…pas question !
- Pourquoi, nom de Dieu !
- Parce que tes yeux me troublent, voilà ! Et que je n’en ai aucune envie, que cela me dérange parce que tu m’agaces, au point que je n’arrive plus à réfléchir ni me concentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire me venger de la honte que tu m’as infligée ! Et que je veux instamment cesser cette conversation stupide ! Je rentre, immédiatement, au diable ce Rohan. Je rentre, quitte à mener moi-même ces chevaux et tacher cette robe grotesque, jamais je n’aurais dû faire cette folie ! Je te déteste, André.
Il tenta de lui saisir un poignet mais se prit en retour son talon de brodequin sur le pied. Et sourit comme un bienheureux.
Il la troublait !
André mena les chevaux à un train d’enfer, sans cesser une seconde de sourire. Evidemment, partir puis revenir dans le foulée ne pouvait mener Grand-Mère si vite dans les bras de Morphée : elle les accueillit dans le grand halle une chandelle à la main, sur le point de monter dans sa chambrée.
- Tout s’est bien passé, André a été gentil ? balbutia la vieille dame en voyant passer Oscar comme une flèche vers les cuisines.
- Je ne tiens pas à en parler !
- Ah…que lui prend-il, grands dieux…bien, voilà André. Alors mon garçon, comment cela s’est-il passé ? Si tu n’as pas été…
- Je ne tiens pas à en parler, murmura le jeune homme en filant comme une anguille.
- …mais qu’ont-ils donc, ces deux-là ! Cette jeunesse me fera devenir chèvre. Je me sens comme une vieille pomme, tiens. Qu’ils se débrouillent. Et pourquoi André sourit-il ainsi, étrange ! Ça lui va à ravir. Oh, mes vieux os. M’en vais les soigner avec un petit verre d’eau de vie, tiens.
Oscar, elle, arrivée à l’office choisit un de ces alcools forts rapportés par son père d’une campagne militaire en Prusse.
Et but à même le goulot. C’était blanc, cela vous arrachait la langue et la gorge à vous faire pleurer, cela tombait bien, elle en avait envie. Des larmes de frustration. Mortifiée. Il y avait même de la patate, dedans. Dans la bouteille. Enfin elle n’était pas sûre.
- Je te trouble…c’est ce que tu as dis, vraiment ?
L’alcool lui entrait violemment dans les veines, ces paroles encore plus.
- Qui t’a permis de me suivre ? gnogna le jeune fille sans se retourner. Et je n’ai rien dit de tel. Va-t’en, je ne tiens plus à parler, ce soir.
- Mais à te soûler apparemment. Cela n’est pas digne…d’une dame.
- Et comme je n’en suis pas une, tout va bien. Sors d’ici.
- Pas avant que tu me le dises en face.
- Va-t’en ! jeta Oscar en pivotant rageusement, ne regardant rien du tout, ou plutôt si, la masse de cheveux bruns, la masse tout court de sa carrure. Et de nouveau, son cœur bondissant à leur vue.
Se soûler, bon sang !
Elle reprit une rasade en se détournant aussitôt, respirant avec peine. Sa main chercha à tâtons un point d’ancrage pour ne pas tomber. Sa tête ne lui tournait pas, pourtant. C’était pire. Cela se passait dans la région supérieure gauche de sa poitrine.
Et c’était horrible. Parce que, comme d’habitude, ce diable de garçon n’obéirait pas.
Elle serra les dents à sentir la menace délicieuse venir à elle, près, vraiment. A tel point qu’elle ne put rien faire quand il la priva d’une nouvelle gorgée, regarda d’un œil vague la main large la dessaisir de son incandescent palliatif.
Il était là, derrière elle, vraiment proche.
- Ce n’est pas une solution.
Le murmure souffla ses volontés, fâchée, elle sentit ses paupières se fermer. Traître.
- Bien sûr que si, c’est le moment de boire. C’est toujours le moment de boire.
- Tu sais ce que je vais répliquer…mmh ?
- … « Pourquoi » ? dit-elle la voix rauque à la question versée au-dessus de ses cheveux.
- Oui. Moi aussi je suis ivre. Et je n’ai pas bu. Comment l’expliques-tu ?
- Je n’en sais…foutre rien.
Elle rouvrit les yeux et ne vit rien du mur de chaux, au-delà du poêle, la vision complètement troublée par les inflexions volatiles de sa voix, à lui, dans cette pièce, partout dans ses cheveux relevés.
- Rends-moi cette bouteille, mécréant.
- Demande-le moi, gentiment.
- Va crever en enfer.
- D’accord, acquiesça t-on en posant brusquement un baiser dans son cou.
2.