Chapitre 7.
“Je suis fatiguée...”
Combien cette phrase sonna lugubre aux oreilles d’André ! Elle ne signifiait rien de ce que les mots voulaient dire, Oscar ne parlait pas de son corps. De cela, il était sûr.
Et c’était grave.
La personnalité de ce satané capitaine était décidément complexe. Parce que, tout de même, c’était entre ses bras qu’elle l’avait prononcé, cette phrase ! D’un abandon qui l’avait fait frémir au point que de la garder, contre lui, montrait assez le désarroi dans lequel elle se trouvait. Et lui, les embêtements.
André soupira, guettant les premiers rayons du soleil à travers les baies du cabinet de travail du Général de Jarjayes. Ce dernier n’y venait plus depuis bien longtemps déjà, de même que dans cette demeure, mais le jeune homme ne pouvait se défendre de toujours attribuer cette pièce à ce père intimidant. Il l’avait craint une bonne partie de son enfance, il se souvenait encore de la porte close devant laquelle Oscar se tenait le front buté, dans l’attente d’une punition. Et combien de fois, lui, le petit compagnon d’armes et de jeux, collait son oreille pour capter la dispute qui invariablement se finissait en châtiment cruel.
Déjà, elle avait ce tempérament trempé dans l’acier : elle sortait la joue rouge, l’air encore plus déterminé et les yeux secs, le rabrouant quand il voulait la consoler. Et à chaque décision de ce père maniant son destin à sa guise, elle faisait face exactement ainsi, sans une larme.
Et aujourd’hui, plus aucun éclat dans ses yeux magnifiques...eh bien tous les destins et les pères d’airain le connaissaient mal, lui, l’obscur serviteur ; hors de question de la laisser se débattre seule.
Il patienta encore un moment. Il attendait toujours qu’elle ne s’endorme avant de partir sans bruit de la chambre, revenant avant l’aube. Il se reposait peu, et n’y pensait même pas.
Personne n’était encore levé aux cuisines. Hormis un couple de vieux jardiniers aussi sourds l’un que l’autre, Grand-Mère régnait sans partage ici. Il comptait sur elle pour préparer encore de somptueux festins, même si cela lui parut fade. Ça ne suffirait pas, cette fois. Que lui réservait donc Oscar ?
Elle dormait pourtant bien paisiblement...Le jeune homme s’assit, détaillant sa main abandonnée sur l’oreiller. Ce mélange de délicatesse et de force l’impressionnait, parfois il avait peur de la briser quand il la tenait et pourtant, combien elle pouvait être impitoyable ! Il se disait souvent qu’elle était plus forte que lui, à bien des égards. Sa jambe malade reposait sur le drap, Grand-Mère changeait son bandage tous les jours. Peut-être devrait il s’occuper de cela aussi songea t-il, il ne lui semblait pas bon de confiner éternellement une peau blessée.
La pensée de ses mains sur la cheville nue de la jeune fille le fit rougir. Et comme la veille, l’afflux de sang éveilla son bas-ventre de manière agréable. Bonté divine, à s’occuper de tâches si graves, si lourdes de conséquences qu’il en oubliait parfois leurs vingt ans ! Son âme était déjà vieille, mais son corps, à lui, devenait parfois...un peu trop indépendant à son goût.
Il fut heureux qu’Oscar ne s’éveillât pas tout de suite.
Un peu plus tard, il avait déjà tout oublié, très satisfait de la voir manger de si bon appétit.
- Bientôt tu pourras quitter ce lit et prendre tes repas en bas, dit-il de bonne humeur. Cela fera pardonner mes manières de rustre à toujours renverser les plateaux à tors et à travers !
Elle parut gênée. Il attendait ses protestations, une remarque bien sentie et voilà qu’elle devenait aussi mal à l’aise que lui ! Cela commençait bien. Il s’empressa de changer de sujet.
- Que dirais-tu d’aller un peu plus loin que la mare sans poissons, aujourd’hui ?
- Je...je ne sais pas, je suis...
- Fatiguée ? Ça ne marche pas à tous les coups, ma chère. Pour me dire tes secrets nous pourrions aller jusqu’au petit bois, derrière le domaine. Tu te souviens, nous y jouions déjà à la guerre quand nous avions huit ans.
Cette fois elle eut un sourire, mais dieu qu’il était pâle !
- Je me souviens surtout t’y avoir cassé une épée de bois sur la tête, un jour. Tu pleurais tant que Grand-Mère a préparé des gâteaux rien que pour toi, et j’en étais tellement jalouse que je me suis mise à pleurer aussi ! Tu vois, j’étais déjà mauvaise. Triste pour des gâteaux et pas pour t’avoir blessé...
- Mauvaise ? Non mais tu divagues, nous étions des enfants ! Et puis triste tu l’es encore plus maintenant, et ça, ça ne va pas du tout. Cela va te faire du bien.
- Tu ne vas pas me porter quand même, c’est trop loin !
- Et bien je me reposerai. Je suis sûr qu’il y a plein de souches pour tomber dessus.
- Hé, pour hier ce n’était pas de ma faute !
- Pour l’épée de bois non plus, sourit-il malicieusement. Finis vite, je reviens plus tard.
Au début, cela parut une bonne idée. Mais au bout d’un instant André se dit qu’il allait devoir sévèrement se méfier de ses brillantes inspirations : ses cheveux blonds lui chatouillaient la joue. Et puis ses mains, sur lui, comment faisait-il pour se mettre dans des guêpiers inextricables ? Le petit bois était trop loin, décidément.
- Tu es lourde, mentit le jeune homme. Ce bouquet d’arbres fera l’affaire, si tu veux bien.
- Je te l’avais dit.
- Je te pose ou bien je m’écroule ? Il faudrait que tu essaies de marcher un peu.
- “Marcher”, comme tu y vas, ricana t-elle. Tu veux sans doute parler de mes grotesques exploits, je serai bientôt prête pour être exhibée sur la place du village. Les enfants me jetteront des bouts de viande pour m’encourager : “oh le joli monstre”...
- As-tu fini, oui ? Tu comptes pleurer sur ton sort jusqu’à la fin de tes jours ?
Son visage se ferma. Il regretta, un peu, mais dieu qu’elle était agaçante ! Il la déposa avec délicatesse en guise d’excuse.
- Tiens-toi ferme à mon bras et essaie de poser l’autre jambe maintenant.
- Quoi ?! Tu veux qu’elle se casse encore ?
- Elle n’est pas cassée. Et si on ne force pas un peu la nature, nous n’y arriverons jamais. Je ne vais pas te traîner à travers la prairie toute ma vie.
- Ne me crie pas dessus !
- Alors fais un effort.
- Mais je ne fais que ça, j...
Le reste finit dans une longue plainte. Exaspérée, Oscar l’avait pris aux mots sans y penser et aurait fini sur le sol, s’il ne l’avait tenue étroitement. Un sourire solaire s’épanouit sur les lèvres du jeune homme.
- Qu...quoi et tu te moques, maintenant ?! hurla Oscar à travers des larmes de douleurs et de rage, tandis qu’il l’asseyait dans l’herbe.
- Bon sang, Oscar, j’en étais sûr. Tu as mal, n’est-ce pas fantastique ?
- Je..je vais t’étriper, oui !
- Mais ne comprends-tu pas ? Tu ressens la douleur, ta jambe n’est pas morte comme tu te persuades stupidement.
- Ne me parle pas sur ce ton, je...pardon? Tu...crois ?
Un semblant d’éclat anima les yeux azur. Enfin ! En fallait-il de la volonté pour lui faire admettre les choses...
- Je ne crois pas, j’en suis sûr. Et puis il faut enlever ce bandage.
- Mais le docteur Lassonne a dit que...
- Oui, je sais ce qu’il a dit, il m’a littéralement enseveli sous les recommandations avant ce voyage. Seulement il ne te connait pas comme je te connais, moi. Tu n’es pas faite pour te morfondre sans agir. Tu n’es pas faite pour avoir des secrets...
La douceur de sa voix colora un peu les joues d’Oscar.
- Tu es un garçon étrange, murmura t-elle sans le regarder.
- Ah ça, Grand-Mère n’arrête pas de me le dire depuis que je suis petit. Mes parents n’étaient peut-être pas des gens très normaux non plus.
- Je ne le disais pas dans ce sens! protesta t-elle. Je ne voulais pas insulter la mémoire de tes parents, je...te demande pardon si je t’ai blessé.
- Mais c’est une journée faste, dis-moi ! éclata t-il de rire, bizarrement remué. Si maintenant tu passes ton temps à t’excuser, c’est moi qui ne vais plus te reconnaître. Occupons-nous plutôt de cette jambe.
Le trouble d’avant l’aube avait disparu. Il n’y avait plus que de la compassion dans ses gestes, pour lentement exposer les chairs encore bien tuméfiées. La très longue cicatrice était belle et propre, Lassonne était un artiste. Ça ne restait pas follement regardable pour autant, le sang faisait encore de gros hématomes sur la peau blanche et la gonflait par endroit.
Mais André était sûr de son fait, d’instinct. Capter la lumière douce ferait du bien au membre et à la convalescente.
- Pourquoi fais-tu cela ? dit-elle au bout d’un long moment.
Il se méprit sur la demande : ses mains massaient son pied nu et glacé.
- J’essaye de l’irriguer un peu et l’assouplir. Ne crois pas que je vais te laisser te reposer sur tes lauriers ma chère ! Tu vas recommencer tes exploits de foire, crois-moi.
- Non, je voulais dire...pourquoi es-tu à ce point gentil avec moi, André...
Il eut un haut-le-corps.
- Non mais quelle question ! N’es-tu pas mon amie ? Tu vois beaucoup de médecins à ton chevet, peut-être ? Qui va s’occuper de toi sinon.
- Mais...je suis tellement...odieuse, parfois.
- Tout le temps veux-tu dire, cligna t-il de l’oeil d’un air frondeur. Je plaisante ! Et bien parce que...c’est ainsi, voilà tout. Inutile d’expliquer les choses évidentes il me semble.
Elle ne parut pas convaincue, lui non plus. Ça n’avait guère d’importance.
Et puis comme le reste, cela devint une sorte de rituel. Durant deux jours il la ramena là, parmi l’herbe et les fleurs sauvages, la tenant quand elle trébuchait, s’énervant tendrement de ses plaintes ou les calmant de sourires tranquilles. Sans jamais se lasser. Elle criait, souvent ; et parfois se taisait longuement sans le quitter des yeux. André percevait bien cette revue de détail mais faisait mine de n’y attacher aucune attention. Seul comptait ses airs moins farouches, même si ils ne reparlèrent pas du secret.
Le jeune homme comprit qu’il ne devait plus la forcer, malgré ses appréhensions ; c’était le prix à payer pour la ramener à sa condition.
- André, je peux te demander quelque chose ?
Elle avait été particulièrement silencieuse aujourd’hui, et courageuse : elle claudiquait presque sans son aide au-dehors mais peu longtemps. La jeune fille avait insisté pour puiser dans ses forces, et ce fut les traits tirés qu’il l’avait ramenée dans sa chambre. Le soir tombait, et il s’apprêtait comme à l’habitude à lui faire la lecture.
- Bien sûr, dit-il dos tourné, choisissant un ouvrage.
- Je voudrais...j’aimerais...je ne me sens pas très bien, ce soir.
- Tu veux dormir tout de suite ? Tu veux que je t’apporte quelque chose peut-être.
Elle se troubla un peu sous son coup d’oeil, jeté par dessus l’épaule.
- Non, ce n’est pas ça. J’aimerais juste...que tu viennes faire la lecture près de moi...
Il fit mine de reprendre sa recherche, le corps légèrement tendu. Pas besoin d’en demander davantage, il savait ce qu’elle voulait dire. C’était un souvenir qu’elle quémandait, leurs habitudes d’enfance, ici-même. Et pour elle une requête innocente, il n’y avait qu’à la regarder pour s’en convaincre.
- Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, Oscar...dit-il finalement, la voix contractée.
- Pourquoi ? Nous le faisions, enfants...
- Et nous ne le sommes plus justement.
- Qu’est-ce que cela change ? Je suis si fatiguée ce soir, s’il te plait...
Dos tourné, le jeune homme ferma les yeux. Il comprenait qu’elle ne disait pas cela à la légère. Cette chose, ce secret ou du diable si il savait quoi, la tenait depuis plusieurs heures, la rongeait de l’intérieur. Mais la prendre dans ses bras, bon sang, avoir sa tête au creux de son épaule, là, sur ce lit, était devenu tout sauf innocent à ses yeux !
- Bon, très bien...soupira t-il en se traitant intérieurement de tous les noms.
Voyons, quelque chose de particulièrement sérieux, de puissant...avec un peu de chance elle allait très vite s’endormir: Sénèque, parfait !
Il s’assit et allongea ses jambes, le sourire forcé quand il ouvrit le bras pour l’accueillir. Au fond ce n’était rien de plus que durant les journées, c’était un peu continuer de l’aider à marcher, voilà tout. Mais ce besoin de chaleur qu’elle avait, pouvait-il, lui, en soustraire toute la trouble ambiguïté ?
Petite, elle n’avait guère côtoyé sa mère ni ses soeurs, ordre du terrible Général son père. Lui, André, se voyait très mal jouer les mères de substitution ce soir...Ni durant tous les autres, d’ailleurs.
Le jeune homme commença néanmoins la lecture d’une voix posée, s’admirant même d’un pareil sang-froid. Elle avait une respiration légèrement plus rapide que la sienne; confusément il percevait sa joue contre le tissu de sa chemise et malgré la tension, réelle, qui maintenait son corps en alerte, une profonde sensation de quiétude les enveloppa tous deux.
Un souvenir d’enfance. Pas d’autre sens que celui-ci.
Sénèque le stoïcien aurait été fier de lui, décidément. Et tandis qu’il chantait déjà victoire, ce fut la catastrophe : Oscar retint sa main tournant la page, et la tint contre la sienne.
De l’autre elle en caressa le dos, pensive, comme pour en comparer la force déliée face à la finesse de ses propres doigts.
- Comme ces années semblent lointaines...soupira t-elle.
Il se douta qu’elle ne parlait pas philosophie, et ses mâchoires se crispèrent. Il ne pouvait voir son visage et, fasciné à son tour, admira l’opposition de la peau blanche contre sa main virile. Se concentrer sur ce maudit livre, bon sang...
- On ne devrait jamais vraiment grandir, tu ne crois pas ? continua t-elle, alors qu’il luttait, lui, pour reprendre le fil de la lecture.
- Je...ne sais pas, déglutit le jeune homme. Tu ne veux pas entendre la suite ?
- Si. Crois-tu que ce soit notre ignorance qui nous protégeait ? enchaîna t-elle.
- Nous protéger...de quoi.
Des autres. De ce monde si...brutal. Toi tu as toujours eu cette sorte de douceur et de bonté...combien de fois je me suis sentie imparfaite face à toi. Je peux bien t’avouer une chose, tu étais mon modèle, et j’adorais te frapper pour me venger de cela, un peu.
- Un modèle ? murmura t-il, abasourdi.
- Oui. Tu as gardé cette incroyable gentillesse, tandis que je suis devenue...
Elle ne finit pas sa phrase et s’agita dans ses bras. La tête pleine de brouillard André la perçut se hausser vers lui et déposer un long baiser sur sa joue.
“Merci...” ponctua t-elle d’une voix lointaine.
Comment réfléchir, maintenant !
Elle avait pris appui sur sa poitrine et sa main y restait, tranquille, du diable s’il pouvait aligner deux pensées cohérentes à la suite.
- André...je vais faire quelque chose qui ne va pas te plaire...Mais s’il te plait, ne dis rien, pas ce soir tu comprends...
Elle se haussa encore et déposa un nouveau baiser. Sur ses lèvres. Pas lui plaire ? Il se consuma sur place. C’était trop immense, c’était si mal de la laisser faire...
Il avait envie qu’elle recommence. Demain, les autres jours, qu’elle revienne ainsi. Qu’elle recommence maintenant.
A la place elle chercha sa main pour lentement la mener contre le tissu de sa chemise d’homme, à elle. André crut mourir.
Son corps entier se tendit un peu plus à cause de sa paume ainsi posée sur son sein tendre, un rien de conscience lui ordonnant l’imperceptible mouvement de recul. Imperceptible, seulement, la main d’Oscar si persuasive à ce qu’il reste, là.
- Arrête, Oscar, ne fais pas ça...
Elle le força à la regarder, enfin. L’attrait de ses lèvres explosa aussitôt en lui, trop d’années de respect lui hurlèrent de ne pas l’embrasser et il se contint, sans savoir comment.
- Je sais que mon père a créé une erreur de la nature, que je suis une sorte de...monstre, et toi tu es tellement magnifique. Je voulais mourir, c’était ça mon secret...mais maintenant ce dont j’ai envie c’est...toi...de...
- Quoi ? Tu voulais...mourir, réussit-il à articuler. Je...je t’interdis de...et cesse de me regarder ainsi. Il ne faut pas...
Se moquant éperdument de ce qu’il pouvait dire, elle recommença, un baiser volé, sur ses lèvres closes.
- Tu es la bonté incarnée, André...je me sens si laide face à toi, bien sûr que je suis un monstre...je sais que je t’agace continuellement mais ce soir, j’avais envie de...
L’agacer ! Il ne put en supporter davantage, ses lèvres fondant tendrement sur les siennes. Aussi maladroit qu’elle pouvait l’être, l’embrassant encore, et encore, jusqu’à la faire ployer entre ses bras.
- Je t’interdis...de dire ce genre d’inepties, hacha t-il entre d’innombrables baisers.
Chaste, sulfureux, goûtant ses lèvres André perdait l’esprit à ce simple mot, “envie”. Elle avait envie de lui ! Lui apprenant les baisers, comme elle-même lui apprenait, empruntant ensemble la découverte du désir alors qu’il caressait de sa langue la pulpe de cette autre, offerte, sans plus pouvoir s’arrêter.
Pour reprendre son souffle elle entoura son visage de ses deux mains, fouillant ses yeux, sous un abandon qui le bouleversa.
- Si, je suis un monstre, chuchota la jeune fille. Parce que...je veux que tu me prennes dans tes bras, que tu caresses ma peau...je.. J’ai peur tu sais, je voudrais juste...tes mains sur moi...
Et ses mains, à elle, qui délacèrent sa chemise pour découvrir son torse d’une sorte de fièvre.
- Tout ce que tu voudras, Oscar, tout ce que tu voudras...
Il bredouilla sa dévotion. Par un immense effort il reprit sa bouche d’une infinie sensualité pour tenter de calmer le feu de ses reins. La manière dont elle y répondit ne pouvait calmer quoi que se soit mais il tint bon, prenant son temps, rendant chaque baiser un peu plus savoureux que le dernier, ou bien si léger qu’elle en quémandait un autre, puis encore un.
Elle étreignit son épaule, y puisa la force de ses muscles sans chercher à le dévêtir et cela le rendait fou de plaisir, de se contrôler ainsi. Lui aussi avait peur, d’une certaine manière. De lui faire mal, de l’effrayer, ou bien la briser de voluptés trop intenses, son cerveau luttait désespérément pour doser chacune de ses caresses. Il n’avait pas le droit de se jeter sur elle dans un besoin effréné de possession, il ne le pouvait simplement pas. Mais il se sentit devenir dur à la seule idée de l’avoir nue contre lui et fit durer la pression de sa bouche sur la sienne pour en repousser encore l’échéance, à la limite du supportable.
De tant de science instinctive même qu’elle reprit sa main, pour la guider sur les liens de sa chemise. Elle voulait cela, et lui en perdit le souffle.
Allongé contre son flanc André écarta les pans d’une lenteur étudiée, exposa la poitrine ravissante à ses doigts aériens. Il la dévora des yeux, puis capta les sourcils froncés au-dessus du regard azur, un instant il retrouva ses airs d’enfant butée. De manière absurde il eut envie de pleurer, de reconnaissance, et de désir, sa main virile contre la peau incroyablement douce et fine. Tendrement, sans cesser de la dévisager il éprouva le grain de ses seins sous la pulpe de ses doigts patients, quémandant inlassablement la raideur de leur pointe. A chaque passage elle se tendait, un peu, exhalait un soupir qu’elle contenait aussitôt en se mordant la lèvre, les joues toujours un peu plus échauffées. Il devina que ce toucher lui procurait un tourment secret, comme lui-même pouvait en éprouver. Son pouce s’attarda sur ce bourgeon éveillé et il vit ce corps si incroyablement gracieux se cambrer vers lui. Il ne connaissait pas tout cela.
Une folle bouffée de fierté et d’orgueil le terrassa en entendant le gémissement plus fort d’Oscar, comprenant qu’il pouvait sans conteste la troubler au-delà de toute mesure.
Il recommença, agaçant tendrement chacune des pointes de ses seins menus jusqu’à lui faire gémir son prénom.
Elle le modula d’un ton lascif qui faillit lui faire perdre définitivement ses moyens; sa main revint aussitôt vers le tracé plus délicat de son épaule pour rester maître de leur envie commune, puis sur sa joue où tremblait joliment la lumière sourde de la chandelle.
- Toi, un monstre...comment as-tu pu croire cela...
- Je te découvrais, durant toutes ces heures, murmura la jeune fille en regardant tour à tour son mâle visage et sa chemise trop ouverte. Je me rendais compte à quel point je pouvais te faire subir de vexations par mes paroles stupides. Oh si je suis un monstre, je...
Il la fit taire, de nouveau, essuyant de son pouce ce dernier mensonge s’attardant sur ses lèvres désirables.
- Prends-moi dans tes bras, garde-moi André, ne me laisse pas devenir cet être détestable...
Le jeune homme crut fondre de plaisir quand elle vint se lover étroitement contre lui.
7.