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Chapitre 14

 

 

 - Alors ?!

Personne ne se doute véritablement de l’horreur contenue dans ce simple mot lorsqu’on le reçoit de trop bon matin.

Parce que, justement, nos facultés encore endormies se répandent à ce point en innombrables réponses que choisir devient impossible, que réfléchir même tient du mirage, que comprendre enfin est de l’ordre de l’abstraction.
Si ce n’est que votre interlocuteur veut votre peau, ou bien vous faire passer pour un imbécile puisqu’il n’y a rien, strictement rien d’intelligent à rétorquer.

André hésita, entre ces deux dernières options. Mais la bouche venant de lancer ce lieu commun était à ce point charmante, si tentante - malgré les facultés endormies - qu’il ne pouvait se résoudre à porter le moindre jugement négatif sur elle. Néanmoins, il ouvrit la sienne, de bouche...et ne trouva effectivement rien à dire.

- Alors ! répéta t-on avec quelque impatience. Que se passe t-il encore, selon vous ?!

Bien la première fois qu’on le consultait de cette manière ! Avec tant de grâce. Sauf que la question restait tout de même  stupide.

- Je n’en sais fichtre rien, confessa finalement le jeune homme, appuyé contre une porte de grange et prêt au départ.

Du moins, c’est ce que lui et son impatiente compagne croyaient, encore un moment plus tôt. Descendus pour une fois dès l’aube, ils se voyaient à présent non seulement mis à l’écart mais retardés par le Général de Jarjayes en personne, qui ne cessait depuis cinq minutes de gesticuler en tous sens sous le nez de Girodel et d’Oscar.
Côte à côte, ces deux-là écoutaient ce qui semblait être une des célèbres colères du militaire ; pourtant, leur attitude paraissait étrange.
Enfin celle de Girodel tout du moins : il avait l’air de beaucoup s’amuser...

- Alors, et ma petite mallette ! A t-elle eu l’effet que j’espérais ? s’exclama encore Rose Bertin, décidément très en verve dans le flou.


Mais au moins, là, l’horreur se précisait. Cet “alors” avait un complément à peu près cernable, même si la réponse risquait d’être tout aussi peu informative.

- Non, je...je ne crois pas, bredouilla André. Je n’ai pas vu Oscar ce matin, vous savez...
- Flûte ! ragea la modiste en tapant son joli pied chaussé de satin. Votre amie n’est-elle donc pas curieuse, comme toutes les femmes, a vouloir ouvrir ce qui n’est pas à vous ?
- Vous savez, Oscar, “une femme”, c’est très vague comme notion...
- Ta ta ta, mon petit André, vous n’y connaissez que pouic !
- “Que pouic” ?
- C’est une expression qui fait fureur à la Cour. Vous n’y entendez rien, là. Cette mallette, était l’amorce de mon plan, voyons ! Elle contenait une partie de mes parfums, de mes poudres, de mes mouches...

Encore ces maudits insectes ! Le jeune homme se souvenait des avis du Général sur le sujet, prétendant qu’on devait comprendre leur langage pour être un homme du monde ! Le fou !

- Vous transportez des insectes ? s’exclama donc un André, effaré.
- Pardon ?!!
- Quoi ?!!

Le quiproquo voleta un instant, le temps que les trois autres, plus loin, ne s'expliquassent encore plus vivement.
Puis, brusquement, la Révélation.
Le Ciel sur terre. L’Illumination même, ne soyons pas mesquins.

André comprit enfin, le POURQUOI des mouches dans la vie d’une femme ! Sur son visage, plutôt. Et...sur sa gorge. Il faillit s’étrangler en apercevant justement celle de la jeune femme. À la fois la mouche, et la gorge, discrète pour l’une, somptueuse pour l’autre.

- Remettez-vous, mon garçon, finit par soupirer Rose en levant les yeux au ciel. Ce n’est qu’un bout de feutre, je ne vous parle même pas du jus de citron dans le blanc de l’oeil...

Ce n’était pas au bout de tissu qu’il pensait.
Il se reprit, sans chercher non plus à piocher l’utilisation du citron dans la vie d’une femme, tout cela était déjà bien trop pour lui.

- Hum...pardonnez-moi Mademoiselle, mais vos...enfin les parfums et les poudres...quel est donc le rapport avec Oscar ?
La jeune femme le regarda comme si trois cornes venaient de lui pousser.
- Ne m’avez-vous donc pas écouté, hier ? Il FAUT que votre amie revienne à la raison, par tous les dieux ! Un...un garçon, cette si belle personne ! Voyons...c’est une hérésie que je ne puis permettre, ah sapristi non. Il faut donc bien que quelqu’un s’occupe de lui donner le goût des belles choses !
- En se tartinant la figure ? pouffa André.
- Mon cher garçon, vous êtes fait à ravir mais décidément vous n’y connaissez rien...haussa Rose des épaules.
- Je...c’est vrai ? Vous me trouvez, comment dire...
- Beau ? Evidemment, quel benêt vous faites ! s’exclama la jeune femme en riant de bon coeur. Est-il charmant avec ses airs d’innocence ! Vous aussi feriez fureur à la Cour et...ah, mais qu’ont-ils cette fois, partirons-nous à la fin ?
 

Soufflant une nouvelle fois - à son corps défendant - une conversation fort intéressante, Oscar focalisa toutes les attentions. A présent, la jeune fille avait l’air on ne peut plus confuse...

S’ils avaient osé s’approcher, la modiste et son séduisant compagnon auraient sans doute été tout autant stupéfiés par la teneur du propos du Général, ce dernier justement montant d’une audace dans sa gestuelle.

- Je veux, entendez-vous, des résultats drastiques ! Doublons tout ! Les leçons, les conseils, deux fois plus ! Assénait-il aux deux jeunes gens.
- Mais, père...protesta faiblement sa “fille”, complètement atterrée.
- Suffit ! Monsieur de Girodel, je ne vous aime pas beaucoup... siffla le Général littéralement sous le nez du lieutenant.
- Vous m’en voyez navré, salua l’interpelé d’un sourire démentant tout espèce de regrets.
- Je ne vous aime pas, pourtant vous allez agir en tous points selon mes plans !
- Avec le plus grand plaisir, Général...s’amusa encore le jeune homme en jetant un coup d’oeil évocateur à sa compagne, qui devint irrémédiablement écarlate.
- Je VEUX voir mon fils se transformer en quelque chose de...de...
- De différent ?
- Mais non...ce n’est pas cela ! De...
- De conquérant, peut-être?
- Non, diantre ! AHHH ! Je ne trouve pas le mot...tudieu ! De...de...DE SOUPLE, voilà !! Je le veux voir devenir souple, de geste, d’allure, avec les femmes, en toutes circonstances, SOUPLE !
- Assouplir votre fils, voilà qui est...disons, plutôt ardu...susurra Girodel d’une voix toujours aussi discrètement enjôleuse.
- Ne faites pas le finaud ! Comme je vous l’ai dit, je garde l’oeil sur vous : des résultats, Monsieur !
- Et de la souplesse...
- Exactement ! Souple, en toutes choses !
- Je vous en prie, père...
- Ne prenez donc pas cet air de victime, monsieur mon fils ! Cela n’est pas...
- ...souple, compléta Girodel, au bord de la crise de rire caractérisé.
- Exactement ! Ecoutez ce forban, il sait de quoi il parle, tudieu ! Le rôle d’un père est impitoyable, voilà la vie. Vous êtes un bon fils, après tout, mais écoutez et apprenez, c’est un ordre !

Et de partir d’un coup de genou impitoyable et...souple, bien entendu.
Oscar, elle, n’osait rien faire de brave, contrairement à ses habitudes. Complètement désorientée même, quand le lieutenant put enfin donner libre court à toute la “terreur” que venait de lui inspirer pareil discours.

- Girodel, reprenez-vous je vous prie, on nous regarde !
- Qui, André ? Il aurait été tout aussi réjoui que moi d’entendre la fureur de votre père, articula le lieutenant en essuyant ses larmes d’hilarité. Et vous qui aviez cru à...de bien d’autres remontrances, mon dieu !
- Et comment pouvais-je deviner ! ragea Oscar tout bas. A la place cet étalage...grotesque ! Je vais mourir de honte...
- Allons, ce n’est pas si grave que cela...Si mon père était encore de ce monde il est probable qu’il fut tout autant aveugle et ridicule en de telles circonstances. “Souple”, voilà bien une notion venue de l’ancien temps ! Et qu’il n’est peut-être pas inutile de développer après tout, qu’en pensez-vous...
- Girodel !
- Décidément, mon prénom ne sera pas pour aujourd’hui. Puis-je vous faire part de l’envie furieuse qui est mienne de vous embrasser devant tout le monde, juste à cet instant ?

Oscar le regarda avec une sainte horreur, elle, sachant pertinemment qu’il disait vrai. “Tout le monde” n’étant constitué que de son compagnon d’armes et la modiste, de trois chevaux et quelques poules, mais tout de même, cela ne se faisait pas de dire des énormités dès l’aube dans les cours d’auberge. Et d’en rajouter, pour faire bonne mesure.

- Je n’ai guère dormi, cette nuit. Je pense d’ailleurs vous livrer les quelques pensées qui me sont venues durant ces prochaines heures de voyage, et...
- Alors, quelle était la cause de tout ceci ? Votre père était dans tous ses états !

Tout comme Oscar. La jeune fille cacha sa gêne rougeoyante à Rose Bertin l’Inquisitrice, à moins que ce ne fut la contrariété plutôt, de ne pas entendre ces fameuses “quelques pensées” aussitôt.
Ce lieutenant allait la faire mourir lui aussi, mais certainement pas de honte.
Il choisit d’ailleurs de lui venir en aide, décidément charmant. Et de réelle bonne humeur. Et l’oeil pas du tout cerné, tout d’élégance et...de souplesse, tiens.

- Ma chère Rose, vous êtes le soleil de cet hiver sans fin.
- Je, oh, merci Lieutenant ! Vous êtes adorable, comme d’habitude. Le Général, par contre...
- Au contraire, il était très impatient de régler quelques...détails avec son fils, puis de partir sur-le-champ. Il ne faudrait pas tarder, justement.
- Ah, ces militaires ! soupira la jeune femme. A propos de fils, il me vient...
- Oui, comme vous avez raison Monsieur de Girodel ! s’exclama précipitamment André, sur des charbons ardents.

Un peu plus et s’en était fini de lui ! Pas du tout le moment qu’Oscar découvre sa bévue des soirs de taverne, décidément cette Bertin était bel et bien une pipelette. Solaire, magnifique, avec des mouches fort intéressantes partout, mais une diablesse de pipelette tout de même.
Tout le monde était décidément prêts à sauver Oscar de quelque chose, aujourd’hui...

L’intéressée ne songeait pourtant à remercier quiconque, bien trop occupée de se composer une contenance à la seule perspective du voyage tout proche. Seule, avec...ha, du diable si elle oserait prononcer son nom un jour !
Ce nom intime, qui lui brûlait les lèvres. Et les yeux, aussi. Ne rien voir était une solution très satisfaisante, elle l’appliqua aussitôt malgré son coeur bondissant. Il s’assit pourtant très convenablement en face d’elle, sans un mot. Sans le moindre geste ni amorce de paroles, à son grand désappointement.
Silence qui s’installa bel et bien, à tel point que la jeune fille bénit le bruit des fers et des hennissements de chevaux dans le vent : cela masquait à peu près les remous effroyablement rapides dans sa poitrine.

Après une interminable attente, ayant détaillé à l'envi les bottes d’un noir luisant de son lieutenant, Oscar décida tout de même de commettre l’irréparable : ses yeux en cueillir d’autres, brillants de renversante douceur, non moins que le sourire en dessous, d’ailleurs.
Cette tendresse inattendue la bouleversa et lui coinça son peu de témérité au fond de la gorge, n’émettant qu’une protestation dérisoire.

- Quoi !


Il était bien loin le temps où sa hargne tenait lieu de promesse de guerres. Un petit souffle et puis s’en va, subjuguée par la clarté sereine qu’il dégageait Oscar ploya de nouveau le visage. Sans vraiment le quitter des yeux, en dessous, par intermittence. Sa curiosité la dévorait trop pour qu’elle se taise bien longtemps, de toutes façons.

- Hier...hier soir, cette nuit...juste avant de partir, vous n’étiez pas sérieux, n’est-ce pas...continua t-elle.
- Sur mes dispositions à rester ?
- N...on, sur...le fait que je vous...de dire que je vous faisais peur, cela n’était pas vrai...déglutit-elle.
- C’était vérité, au contraire.
- Je ne comprends toujours pas...
- Que je puisse vous craindre ? sourit-il. Cela est, pourtant. A cet instant également, pour tout vous dire.
- ......

Croisant les bras, il pencha la tête en fin observateur qu’il était.
- De quoi ai-je donc peur, excellente question en effet. Et bien...de perdre le contrôle, tout d’abord.
- Que...voulez-vous dire ?
- Ne pas pouvoir contenir le peu d’attrait que j’aie pour vos vêtements d’homme, par exemple. Et, incidemment, vouloir vous les enlever sur-le-champ.
- Pardon ? murmura Oscar dans un mouvement de recul, ce qui le fit rire aussitôt de manière irrésistible.
- Ne craignez rien, je ne suis pas un pervers savez-vous ! Non...je parle non pas d’une manoeuvre de démolition de tissus, à rendre cette pauvre Rose Bertin malade d’épouvante, non...Mais de quelque chose d’infiniment plus sensuel, où je n’aurais guère grand-chose sur moi non plus, je le crains.
- Et...et...quoi d’autre ? articula Oscar encore plus bas, confuse d’envies sous cette image plus que précise et scandaleuse, énoncée pourtant si calmement.
- Hum...ce que je crains le plus, peut-être, viendrait juste après je pense. Par voie de conséquence en quelque sorte. Perdre le contrôle de mes sens, cette fois. Comme ne pouvoir me retenir de poser les lèvres sur votre corps entier. Là encore, pas de manoeuvre de démolition, je vous rassure.

Il semblait si léger, si sûr de lui...et combien elle enviait cette élégante désinvolture ! Mais à mieux regarder ses mains, posées de chaque côté de lui sur le cuir de la berline, la jeune fille constata qu’elles étaient blanches de crispation, poings serrés. Et curieusement, ce petit détail lui envola le coeur. Il se retenait...pour elle ? Impression fugace, les paroles qu’ils proféraient n’étaient pas pour la paix des coeurs ; vraiment pas. Elles attisaient au contraire ce manque bien curieux, s’épanouissant au creux de son propre ventre.

- Et puis c’est vous, la première, qui cette nuit m’avez embrassé, continua ce redoutable adversaire. Manoeuvre traître si je puis me permettre, car depuis le goût de ce baiser m’obsède à n’en plus finir.
- Vous n’avez pas été en reste, grogna la jeune fille.
- Certes. Mais l’ouverture des réjouissances était vôtre...et il me revient donc de ne pas les poursuivre. Ne pas...franchir le rempart que constitue votre armure, Oscar.
- Je...ne vous suis...pas, balbutia t-elle, désagréablement intriguée.
- Je vous l’ai déjà dit, je crois. Je ne suis pas homme à refuser ce que l’on me propose. La prochaine fois, je sais, entendez-vous, je sais que je ne pourrai vous résister. C’est ainsi. Seulement, vous ne percevez aucunement les conséquences.
- Expliquez-moi, alors...se força t-elle à demander, pas sûre du tout que la suite la séduise plus que cela.

Toute trace d’humour avait disparu. A la place, encore une fois, cette sorte de tension très légèrement dangereuse parce que tentante, entre eux. Outre ses poings, il fit saillir ses mâchoires, son beau regard gris planté dans le sien.

- Je ne puis me contenter d’un ou deux baiser entre deux portes, Oscar, certes pas avec vous. Non plus d’une caresse fugitive et...courtisane. Déférante. Nuancée. Et je pense que vous le savez, le pressentez plutôt. Je veux le feu, la morsure, la reddition réciproque. Et pas par défaillance, par ennui, ou simple curiosité. Je veux être en vous, je veux vous faire connaître cela. Pas une nuit, mais d’autres, durant beaucoup d’autres. Vous vous demandiez si il y a une recette immuable pour faire l’amour. Il n’y en a pas. Les corps s’apprennent, luttent, se fondent et s’apprivoisent, ou se rejettent. Je ne veux vous mettre dans l’oubli odieux d’une seule étreinte, Oscar. Je brûle de vous posséder oui, mais cela est égoïste, et vaniteux de ma part. Vous le voulez ou le voudrez avec un autre, je ne sais, je n’en supporte pas l’idée mais je n’opposerai jamais ma souffrance à vos désirs. Question d’orgueil assurément, ce qui me fait paraître froid et odieux, je le sais également. Je ne vous supplierai pas, Oscar, jamais. Néanmoins je ne veux pas vous perdre, dans tous les sens du terme : ni de réputation, ni...vous, ce regard que vous avez justement maintenant, à me donner les plus folles espérances et les plus inavouables envies. Je préfère encore la tentation inassouvie à votre... , il détourna le regard au dehors, mécontent. Voilà que je fais ce que je m’étais interdit ! gronda t-il. Vous imposer quoi que ce soit, comme le font tous ces gens autour de vous depuis votre enfance ! Je suis stupide, pardonnez-moi.

Oscar ne répliqua pas, mais “stupide” ne qualifia aucunement ce qu’elle venait - encore- de découvrir de lui. Le froid avait déserté ses entrailles. A la place...la dévastation pour cause d’incendie. Le chaos. Riche. Et foisonnant.

- Finissez votre phrase Girodel, c’est un ordre...reprit la jeune fille, d’une voix si douce qu’il reconquis le territoire de ses prunelles bleues.
- Votre...déception, Oscar. Au fond c’est cela qui me terrifie le plus...sourit-il à demi, contrit.  Je ne supporterai pas vous décevoir. Vanité, vous disais-je, vous voyez...cela n’est guère reluisant.
- Et...en avez-vous contenté ou déçu...beaucoup ?

Il se détendit quelque peu, sous la surprise, s’adossant pour mieux la considérer.

- Parleriez-vous de mes “pintades”, par hasard ?
- Ne vous moquez plus, l’expression était malheureuse je le reconnais, confessa t-elle en se retenant de pouffer, malgré son trouble. Je...oui, enfin je veux dire, en avez-vous connu...beaucoup ?
- Et puis-je connaître la raison de cette question, je vous prie ?
- C’est...c’est que, je crois...je suis sûre avoir cette peur tenaillée également, vis-à-vis de vous...Avoir envie de...de vous, et vous décevoir...comparée à toutes ces femmes si belles et féminines que vous avez connu.
- Alors ça, c’est tout à fait extraordinaire...souffla t-il, estomaqué.
- Que je réagisse comme toutes ces femelles ? gronda une Oscar affreusement mal à l’aise. Que je pense à celles qui...
- Que vous ayez envie de moi. Redites-le.

Elle ne redit rien du tout. Question d’orgueil, là encore ? Foutaises. Ce dont elle avait envie n’était pas de parler, voilà tout. Elle secoua la tête, butée.

- Vous êtes réellement quelqu’un de redoutable, rit-il de son apparente légèreté. Peut-être allez-vous en être offusquée, ou ne me croirez-vous pas, mais vous êtes la première que je désire à ce point ; mon corps en est comme aimanté, tenaillé au vôtre par quelque sortilège, je ne sais. Vous, décevoir ? Alors que c’est vous qui détenez le pouvoir, Oscar, vous qui pouvez faire d’un homme ce que bon vous semble. Vous ne le savez pas encore, c’est tout. Vous souvenez-vous de notre tout premier baiser, dans cette voiture d’ailleurs...Sans même savoir que vous étiez une femme, je vous désirais.
- Et si cela n’avait pas été le cas ?
- Vous, un homme véritable vous voulez dire ? Eh bien...j’aurais agi contre nature sans doute, puis me serai jeté du haut d’une falaise.
- Et si...et si ce “sortilège” comme vous le nommez, s’efface...Dès que...enfin, je ne sais comment...
- Je comprends votre crainte, la coupa t-il, attentif. Je sais à quoi vous faites allusion. Mais cela est vrai pour vous, également...là encore vous avez tout pouvoir pour me laisser le corps en miettes...

La jeune fille se força à faire des sourcils méchants : elle ne savait véritablement jamais quand il plaisantait ou non, le mécréant !
Et bon sang, comme cela était vrai aussi qu’elle avait envie de lui ! Qu’il la touche, qu’il franchisse le peu de distance, au lieu de se débattre dans des scrupules hors de saison ! Pour être honnête, c’était justement cela qui l’attirait tant. Lui renvoyer ainsi une image d’elle à ce point séductrice faisait fondre toutes ses colères intérieures, et le besoin d’arracher ses vêtements, à lui, se précisait de minute en minute.
Mue par une impulsion subite elle se leva, s’assit de façon brusque à son côté mais la tête détournée de lui. Du diable si elle aperçut quoi que ce fut du paysage...

- C’est vous qui êtes impossible, lieutenant ! mâchouilla t-elle, bras croisés. C’est vous qui proférez des choses indécentes, puis juste après d’une sagesse exemplaire ; comment voulez-vous que je m’y retrouve !
- En somme, tout est de ma faute...
- Absolument ! 
- Et vous avez conscience que de venir si près de moi, ne va pas du tout m’aider à me racheter...
- Libre à vous de vous asseoir ailleurs ! Je fais ce que je veux.

Le paysage sombra définitivement dans le brouillard lorsque sa main fut saisie, suivi de la caresse appuyée de lèvres...souples.

- Vous êtes gelée...murmura t-on contre ses phalanges.

Tant pis. Elle fixa la main virile enveloppant la sienne, puis remonta la pente fatale de la manche de houppelande, de la cape, scruta le regard si envoûtant sous la frange des sourcils sérieux. Elle se perdit dans sa contemplation, sans en perdre une goutte. Nettement plus intéressant que les bosquets anémiés de froid au dehors..


- Dites-moi, comment...de quelle façon pourriez-vous être...en moi ? chuchota la jeune fille, rosissant de sa propre audace.
- Il est temps, je crois, de suivre les conseils de votre père : intensifier les leçons. Qu’en pensez-vous ? dit-il en allumant pleins feux son sourire le plus ravageur.

 

 

 

14.

 

 

 

 

 

 

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