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Chapitre 18

 

 


- Et tu crois vraiment que je vais me laisser faire ?!

Fière de sa réplique, Oscar comprit bien vite qu’il lui faudrait inventer d’autres catapultes rhétoriques.  La colère c’était parfait habituellement, quelques jurons aussi; mais lorsque vous sentez contre vos fesses nues la splendide érection d’un homme que follement vous désirez, comment ne pas voir la...vacuité de certains arguments ?

- Alors défends-toi, Capitaine...grogna le magnifique assaillant.

La jeune militaire s’accrocha au rebord du lit, tandis qu’une chair brûlante sillonnait sa peau moite.

- Tu m’a...gaces, déglutit-elle. Tu veux des parties de lit, chacun son camp, et puis tu changes les règles, et...Retournez donc dans votre tas de draps puisque vous vouliez dormir, Lieutenant !
- Il va falloir trouver mieux pour m’empêcher de te refaire l’amour.

Un ravage, que ce jeune homme. À cette dernière menace Oscar perçut ses instincts se débrider, bousculant les maigres réserves furibondes dont elle disposait. Qu’avait-il dit un peu plus tôt, bon sang...l’homme, la femme, les duels amoureux...la jeune fille maudit ce qui se passait contre ses reins, comment se souvenir de l’essentiel ! D’autant qu’une main très assurée venait de se couler contre son sein, par-dessus le brouillard de ses cogitations. Comme d’habitude son corps n’en fit qu’à sa tête, maudit soit-il lui aussi.. son propre bassin s’animait d’une danse insidieuse et lascive, visiblement très au goût du membre tendu.
Les soupirs se firent aussi présents que les craquements de ce lit précaire.

- Girodel, tu disais vouloir dormir ! essaya t-elle encore.
- Eh bien...je dois rêver alors. Ton corps obsède mon sommeil, je vais l’honorer comme jamais et me réveillerai peut-être dans ma chambre en me...Tudieu !

Oscar crut recevoir une douche glacée lorsque l’étreinte se brisa d’un coup. Tout comme ce lit d’ailleurs, qui faillit bel et bien rendre définitivement l’âme. Hébétée, elle regarda la haute silhouette maintenant debout et plutôt agitée, en ce que la pénombre permettait de deviner.

- Qu...quoi, qu’est-ce que t...
- L’aube, Oscar ! Il va faire jour dans moins d’une heure et ce château va s’éveiller comme une ruche bien plus tôt encore. Crois-tu vraiment qu’il soit au goût de ton père d’apprendre par la femme de chambre que son “fils” a un amant ? S’il m’a demandé de m’occuper de ton...éducation, je doute fort qu’il goûte cette nuance de langage vois-tu ! Ta réputation serait réduite à néant et ce n’est pas ce que je veux. Je ne pourrai supporter que par ma faute ta vie devienne un enfer.
- Mais...tu ne vas pas me laisser maintenant !

Il ranima le feu, ce qui permit à la fougueuse militaire d’apprécier tout ce qui venait de se passer cette nuit. Cet homme-là. Ce charme-là.
Une envie morbide la terrassa : Girodel avait raison, son père la crucifierait s’il voyait la nudité orgueilleuse et racée étalée sous ses yeux. Son géniteur la privait de...cela; elle eut envie de meurtre.

Ne songeant même pas à se couvrir, la jeune fille vint devant le feu, non pas celui de l’âtre mais bien l’autre, provoqué par les fesses et l’harmonie solide des épaules larges, déliées de beauté virile. Lui eut comme un choc à la découvrir, trop proche, à la lueur des flammes.

- Je ne veux pas que tu partes, Victor.

Aucune tendresse. Presque méchanceté au contraire, un ordre, et surtout bien plus grande nudité encore que ce qu’elle lui offrait physiquement. Ce fut cette dernière qu’il contempla pourtant, sourcils froncés d’avidité, en ce regard sérieux qui l’intimidait si fort.

- Tu es tellement belle...

Il prit le jeune visage tendu vers lui, pressant sa verge toujours pétrie de désirs contre la peau d’albâtre.

- Tu deviens mon engeance, Oscar, murmura t-il au-dessus des lèvres entrouvertes. Un tourment de chaque instant en songeant aux heures de solitude qui vont m’éloigner de toi. Et cette guerre-là, je dois la perdre. Le manque va devenir notre compagnon de route, parce que c’est ainsi; songe seulement à l’instant où je te retrouverai...

Damnation.

Il l’embrassa, si doucement qu’Oscar en eut mal. Puis, lèvres serrées, elle le regarda collecter les habits épars, renouer l’élégance formelle tout autour de son corps de statue. Sans plus de mot ni de regard, aussi leste que le vent qui s’engouffra un temps lorsqu’il sortit par la fenêtre. Frissonnante d’une brusque pudeur, la jeune fille se précipita pour claquemurer le tout et revint sous les draps encore tièdes. Son parfum, ici...
Stupide brûlure ! Songeant que quelques heures plut tôt cette même envie de pleurer la tenaillait précisément parce qu’il n’était pas là, Oscar perçut très exactement toute l’ampleur de son horrible destinée. Un tout petit peu satisfaite au fond qu’il ne voit sa faiblesse, quelque chose grandissait doucement à mesure que l’absence faisait déjà son oeuvre. Ses caresses...
Maintenant réchauffée et affreusement malheureuse, la jeune fille ne put s’empêcher de mener sa main entre ses cuisses, guettant des signes absurdes. Elle était la même, et tout avait changé. Un effleurement maladroit ranima ses envies. Là...exactement là il l’avait embrassée. Complètement possédée. Jusqu’à quand...

- Ça ne se passera pas comme ça !! hurla la fougueuse en faisant voler larmes et draps.

Non mais, était-elle de ces femelles serviles aux nerfs déréglés ? Hier une arme de guerre devant laquelle pliait des garnisons entières, et pleurnichant à présent sur la perversité d’une étreinte avortée ! Ah jamais, ce plaisir était son dû, et foi de Jarjayes l’homme qui venait de quitter sa chambre devait y revenir dans les meilleurs délais. Dans son lit. Et dans son corps...Frémissante de froid et de fureurs elle se vêtit et constata qu’une demi-heure était passée, déjà, sans lui. C’était trop. Elle ouvrit la porte de sa chambre à toute volée, décidée à affronter le seul écueil véritable, malgré la langueur invraisemblable qui l’étranglait.

Le Lieutenant n’avait pas tort. Un bruit confus animait déjà la cour d’honneur devant l’édifice. Leurs voitures que l’on préparait, probablement. Partir, toujours, attendre une hypothétique autre nuit...

D’une hargne terrible elle fendit les couloirs, aurait volontiers trucidé le moindre serviteur croisant son chemin mais, grâce à Dieu, aucun malheureux ne vint perturber sa progression.
Elle respira un instant pour se donner du courage, face à l’antre méphitique.

- Par la sainte barbe de mes ancêtres, déjà ?!!

Si le corps de Girodel lui retournait toujours les sangs, la vue qui s’offrit faillit coûter la vie aux prunelles d’Oscar. Soudain, les notions floues se firent affreusement aveuglantes : son père gardait sa perruque même en dormant. Seulement la chose avait tourné et changé de cap, le noeud sévère à présent sur l’oreille gauche. Sévèrement de travers, pour tout dire.

- Avez-vous vu un fantôme ! Dois-je vous prévenir que je goûte peu les plaisanteries à cette heure ? Qu’avez-vous !
- Je...j’ai à vous parler...père.

Difficile de se remettre de telles contemplations capillaires...mais le désir fut le plus fort.
Le besoin. Son corps appelait les mains de son Lieutenant, elle en aurait crié. L’envie de meurtre ressurgit, mais la nature prudente d’Oscar refit surface et lui souffla de remettre le carnage au jour de son retour à Jarjayes. Quitte à équarrir son père, autant le faire dans un décor chaleureux et familier. Question d’éducation.

- Père, d’horribles choses viennent de se passer !

Hum, le ton un peu violent peut-être...Un élan très tentant faillit lui faire décrire en détail la folle scène d’amour qu’elle venait de vivre, mais “horribles” n’aurait plus convenu. Indécent, hum...percutant ? Plutôt in....

- Si vous me parlez de votre comportement de la veille, assurément !

Le souvenir de ses remarques douteuses ramena la jeune fille à la réalité. Bon sang, mais qu’avaient-ils tous avec ce laideron !

- Je...j’irai m’excuser dès le...et puis non, après tout, peut-être est-elle complice de ce complot abject !
- Pardon ? Complot ? Quelle chanson me chantez-vous donc, monsieur mon fils !
- Ah père...je dormais hum...bien calmement lorsque surgie d’on ne sait où, une main perfide comme une tombe a cherché à m’étrangler...
- Quoi ?!
- Parfaitement. Je...je me suis débattu et ai presque assommé l’assaillant...presque : las, ce maroufle s’est échappé et je n’ai rien pu voir. Il se peut que cela soit une femme, à bien y songer...Et puis le Lieutenant de Girodel a surpris de très curieuses conversations hier soir, dans les écuries.
- Et qu’allait-il faire là-bas, je vous prie !
- Qu’en sais-je, je ne passe pas mon temps avec lui ! protesta une Oscar admirablement pétrie de mauvaise foi. Ce que je sais, c’est qu’il confirme mes soupçons : m’est avis que le maître des lieux et sa fille pourraient fort bien être des traîtres à la solde de quelque obscure puissance. Après tout, nous sommes des émissaires français...Vous l’avez dit vous-même, père ! Plus nous approchons de Russie et plus les ennemis flotteront autour de nous telles des ombres inquiétantes...et bien voilà, nous y sommes !

L’auguste général et sa perruque restèrent dubitatifs, avant d’opérer une ellipse spéculative autour du tapis.

- Un complot...voilà bien de l’extraordinaire...et nous qui devions partir ce matin...
- Il ne saurait en être question, père ! Inutile d’avertir André et Madame Bertin, ni vous-même de rien laisser paraître...Nous...je veux dire le Lieutenant et moi pourrions en revanche mener une enquête des plus discrètes...durant quelques jours.
- Mais...mais et nos délais, nous devons être en Russie bien avant que ces maudits diplomates anglais ne puissent distiller leur pernicieuses idées dans le cerveau échauffé de la Tsarine !
- Nous y arriverons...et puis nous assurer que des criminels ne peuvent nous nuire serait un avantage !
- Certes...vu sous cet angle...
- De plus, le Lieutenant pourrait parfaire ses...ses leçons, ce qui ne me serait que profitable.
- Quelle fougue, monsieur...remarque soudain le Général d’un air soupçonneux. Je ne vous savais pas si diligent à obéir à mes injonctions, habituellement.
- Heu...c’est que...Monsieur de Girodel est peut-être plus compétent que je ne voulais le croire...Ses...ses efforts portent leurs fruits, vous devriez vous en jouir...vous en réjouir !
- Hum...je ne l’apprécie guère. Mais vous avez peut-être raison. Et bien soit : deux jours, pas un de plus pour découvrir la vérité !

Merveille...
Des heures et des heures à passer dans ses bras...De nouveau dans le couloir, Oscar se râpa pourtant le nez contre une contradiction de taille : engluer son père dans les invraisemblances était une chose, faire de même vis-à-vis d’un certain séduisant regard gris lui apparut tout à fait impossible. Du fait même de sa perspicacité, déjà ; elle était tout à fait sûre de bafouiller et d’essuyer une remarque aussi tendre que sarcastique. Parce qu’il faudrait expliquer la cause de ce machiavélique échafaudage...La cause, foutre non ! On ne peut se débarrasser si aisément de trop d’années d’orgueil, du diable si elle avouerait ses envies...justifier un quelconque “complot” commençait à devenir ridicule. Dans quel guêpier s’était-elle encore fourrée !
Mais retrouver la peau chaude et admirablement masculine sous ses mains...Oh et puis foin de l’attente : deux jours ! Cela n’était pas deux siècles. Alors pourquoi languir dans ce couloir plein de courants d’air lorsque une tentation pareille vous attend à l’autre bout ?

Remontant le courant des tapis de prix et déjà frétillante, Oscar n’hésita cette fois pas une seconde face à la porte de Girodel. Deux, trois fois...Quatre ?

Alors voilà, quand elle se mourrait d’envies très peu avouables, Monsieur roupillait comme une masse bienheureuse ! Sans réaction ! Ni réponse ! Ah, le traître ! Lui jurer ses grands dieux qu’il ne rêvait que de la revoir, et... VOILÀ ! Pas question de savoir compter jusqu’à cinq...qu’il y reste, vautré dans ses draps médiocres, qu’en avait-elle à foutre de ce dieu de chair !

Mâchonnant sa rage elle réalisa soudain qu’elle avait faim également d’autre chose ; de plus...substantiel, d’infiniment viandard, même. Vouant son Lieutenant aux gémonies Oscar reprit le cours hostile des tapis pour la salle à manger. Elle aurait le ventre plein quand elle irait lui casser la figure, à ce maroufle.

On la regarda de travers, ce qui allait fort bien avec ses idées torves. Son attitude de la veille, encore ? Maudite guenon, voilà qu’elle avait glosé auprès de la valetaille...on la servit tout de même d’un air pincé, certes, la jeune fille n’en ayant rigoureusement rien à faire. De solides plâtrées se trouvèrent bientôt face à ses convoitises, étouffant agréablement la colère durant dix bonnes minutes...

- La perspective de se jeter sur les routes glacées ne vous coupe pas l’appétit, apparemment. Voilà qui est réconfortant...mal dormi peut-être ?

Oscar faillit envoyer les bouts innombrables de saucisses au quatre coins du salon.

- Vous ?! s’étrangla t-elle la bouche pleine, découvrant son beau tourmenteur de conscience négligemment appuyé dans l’encadrement de la porte, derrière elle.


Et il avait le culot de sourire, ce mufle ! Et de jouer les innocents ! Par tous les dieux, pourquoi cet oeil cerné brillant de malice scandaleuse la faisait fondre ? Non, bon sang de foutre, NON ! Du sang, de la vengeance persillée, voilà qui était honorable ! Et pas cet élan férocement plaisant au creux du ventre.

- Oui, moi, poursuivit-il en faisant signe au valet de le servir. Je constate d’ailleurs que ma vue vous emplie de bonheur, c’est saisissant. À moins que cet air de chien-loup ne soit dû qu’à votre ration de jambonneau : je vous assure que je ne vais pas me jeter sur votre assiette pour vous le dérober, savez-vous...
- Si c’est pour débiter des âneries vous pouvez fort bien aller brouter dans les auges des écuries, Girodel !
- Oh, mais mon odieux Capitaine de Jarjayes est de retour, quelle bonne surprise...

Ce charme...cela faisait bien son affaire, vraiment ! Elle savait bien que face à cette arme-là peu de choses pouvait subsister. Sauf sa rancoeur.
Et donc détesta le jeune homme d’autant.

- Je constate également ton oubli du tutoiement lorsqu’une farandole de salaisons se trouve devant toi, dit-il en passant près d’elle. Je le note.
- Inutile de prendre cet air caustique, Lieutenant ! le menaça t-elle de la pointe de son couteau gras. Reprenez vos sarcasmes, cela n’amuse vraiment que vous !
- Hum...nul besoin d’être fin limier pour deviner votre ulcération, très chère. Et constatant si chaleureux accueil, je subodore en être la cause ultime. Je crois même en deviner l’explication : vous...regrettez ce qui s’est passé cette nuit, c’est bien cela ?

Elle resta bouche-bée un moment.
Pas un instant cette idée ne l’eut effleurée, et la voix tendre et chaude dévidait l’atroce éventualité sans même hausser le ton. Le même sourire, la séduction intacte. Juste le gris de l’oeil voilé d’un soupçon de tension silencieuse.
La jeune fille se sentit très bête, soudain. Et définitivement bien élevée : Girodel ne devait plus rien ignorer de la nourriture qu’elle mâchait.

Fermant brutalement la bouche, elle déglutit difficilement. Deux actions simultanées qui la jetèrent dans d’intenses spéculations : s’excuser...voilà bien une notion improbable ! Les images indécentes de la nuit refirent surface, échauffant sa honte et son sang.

- Je vais moi-même bientôt m’attaquer à une montagne de charcuteries, cela va m’aider à supporter votre prévisible réponse, Capitaine. Aussi ne vous gênez aucunement de me dire votre vérité. Nous en tiendrons-nous là ?

Il ne se fâchait donc jamais...où donc avait-il acquis cette élégance de sentiments ? Encore une leçon qu’il lui faudrait apprendre de lui...Elle qui à tous propos s’embrasait de colères stupides ! Une enfant, face à un homme abouti.

- Je...suis désolée, pointa t-elle du nez dans sa serviette pour en dérober la rougeur et le gras. Je...c’est...
- Oui, je comprends. Souvenez-vous, je vous avais promis de ne jamais peser sur la moindre de vos décisions. Je m’en tiendrais à vos désirs et vous laisserais loin de moi. Je vais d’ailleurs veiller au chargement des bagages et vous faire voyager en compagnie de Mademoiselle Bertin. Je n’ai plus faim soudain, veuillez m’excuser...
- Non, Victor, attends !

Le serviteur debout non loin sursauta, très heureux au fond d’être congédié par le regard sévère de ce gracieux jeune homme blond. Ces français étaient des sauvages de toute façon, ils passaient leur temps à baragouiner des discours incompréhensibles la bouche pleine...

- “Victor” ? sourit-il. La catastrophe est imminente, alors...
- Cesseras-tu un jour d’être parfait ! poursuivit Oscar, sourdement furieuse. Et hypocrite : tu profères des horreurs en me les attribuant, puis tu t’enfuies !
- Ah...je suis donc en train de courir comme un lâche en ce moment même, opina Girodel d’un air inspiré, s’accoudant sur le bord de la table pour mieux admirer sa compagne.
- Tu...vous m’agacez, Lieutenant. Et puis taisez-vous. Ce que j’essayais de vous dire, c’est...c’est que...
- De la viande de si bonne heure ? Je crois que je vais tourner de l’oeil !

L’entrée froufroutante de Rose Bertin accompagné de son sempiternel André, essoré d’admiration, porta l’estocade. Ne pouvait-on avoir de conversation normale dans ce château de malheur ? Tout ceci n’était pas fait pour la tranquillité morale et mentale de la pauvre militaire, d’autant que Girodel toujours aussi galant, se leva aussitôt pour faire assaut de compliments sur la tenue de la belle modiste.
Il fallait bien admettre qu’elle était étourdissante...Avec une pointe de jalousie Oscar nota enfin que son séduisant prétendant ne se levait jamais, pour elle. Il lui avait fait bien d’autres choses cette nuit, mais...en vérité elle brûlait de se retrouver seule dans la même pièce que lui, sans devoir l’admettre ouvertement, bien entendu. Au diable les robes à fanfreluches !

- Nous ne partons pas aujourd’hui, asséna Oscar comme on ronge un os, statufiant la petite assemblée. Des...des évènements imprévus nous contraignent à rester deux jours encore. Rien de grave, mais il me faut entretenir le Lieutenant de Girodel immédiatement. André vous tiendra compagnie, Madame. Ne vous inquiétez de rien, profitez de ces instants de repos aussi agréablement que possible mais faites-vous discrets, la maison n’est peut-être pas aussi accueillante qu’elle semble l’être. Je vous en dirai davantage très bientôt.


Le tout débité de manière aussi avenante qu’une déclaration de guerre. Personne ne sembla s’en formaliser. Le dîner de la veille avait décidément marqué tous les esprits, André et Rose tenant visiblement pour acquis la rugosité abrasive du Capitaine de Jarjayes. Girodel, en revanche, affichait comme prévu un scepticisme évident...mais silencieux.

Oscar lui en sut gré, l’entraînant vers les cuisines puis l’isolement des écuries, happant au passage houppelandes et mitaines. Il gelait à pierre fendre, malgré un soleil timide.

Tête nue il la contempla en silence, sans songer à fermer le col de son manteau. Comment ne pas sentir, ressentir l’espèce de chaleur charnelle qu’il dégageait ? Tout cela causait décidément bien du désordre...Oscar serra les poings au fond de ses poches, incapable de comprendre ce qui la retenait d’aller s’y réchauffer. Si: l’explication, d’abord.

- Qu’avez-vous à me regarder ainsi ! entonna t-elle, subtilement hargneuse. Je ne porterai pas de perruque ridicule comme mademoiselle Bertin, si c’est ce que vous espérez !
- Je n’espère rien du tout. Pourquoi me dire cela ?
- Parce que...j’ai l’air d’un monstre à voir votre mine !
- Ah...j’adore votre esprit de synthèse. Vous avez un sens du résumé psychologique admirable, je dois l’admettre. J’aime beaucoup.
- Vous vous moquez !
- Moi ? Jamais. Les monstres sont mes péchés inavouables, ne le saviez-vous pas ? Et lorsqu’ils s’expliquent, je fonds littéralement.
- Vous désirez toujours avoir le dernier mot, c’est exaspérant, murmura une Oscar ne sachant plus que faire d’elle-même, soudain.
- Qualité que vous me disputez bien largement, dit-il dans un sourire très doux.

Front buté, Oscar réalisa encore une fois le peu de fondement de ses colères. En vérité il la séduisait, la tentait, et elle pétrie de stupide fierté tapait du pied.

- Alors ? Quels sont donc ces “évènements imprévus” ?

Il avança lentement, et se tint calme au-dessus d’elle, vraiment près. Sans plus bouger. La nature des conversations changeait du tout au tout, ainsi...bien loin des premiers affrontements assurément. Avec des yeux à vous faire oublier tout vocabulaire par-dessus le marché.

- Il...s’agit en fait de...Comment oses-tu dire que je regrette cette nuit Victor, comment peux-tu penser cela ? dévida Oscar très vite, concentrée sur les traits virils nettement tendus.
- Le fait d’être retourné dans ta chambre et de ne pas t’y trouver, peut-être...Je te promets la patience et me voilà comme un idiot devant toi, avoue que cela est brillant.
- Tu...étais dans...

Bonté divine ! Tandis qu’elle tambourinait comme une damnée contre sa porte, lui se trouvait...Une joie spectaculaire sans aucun témoin lui broya le ventre. La même impulsion ! Une égale envie...

- Je ne pouvais supporter de t’avoir quittée ainsi Oscar, comme un amant honteux. Ne pas te toucher, t’embrasser encore une fois, loin d’eux tous...Je me découvre hypocrite, tu avais raison : en vérité je n’ai que faire de la patience avec toi. Je te veux, c’est ainsi. Et maintenant, vas-tu m’expliquer à quoi rime tout ceci ? Nous devrions être depuis longtemps sur...
- J’ai menti.

Les doigts posés contre les lèvres viriles, ce n’était pas suffisant encore pour clore ses interrogations ; elle se haussa un peu et y posa sa bouche. Cela sonnait comme une excuse maladroite, cela ne convint aucunement au jeune homme : une porte de stalle les arrêta tandis que sa langue exigeait une plus grande reddition. Embrassée, par ce charme-là...la grange entière méritait de prendre feu sous un tel scandale ! Elle rompit l’étreinte, essayant de le maintenir loin d’elle.

- Avant je dois t’expliquer...je...J’ai inventé n’importe quoi. Je suis allée voir mon père, je lui ai parlé de traîtres à l’Etat, ici, prétendu que des ennemis grouillaient tout autour de nous, je...je n’avais pas envie de repartir, pas aujourd’hui.

A peine s’il la laissa finir. Le souffle lourd il crocheta sa taille, la plaqua contre une autre cloison en l’embrassant. Longtemps.

-  Et si je te demande pourquoi, tu me le dirais ? grogna t-il finalement.
- Jamais de la vie.
- Je m’en doutais. Saches que je connais des moyens extrêmement persuasifs...Bon sang il va falloir être prudents Oscar, mais de Dieu si je vais y arriver ! gémit le beau Lieutenant, très peu coupable.
- Je vous interdis de l’être.
- Ne dis pas ça, tu ne sais vraiment pas à quoi tu t’exposes !

Le regard de la jeune fille devint aussi consistant que ses genoux, quand il conquit son cou de manière impérieuse. Quelle remarquable façon de débusquer les traîtres...

 

 

 

18.

 

 

 

 

 

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