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Chapitre 22

 

 

- Laisse-moi passer, que j’étrangle cette espèce de fouine !

Girodel ne s’en lassait pas. Il la tenait tout à fait serrée contre lui, la laissant divaguer dans ses envies de meurtres et lui ne pouvait reprendre son sérieux.

- Je t’en foutrais des “terribles secrets”, moi !! Bon sang de foutre mais que va t-elle encore aller raconter ! Et à qui ! Mais lâche-moi nom de....

En lieu et place il l’embrassa. Les yeux mouillés de rire et le coeur chaud couvant ses fausses dérobades. Pas sûr que ses bras puissent la contenir toujours, la vieillesse venue...peut-être qu’alors ce serait elle qui le maintiendrait sous le joug de sa poigne impitoyable.
Cette image d’eux, tous fripés, le ravit.
Ce qui n’eut pour seul effet immédiat que de l’enlacer un peu plus, au cas d’un soudain accès de sénilité de sa part. Prudence est mère de toute sagesse.
Difficile de dire si elle appréciait : ses efforts pour se dégager tenaient autant de la colère que du désir, sa volonté d’atteindre ce qui faisait de lui un homme avec son genou pouvait légitimement laisser planer le doute. La saine douleur dans son dos le prouvait : Oscar au faîte du plaisir arrachait tout. Et comme lui aussi, au fond, cela promettait de bien charmantes perspectives de décorations de chambres...mais il tenait quand même à en sortir entier.

- Arrête te dis-je...arrête ! lâcha t-elle quand il consentit à faire de même de sa bouche. Elle enchaîna sur des propos absolument inintelligibles, ou bien alors ce fut lui qui devenait sourd. La vieillesse, damnation...A moins que de conquérir la peau échauffée du cou de la jeune fille y soit pour quelque chose, difficile à dire, il perdait un peu le sens commun.
- Je crois que nous sommes dans une très fâcheuse posture, finit-il par grogner.
- Mais je ne cesse de te le dire, lâche-moi!

Il y consentit, seulement à cause de la désagréable impression de ne plus rien pouvoir maîtriser, dans tous les sens du terme.

- Cela n’était pas censé se passer ainsi, bon sang ! Oscar, as-tu seulement conscience...nom de Dieu, c’est une catastrophe.
- Quoi !
- Naïve...et tu me poses la question ! Deux choses terribles nous menacent chère Capitaine, et je n’aime pas ça du tout.
- Si tu cessais de parler par énigmes ?!
- Rose Bertin a découvert la “vérité”, cela déjà est évidence. Pour toi, ta condition...je la soupçonne de mettre toute la bâtisse au courant en ce moment même.
- Je...vais la tuer te dis-je !
- Ne te gêne pas. Sauf que c’est hautement salissant et pour l’heure inutile : le mal est fait. Ton père en revanche va nettement moins apprécier les dons de la dame pour débusquer les secrets de famille. Peut-être même qu’il est en train de se charger à ta place de la charmante besogne de la découper en morceaux. Au cas où tu aurais pris ce penchant de lui, bien sûr...après tout je ne connais pas ta mère.
- Girodel !
- Allons bon, mon nom revient en force...encore un excellent signe. A propos de nom d’ailleurs, ne t’est-il pas venu à l’esprit que de crier le tien tout à l’heure comme je l’ai fait, va finir d’anéantir le peu de réputation qui nous tenait proches l’un de l’autre ? Comment poursuivre mon rôle de précepteur, je te le demande, si même il a jamais existé...Ce qui nous amène d’ailleurs à la deuxième catastrophe.
- Parleras-tu clairement à la fin !  jeta fièrement la jeune femme, poings sur les hanches.

Il pencha la tête, solaire.
- Tu es toute nue. Aussi hors de question que je te laisse tuer qui que ce soit avant d’avoir profité de la situation.
- Encore ?! s’étrangla t-elle, ravie.

Girodel n’avait pas tort, hormis une très légère surestimation de ses moyens peut-être.
A ceci près : Rose Bertin ne donnait pas dans la confidence explosive, tout simplement par manque d’auditoire.

- Mais sont-ils tous morts ?! dit-elle tout haut en s’arrêtant au beau milieu d’un énième couloir, tapant du pied.

C’est tout de même un peu fort, depuis ce matin impossible de mettre la main sur la moindre âme tangible !

Déjà le Capitaine qui jouait les courant d’air, ensuite son...

Incroyable comme un espace étroit et désert vous donne de ces fulgurances...
Aussi nette que la foudre déboulant parmi les tentures, une vision des plus nettes s’imposa sous le crâne gracieux. Girodel, de Jarjayes...le débrayé d’une chemise bien trop ouverte...

- Sapristi !

En un instant, elle sut. Comprendre une situation est une chose, mais la visualiser...

- Que je suis sotte, sotte, et triple sotte !

Rose mit la main sur sa bouche, confondue...Prions Dieu qu’ils fussent tous morts ici ! Exhiber de pauvres flacons de baumes alors que la plus belle et redoutable arme s’agitait sous le nez du Capitaine depuis le début ! Girodel, mais comment diable n’avait-elle pas deviné que ce fut lui qui pourrait tenter Jarjayes, plus sûrement que toutes les fanfreluches de la terre...
Et il était avec elle, en ce moment même ! Aveuglant. Sotte, au quadruple !
- Alors c’est terrible...dit-elle encore, décidément encouragée par le silence.

Avant que de pouffer.
- C’est merveilleux...les chers enfants !

A peu de choses près ils avaient le même âge; la nature romanesque de Rose Bertin lui donna aussitôt quelques décennies supplémentaires. Les protéger...délicieuse nouvelle mission ! Garder le secret, pour commencer. Arrêter de s’exclamer dans les couloirs aussi, n’était pas une si mauvaise idée. Oh, mais tout de même...Jarjayes et son Lieutenant...quelle heureuse jeune homme-femme ! Car travestie, tout de même...

Oh et puis foin des conventions, Jarjayes était un personnage selon son coeur, quoiqu’un peu revêche. Même après l’effroyable expérience des batailles d’auberge et de sa propre soûlerie, Jarjayes était parfait, avec ou sans e. Fort bien, mais.... : évidemment, trouver André, comme d’habitude ! En fait la jeune femme ne voyait pas bien ce que cela apporterait à l’ensemble, la contemplation de beaux yeux verts ne pouvait pas faire de mal cependant.
Parce que l’alcool comme remontant privilégié, à d’autres.
Peu rompue aux subtilités du pays de Prusse, elle commençait tout de même à connaître un peu le propriétaire d’un si prenant regard : l’odeur des saucisses.
Si tous les occupants désertaient les couloirs, la seule activité se concentrait là, toujours, dans cette salle à manger. Et peut-être un peu aussi dans une certaine chambre.

- Pourquoi riez-vous ? émit le jeune homme finissant justement sa deuxième assiette.
- Je...pensais à autre chose. Vous êtes divinement dégoûtant, comment peut-on ingurgiter une telle quantité de nourriture et rester aussi mince je me le demande !
- Quoi, je...
- Laissons cela, il y a plus grave ! André, il faut m’aider...
- Encore ! Ecoutez Mademoiselle je ne crois plus que ce soit une si bonne idée de...
- Taisez-vous, et éloignez ce plat intolérable.
- Il est vide...
- Il est gras, ce qui est pire. Et cette odeur...c’est plus que je n’en peux supporter ! Allons dans ma chambre !
- Pardon ? Il...

Rose Bertin soupira.
- Je vous aime beaucoup, mais ne vous méprenez pas : je ne vous ferai aucun mal. Il faut juste que nous parlions.
- Ah, bon...marmonna le jeune homme, comme vaguement déçu.


Exactement le ton que choisit Oscar, au même instant, assortie d’une formule lapidaire.

- Je n’aime plus ma vie...
- Concision et optimisme, tout toi, sourit-on à ses côtés.
- Je ne vais pas y arriver.

Et elle déroba son visage, ses bras balancés tout étroitement autour de son cou, à lui, pour faire bonne mesure.

Victor comprit l’ampleur du problème par ce simple geste, un moment il ne sut quoi rétorquer.
Lui pourtant si prompt à tout braver sans la moindre hésitation il se contenta de ne rien faire, strictement rien, si ce n’est de la tenir contre lui parmi les draps détruits.
Il apprécia le souffle qui spéculait de complexes notions, contre sa peau, comme rien de bon ne pouvait en sortir chaque seconde se devait d’être savourée.

- Je n’ai plus envie de sortir de ce lit. Moi aussi je te veux, et moi aussi...je t’aime.

Ses sourcils s’arquèrent résolument. Rien de bon ? Sa cage thoracique menaça d’exploser comme celle d’un freluquet maladroit tripotant un bouquet de violettes, juste après le tout premier baiser. Amoureux, lui, était jusque là une évidence; mais elle !

L’aveu de son vaillant Capitaine le tint littéralement commotionné : malgré toute l’expérience aboutie de sa séduction, il adorait. Plus gauche qu’un morveux, et il adorait ! Son cerveau reptilien chanta sa joie mais l’autre, nettement plus pragmatique, ne pouvait longtemps ignorer toute la portée de son “je t’aime”.
- M’en veux-tu beaucoup ?
Elle soupira, lasse et repue, laissant ses yeux seuls caresser le profil impassible qu’il offrait.
- Oui. De ne m’avoir séduite plus tôt. Tout aurait été plus simple je crois.
- Tu sais parfaitement que cela est faux. Tu aimes ta vie d’homme, Oscar, ne te mens pas...
- Depuis un instant je ne sais plus. Tu es si...j’aime infiniment ce que nous faisons, ton corps, tes caresses, toutes les fadaises que tu débites, c’est...cela me plait que tu me dises que tu me trouves belle.
- Tu ne détestes plus cela ?!
- Non. J’en ai envie, comme le reste.
- Mais tu es malheureuse...ta voix seule me le dit.
- Ce n’est pas ça. Je vais...je vais aller parler à mon père. Et sur-le-champ.
- Tu es folle !

Cette fois impossible de feindre la mesure. Elle se laissa étendre, alanguie de nudité sans même chercher à la voiler, vraiment commode pour avoir une conversation dramatique. Comme d’habitude déroutante de bravades et d’innocence.
Dieu merci ses ardeurs devaient définitivement reprendre souffle, mais jamais il ne pourrait lutter contre l’admiration ce qu’elle tenait si étroitement caché jusque là.

- Tu veux ruiner ta réputation pour moi, crois-tu que je vais te laisser faire ? Il ne saurait en être question Oscar, ni maintenant, ni jamais. Tu crois m’aimer, et ce n’est que du désir ! Tu ne connais rien à tout cela, Jarjayes, rien du tout.
- Agite-toi si tu le souhaites, Victor, sourit-elle de manière impromptu. Tu m’aimes et moi aussi, un point c’est tout. J’en sais désormais autant que toi.

Il se laissa retomber à ses côtés. Elle avait raison. Il mêla ses doigts aux siens en silence, confondu de se sentir heureux.

- Et que vas-tu donc lui dire...
- Qu’il peut bien aller séduire lui-même la Tsarine, je m’en moque, je reste ici avec toi.

Le jeune homme pouffa comme un écolier à l’idée du Général gobant l’auguste lobe. Allons ! Il fallait qu’il se ressaisisse et chasser le godelureau aux réactions bien trop dangereuses pour elle. La laisser se compromettre ainsi...réellement, elle ferait cela pour lui ?
Tout le portait à croire, en tout cas, témoin le brusque mouvement de hanches qui matérialisa sa décision.

- Non, Oscar, non ! Dieu m’est témoin que je suis absolument fou de toi mais cela je ne peux le laisser faire, pas de cette manière.
- Et que suggères-tu ? maugréa t-elle en rassemblant ses vêtements.
- Ne rien dire. Continuer ce voyage insensé et aviser.
- Lâcheté !
- Raison. Oscar, je suis ton Lieutenant...un séducteur notoire, ton inférieur hiérarchique...
- Et Comte, et...et bien plus loyal et royal que tous ces margoulins s’agitant autour de moi depuis ma naissance !
- Je suis flatté. Mais, vois-tu, je m’étais habitué à tes colères invraisemblables, tes coups de poing...tant de douceurs nouvelles à mon égard, vraiment...

Elle se tourna avec brusquerie, encore. Veste et chemise toujours ouvertes, androgyne, un peu, et femme énormément.

- Tu es le seul qui m’aies regardée, telle que je suis, jeta t-elle les yeux durs. Je t’aime oui, et me haïrais si je ne puis le dire à cause de ces stupides défroques !
- Ce sont elles pourtant qui ont pu nous rapprocher, ne renie pas si rapidement tout ce qui te constitue Oscar...

En vérité il l’admirait. Assis au bord du lit il la contemplait reprendre ses atours de Capitaine, réajuster le col, remettre de l’ordre, bref tout le contraire de ce qui bouleversait leur deux coeurs.

- Je n’arriverai à continuer ces bassesses Victor, me cacher dans une auge à cochons pour t’embrasser n’est pas ce que je veux !
- Car moi, oui, peut-être ?!

Il se leva comme elle un peu plus tôt, c’est-à dire complètement nu. Il espéra longtemps encore la faire rosir de cette manière
- Je me contrefous de ma réputation, poursuivit-il néanmoins sévèrement, mais la tienne Oscar, tu as tout à perdre à affronter ton père ! Sois donc un peu raisonnable et reviens dans mes bras...

Elle hésita, juste une délicieuse seconde.
- Non, non et non ! dit-elle mollement. J’en ai assez de trembler devant lui. Je vais tout lui dire.
- Bon sang, ne fais pas ç... !

La jeune fille claqua la porte sur les protestations et bien d’autres choses : incroyable de voir à quel point cet homme rendait tout incandescent. Il DEVAIT être à elle, entièrement, à chaque heure et au diable toute raison !
Son père...devenait l’hydre qu’il fallait terrasser pour atteindre cet éden, soit.
Du désir...ô foutre oui elle en avait, éperdument, ce qui la fit tambouriner à l’autre bout du Château ne pouvait cependant tout expliquer. L’amour...Cette notion auparavant si hideuse la torturait. Au fond elle n’avait aucun courage, elle ne pouvait que s’y soumettre.

- Alors, un élément nouveau ?

Oscar mit du temps à comprendre qu’il parlait du mensonge : les ennemis grouillant ici, partout...

Elle entra, plus avenante qu’une catapulte. Son père...auparavant son respect pour lui la maintenait à l’orée de la bienséance ; elle franchissait parfois la ligne, certes...mais toujours avec le sentiment de le chérir, à sa manière.
Aujourd’hui, ses airs revêches attisèrent son mépris. Du nouveau...

- J’arrête tout.

Le Général comprit immédiatement la portée bien plus large qu’un simple mot. L’épaisseur de leurs deux volontés aurait volontiers repoussé les murs de cette chambre refermée...ils se contentèrent de se jauger, un moment...

- Plait-il ? Soyez plus clair, monsieur...
- Ne faites pas semblant de ne pas comprendre, père ! Je ne remplirai pas cette mission. Et ce prétendu complot, ici, n’est qu’un mensonge. Je ne veux plus mentir envers quiconque sur...ma condition.
- Vous n’êtes pas sérieux...
- En ai-je l’air ? Tout ce que vous pourrez en dire m’indiffère d’ailleurs, ma décision est prise.

On ne dit rien, justement. Le regard du Général devint cependant plus lourd qu’une enclume.

- Je veux connaître la part de ce Girodel dans tout ceci...

Bien sûr qu’il avait compris. Oscar releva le menton, fière. Clamer aux yeux du monde qu’elle était femme n’était rien, la vraie ignominie aurait été de se taire, là, tout de suite.

- Je l’aime. Et il est mon amant.

La gifle n’eut plus rien de ce familier auquel ils cédaient l’un l’autre. Le Général y avait mis tout le poids de sa rage et Oscar s’effondra contre la pierre de la cheminée, sa lèvre ouverte au passage par le rebord.

- Fils dénaturé ! hurla Jarjayes au-dessus d’elle en se saisissant du tisonnier. Comment avez-vous osé me faire affront !! Je vais v...

Un rugissement lui répondit, tandis que la porte volait en éclat. Une formidable carrure le fit se retourner et repoussa son bras, lui rendant aussitôt le traitement qu’il venait d’administrer. En nettement plus musclé.

- Vous!! continua de vociférer le Général la bouche en sang, j’aurais dû vous écraser de ma botte dans cette voiture ! Infâme scélérat, vous vous repentirez de vous être mêlé de tout ceci, vous avez ma parole !
- Et vous plus encore d’avoir levé la main sur elle...je vous avais fait une promesse, Général. Je vais la tenir, si vous ne lui faites immédiatement des excuses.
- Comme un manant ? De vous, cela ne m’étonne pas. Mais j’ai des témoins, Girodel ! Et je suis l’offensé : je choisis le pistolet, Monsieur !

On accourait, des domestiques, leurs hôtes, tous semblaient pétrifiés par la scène. Ce jeune dieu défiant l’autre et celui tombé, si pâle...

- Père ! Vous ne pouvez...pas un duel !
- Taisez-vous, vous n’êtes plus mon fils. Et vous Monsieur...Il vint froid, mépriser de près le regard gris. Dehors, sur l’instant.
- Girodel, non...

Rien ne pouvait plus s’arrêter. Le Lieutenant sourit en l’aidant à se relever, et la retint de courir à la suite du Général pour d’autres arguments inutiles. Il sortit son mouchoir pour essuyer le mince filet de sang qu’il brûlerait toujours de conquérir. Mais pas cette larme qu’il voyait poindre, non, cela aurait été offense au plus beau courage qu’il eût jamais vu.

- Défier votre père, Capitaine...murmura t-il tandis qu’on se pressait autour d’eux. Je ne pouvais espérer plus belle déclaration, vraiment.
- Victor, partons maintenant ! Le pistolet, vous savez ce que cela signifie...
- Que l’un de nous va mourir ? C’est fort probable en effet.
- Pas probable, certitude et vous le savez !
- Comme vous le fait que je ne puis me dérober.
- Mais cela ne peut se terminer ainsi ! Pas maintenant, Girodel...
Il sourit de manière splendide.
- Nous devons mourir jeunes, c’est de notre siècle après tout. Gardez-moi longtemps ici...

Il effleura son sein invisible avant de s’éloigner à grandes enjambées.

Ce n’était pas l’aube, au moins on dérogeait un peu aux drames habituels. Pour le reste, tout était parfait : la lumière blafarde, le pré isolé couronné par un chêne retenant des lambeaux de brume. Les mines de ceux qui vous haïssent ou vous aiment, sans clairement en déterminer le camp tant ils se ressemblent, à attendre l’inéluctable.
Le séduisant Lieutenant respira posément tandis qu’on lui présentait les armes.
Les deux pires choix s’ouvraient donc à lui.
Lire dans les yeux azur toute l’horreur d’être un assassin sa vie durant, ou être tué.
Ne plus goûter sa peau...

- Vous n’allez pas commettre cette folie, il faut tout arrêter ! Général, Capitaine de Jarjayes, arrêtez je vous en prie !

Rose Bertin s'époumonait en vain, la-bas, retenue par André et une Oscar plus blanche qu’un spectre. Il leur sourit, à tous. Il jeta sa veste au loin malgré le froid cruel et se saisit de l’arme, tout comme son comparse. Un, deux, trois...

A quinze pas la situation paraissait plus nauséeuse encore. Orgueil, fierté, vanité...tout cela se mélangeait de manière macabre. Alors que seule la volupté d’un corps occupait son esprit. Son parfum, la douceur...il ne désirait songer à rien d’autre. La convention voulait qu’il tirât le premier, puisqu’il n’avait choisit l’arme. A l’épée on pouvait embrocher, éborgner, estropier même...le premier sang fait loi. Mais ici...deux militaires ne pouvaient ne pas savoir viser. Le coeur, comme il se doit.

Oscar ne pleurait pas. Ses yeux rougis paraissaient s’emplir de lui, à l’infini. Avait-elle les mêmes images que lui ?

Ne m’oublie pas, cher amour, pas tout de suite...
Qu’elle vive encore longtemps pour cela, par Dieu...

Girodel tendit le bras, attendit l’injonction...et tira en l’air.
Il ne la quitta plus du regard dans l’attente de la balle fatale.

 

 

 

22.

 

 

 

 

 

 

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