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Chapitre 3

 

 

 

Se sentant mourir, Monsieur de Jarjayes aurait tissé le chanvre de sa propre corde et coupé lui-même le bois de son bûcher.

 Vivant, il se sentit prêt à toutes les férocités.

 

Un appétit qu’il ne se connaissait plus le tenaillait, et sa jeunesse refleurie, d’un coup, les mènerait tous à la pure gloire sanctifiée. Célestes, prodigieux, le monde les observerait d’une crainte éblouie dont les siècles eux-mêmes ne viendraient plus ternir la légende, leurs noms murmurés comme autant de talismans à s’échanger de génération en génération dans la plus parfaite dévotion.

Jarjayes, Phénix renaissant à l’infini de ses cendres...Ô ivresse !

 

Mais à cette seconde, d’univers l’observant avidement, point.

Bah, contretemps, broutille, vulgarité !

Tout, tout allait absolument marcher selon ses plans…

 

- Me direz-vous enfin la raison de cet épouvantable coup d’éclat, tout à l’heure, à la Cour ? Père ! Peu importe que vous me reniiez, je ne consens à rester un instant de plus dans la même pièce que votre sourire insupportable !!

 

Même l’insolence lui plut, gage après tout de la réussite de cette remarquable entreprise échafaudée sur le chemin du retour ; il ne pensa ni à la gifle, ou tout du moins au sermon qu’un père courroucé doit lancer à tout-va sous son toit pour se faire respecter, ni à quitter cette expression qu’il pensait d’extase.

La rareté du rictus associée à quelques caries en projet n’avaient pas l’air de fasciner qui que se soit dans cette pièce : pour tout dire, un Général de Jarjayes souriant avait des promesses d’épouvante, aurait-il été un peu plus lucide que le cher homme n’aurait découvert que stupeurs et furies autour de lui.

 

Furie, cela tenait de la proximité. Teint rougeoyant sous la tignasse quelque peu hirsute, Oscar n’avait plus rien de la hiératique icône de tout à l’heure, muette sous le coup de boutoir affreux empalant son orgueil aux yeux de tous. Elle se dressait, drapée de superbe fierté pour mieux ignorer le comparse enrôlé de force, derrière elle, quelque part vers la cheminée. Toute son attitude démontrait qu’elle la devinait pourtant, cette silhouette. Dérangeante, occupant à ce point l’espace que son père et ses colères, après tout, n’étaient qu’un déversoir où s’amusent les enfants. On y joue à la guerre, on s’ébroue, on s’y blesse mais aussitôt on s’y relève, on époussète la blessure imaginaire.

Mais l’homme, derrière elle, n’était pas une amuserie de gamin. Ni une bravade que l’on repousse d’un revers de main négligente. Il était là, silencieux, plus embarrassant que les joies de ce diable de Général, il était là et Oscar n’en décolérait pas. Un subordonné ! Un inférieur, un moins que tout, pire, une impassibilité.

Et Oscar bouillait d’arracher quelques révélations à ce géniteur impitoyable de gaîté, et que cet autre s’en aille, enfin ! Récoltant le bâton pour l’insoumission qu’elle fomentait, peu importe, on resterait entre nous. Les Jarjayes parlent aux Jarjayes, les autres doivent se soumettre et se retirer de leurs vies.

Question de préséance.

C’était cela, être un homme. On le lui avait appris. L’ennemi est partout et surveille, il épie la moindre défaillance pour enfoncer le regard dans la plaie saignante, il rit de votre faiblesse et appuie, appuie à vous faire hurler. Repousser chaque percée d’humanité, chaque semblable, repousser la horde des émotions mesquines.  Aiguiser ses doigts, créer des pièges, et voiler ses yeux. Tuer la femme, la tuer bon Dieu, dans ce monde créé contre elle. Tout la repousse, et la renie. Très bien. Alors, seuls, seuls bon sang, et pas avec cet autre…

 

L’Autre.

Véritable aimant à questions multiples, il brûlait également de les jeter sans autre forme de procès. Mais seul son regard interrogeait.

 

Monsieur de Girodel soupira. Une sagesse sourde lui dictait d’attendre, la foudre incarnée par ce Général étrange l’avait emporté tantôt. Fort bien, la bravoure ne lui déplaisait pas. Mais écouter le militaire soliloquer à n’en plus finir par bribes occultes, voilà bien qui commençait à l’agacer. Une compagnie n’est tout de même pas une troupe de danseuses, par Saint George !

Croyait-on qu’il n’avait que cela à faire, jouer les tisonniers obéissants près des cheminées de château, tandis que ses hommes s’entraînaient dans les boues d’un champ de bataille de pacotille. Déléguer était le propre de la hiérarchie, peu probable donc qu’on lui fasse remontrance d’un manquement aux manœuvres…raison supplémentaire à l’impatience qu’il sentait monter, précisément.

Il appréciait, lui, Comte de Girodel, à ne déléguer jamais ses devoirs. Ses hommes n’étaient pas des courtisanes, enrôlés par mégarde, délaissés par ennui ; les âmes simples offrant leur carcasse aux balles avaient son affection, c’était ainsi. L’équité était trop souvent la seule solde qu’il put leur offrir en surplus, et son absence du moment le rendait débiteur de ces pauvres bougres. Il n’aimait pas cela. Dette d’honneur…dette de « je ».

Pour déjouer l’impatience le jeune homme détailla vaguement son Capitaine.

Curieux personnage, également.

 

Fougueuse réplique de l’autre, s’y trempait un métal que le Comte avait bien du mal à définir.

Ce petit jeune homme fluet paraissait en guerre presque à chaque minute de sa vie, non par son verbe facile et les poings allant avec, mais en une sorte de tension, de qui-vive fort désagréable. Toujours posté à l’orée d’une quelconque forteresse, il y avait une veille permanente dans ces yeux-là ; à chaque approche, toute défense possible se mettait en mouvement…

Une  porte monumentale hérissée de herses et d’épines.

Lui, plus âgé de cinq ans, en éprouvait parfois comme une gêne inexpliquée, assez difficilement cernable. Il ne le cherchait pas, d’ailleurs. Pour être parfaitement franc, l’exercice l’indifférait mais il ne pouvait nier, parfois, la malsaine colère qui le saisissait devant tant de certitudes.

Rien ne semblait jamais vaciller sur les fondations Jarjayes. Son Capitaine marchait droit de moral, il n’y avait évidemment aucun reproche à lui faire ; mais l’âme paraissait couturée de tortures vagues, et il n’en ressentait que peu de compassion. Au contraire s’il n’était plus circonspect, et en d’autres circonstances, il y jetterait même volontiers du sel. La réaction chimique promettait des réactions peut-être intéressantes.

Fort heureusement, les barrières de grades annihilaient ces stupidités.

 

- Nous allons vaincre, mon fils, sauvés vous dis-je ! se réjouissait le Général.

- Y passerons-nous la nuit, à la fin !! exlosa une Oscar définitivement excédée. Ne rien dire de vos subtiles déductions ne me les rendra pas moins horribles à affronter, et…et puis la présence de mon Lieutenant n’est en rien nécessaire, jusqu’à preuve du contraire il ne devait rien entendre de tout ceci, personne ne le devait !

- S’il en est ainsi, je me retire…

 

Girodel se détourna plus par bravade, convaincu de la détermination du Général à l’incruster sa vie durant dans la pierre de cette cheminée. D’une pointe de défi, aussi…

Lieutenant, certes, pas soldat !

Un gradé n’a pas la vocation à jouer les potiches indéfiniment.

Cela ne manqua pas, on se précipita sur lui, on le happa et tout fut dit sur son rôle apparemment prédominant. Enfin, tout dire, façon de parler…: le Général le contempla tel un papillon exotique, avec admiration, certainement les poches pleines d’épingles pour mieux le crucifier sauvagement dans une vitrine l’instant suivant. Très désagréable impression.

Dommage qu’on ne connaisse pas l’excuse de la migraine, dans l’Armée.

 

- Mon cher Girodel, comptez-moi vos exploits ! asséna t-il soudain en le saisissant familièrement par une épaule.

- Je vous demande pardon ?

- Et ne jouez pas les modestes, cette fois. J’aimerais que mon fils et moi-même entendions le récit de votre tournoi d’hier, je veux absolument tout connaître, jusqu’à respirer l’odeur de défaite que devait suinter ce diable d’italien !

 

Un éclat de pitié traversa le regard serein de Girodel : la vieillesse pouvait-elle frapper si impunément ? Si injustement, si…vite ? Comment définir l’irrationnel, sans cela.

 

- Je…veuillez excuser ma surprise, Général, mais je ne vois pas où tout ceci nous mène…sans vouloir paraître impudent j’aimerais avoir un peu plus de détails…en un mot comprendre ce que vous attendez exactement de moi. Votre fils n’a visiblement pas l’air de beaucoup apprécier ma venue…

 

Le Général parut revenir à quelque réalité, le lâcha, reconquis un semblant de colère qu’il mâchonna un peu, puis régurgita :

 

« Tout est de la faute d’une maudite pelure en zibeline ! »

 

La rudesse du propos n’appelait pas de réplique, l’insolite non plus.

Girodel se tint coi, spéculant désespérément…

 

- Connaissez-vous les femmes, Lieutenant, poursuivait le militaire, agité. Ne prenez donc pas cet air effaré, ce n’était pas question mais affirmation ! Je n’ignore rien de vos succès, figurez-vous, preuve en est tout à l’heure à la Cour. Ha, les femmes ! parlons-en, Dieu nous préserve de leur engeance vaniteuse ! Ou plutôt non, n’en parlons pas. Les connaissez-vous, c’est un fait. Et tout particulièrement ces demoiselles dont la Reine apprécie tant la compagnie, des pécores, des coquettes, des…

- Des jeunes filles  de Son âge, tempéra Girodel dans un sourire. Sa Majesté doit parfois trouver cruel l’exil qu’impose son mariage en terre de France…

- Balivernes ! Une Reine n’est d’aucun sang si ce n’est de l’offrir au peuple qui l’accueille. Oublier cela, et ce sont les militaires que l’on appelle toujours trop tard pour orchestrer les catastrophes. Comme si nous avions vocation à la couronne d’épines ! Nous sacrifier, certes, mais pour autre chose que des mouchoirs en dentelles et de faveurs nouées autour de moutons, ha !

- Hum…je…ne vois toujours pas…

- Oui, oui, commençons par le début, s’agaça le Général. Vous n’ignorez évidemment pas nos amitiés avec la Grande Cath…

 

Girodel s’amusa de ce « nos », comme si le Général fut soudain intime avec le Roi Louis XVI lui-même.

 

- …erine de Russie, qui n’a de cesse de se comporter désormais comme une réformatrice « éclairée ». Le bon mot ! Soit dit en passant elle vient tout juste de faire exécuter un maudit cosaque qui avait eu le front de réclamer son trône, exhibé dans une cage et découpé en public comme un porc.

- Au moins elle ne passe pas sa vie à décorer des moutons…murmura Girodel, étouffant un autre sourire.

- Plaît-il ? Bref, toujours est-il que son ancien ambassadeur, Monsieur Durand de Dristoff s’est évidemment délecté de nous faire part des merveilles de Saint-Pétersbourg…

 

Encore un peu de ce « nous », et le Général allait finir par avouer déjeuner en privé avec le Roi en lui tapant sur la panse !

 

- … merveilles, qui mirent très peu de temps à parvenir aux oreilles de Sa Majesté la Reine Marie-Antoinette. De sa modiste, en particulier. Cette Rose Bertin, qui est en train de tourner la tête à toutes les cours d’Europe. En voilà une habileté, celle-là ! Pour inventer je ne sais quelle extravagance, elle n’est certes pas la dernière. Brillante, à ce qu’on dit. La Reine ne jure que par elle. Plumes d’autruche, dentelles de Hongrie, soies de Turquie…ha, elle se régale à la Cour, l’argent coule à flot et elle n’a qu’à s’y rincer les mains. La Bertin a audience tous les jours depuis quelques semaines, et avec toute cette effervescence autour de ces satanés russes, nul doute que cela devait mal finir…Une peau d’animal…sa dernière lubie a bien failli tous nous renverser !

 

Il fit de même dans un fauteuil, considérant les deux jeunes gens face à lui.

 

- Une fourrure, a t-on imaginé chose plus absurde…marmonna t-il comme pour lui-même.

 

Un temps les craintes de Girodel revinrent en force, qu’en effet ils y seraient jusqu’à la nuit sans rien apprendre de plus ; mais ce ne fut qu’un clignement de paupière, le Général enfin décidé à tout expliquer.

 

- De la zibeline, évidemment ! grogna t-il. Une sorte de blaireau qui n’aurait rien de remarquable s’il ne vivait en Sibérie. Rare, extrêmement. Un piège à femmes en somme. La Reine en veut, de cette pelisse sublime, au point qu’à la dernière commission des Ministres, le sujet a presque éclipsé les questions de politiques intérieures ! Voilà bien où nous en sommes : la mode  en passe de devenir le meilleur argument entre les peuples. La diplomatie à coup de jupons ajourés, le traité façon coiffure « à la belle poule » ! Car non seulement on va la lui donner, sa pelisse, mais en plus la cautionner d’enjeux stratégiques : les amitiés franco-russes vont s’y réchauffer figurez-vous. Le talent de cette modiste au service de l’intérêt tordu des puissants…

Car on va l’exporter, cette Rose, l’escorter, elle et toutes ses fanfreluches jusque dans ces terres plus ridées qu’une pomme gelée, la mettre sous serre pendant qu’elle œuvre pour la paix des nations. Et puis séduire, pendant ce temps-là…

 

 

Sous ces derniers mots, Girodel vit le tempétueux Capitaine se ranimer mieux qu’une goélette de guerre, contenir l’humiliation cuisante d’un ordre qu’il avait pourtant bien du mal à saisir encore. Escorter une modiste n’avait rien de bien terrible, mais… séduire ? Le fils vint se planter devant le père, toujours assis, presque si la botte battit le tapis comme celle d’un gamin capricieux.

 

- Pourquoi avoir dit oui, père !! Pourquoi cet air de triomphe, presque délectable, devant la Reine ! Pourquoi ne pas m’avoir laissé m’expliquer, me…

- Parce qu’un Jarjayes n’abdique jamais. Et que je serais là, moi, votre père et votre supérieur, au-delà même de votre mort, à vous rappeler chacun de vos devoirs d’homme d’honneur. Parce que cette mission nous apportera non seulement la reconnaissance de Ses Majestés, et que nos ennemis en pâliront à la Cour, mais surtout cela vous donnera, à vous, le droit de toujours vous regarder dans une glace chaque matin, bien en face.

- Dussions-nous pour cela courber l’échine comme des chiens le jour durant…

 

Jeté à peine plus haut qu’un murmure, la remarque agit comme un aiguillon sur le Général : redressé, terrible, écrasant de sa masse la blondeur soudain bien dérisoire, plus aucune trace de joie fébrile n’éclairait le visage dur.

 

- Monsieur, vous obéirez. Ou je vous tuerais de mes propres mains, soyez-en sûr.

 

Involontairement, Girodel se détourna. Fit mine de trouver un intérêt avide aux circonvolutions de la tapisserie murale, avisa un tableau affreux, l’admira sans réserve.

Il était de trop, et sans savoir mettre un mot sur ce sentiment, la scène d’autorité paternelle lui parut comme une obscénité. Dans sa disproportion, dans ses perspectives…quelque chose de nauséeux. Il y avait comme une laideur dans  la perfection des Jarjayes. Dans ce tableau aussi, d’ailleurs…

 

- Monsieur de Girodel, vous serez notre sauveur !

 

Le jeune homme eut un haut-le-corps discret, décidément le Général était en veine d’accolades traîtresses. Soudain il comprenait mieux le qui-vive de son Capitaine, doté d’un père pareil. Cet homme ne se déplaçait pas, il surgissait.

Le grain était passé. Le fils, tournant le dos, était parti vers la fenêtre. Il lui sembla pourtant que son échine se soulevait de bien curieuse manière, comme… on retiendrait des larmes. Mais ce n’était sans doute que le fruit de son imagination. Il n’eut pas le temps de détailler, le Général de Jarjayes l’attirait un peu à part.

 

- Hum, Général, c’est…me faire trop d’honneur, vraiment. Je suis flatté, mais pardonnez mon ignorance, je ne comprends toujours pas quel est mon rôle…

- Essentiel, mon cher, essentiel ! compléta le militaire d’autorité. Voyez-vous, mon fils est…comment dire…investi d’une mission nettement plus officieuse que de veiller au bon déroulement du voyage de la modiste de la Reine. Aller en Russie n’est rien, en soi. Après tout, une bonne escorte, cela se trouve ailleurs qu’auprès du Capitaine de la Garde. Mais si, en plus, ce Capitaine n’est pas trop mal de sa personne, jouit de surcroît de la confiance aveugle de Sa Majesté…un autre plan est né de cette idée fantaisiste de manteau, pour tout vous dire. La Bertin va en quelque sorte servir de leurre voyez-vous…

 

Girodel leva un sourcil intéressé. Enfin, nous y voilà donc…

 

- Cette Catherine de Russie a de curieuses manies, à ce que l’on dit. Elle s’habille souvent en homme, a des amants presque dans chaque placard…c’est un appétit, comme on dit ! C’est avant tout  un chef d’Etat, avec sa cohorte de conseillers plus ou moins avisés. Elle goûte fort la France, également, fascinée qu’elle est par nos beaux esprits…en d’autres termes, des puissances contraires à nos intérêts sont déjà en place. On parle d’anglais, de prussiens, de suédois…tout cela grouille à la cour de Russie pire que des asticots sur une charogne. Ils veulent des miettes, se battent à coup de traités, signent des promesses d’alliances déchirées le lendemain…cette Catherine est une personne avisée. Elle ne se laisse pas faire, mais…qui sait comment cela va tourner ? A force de cajoleries, ces pourceaux risquent de la convaincre, on parle même d’une cabale anti-française, là-bas. Mais le temps n’est plus aux canons, pas encore, pas déjà. Ce que veulent les reines, il faut la leur donner : la séduction, le charme, le verbe ! En un mot : la France.

- J’entends bien, Général. Mais qu’ai-je à y voir ?

- J’y viens.

 

Comme des comploteurs, le militaire les menait à pas lents de long en large, guettant par instant Oscar. Comme des chasseurs, face à un fauve…

 

- Catherine donne des fêtes éblouissantes,…continuait Jarjayes. D’une magnificence qui commence à agacer et inquiéter les ministres de Sa Majesté. Catherine est la Grande, elle devient dangereuse. Elle intéresse. S’y presse tout ce que l’on peut compter de séduisant, d’extraordinaire, de novateur autour d’elle. Elle parle couramment le français, adore notre culture…et nos aristocrates. Aussi il faut, il FAUT entendez-vous, que mon fils fasse impression. Grande impression. En d’autres termes il faut qu’il la charme, par tous les moyens. La modiste n’est qu’un outil, et Catherine n’est qu’une femme, après tout. Seulement…

 

Il s’arrêta, et couva sa progéniture de ce qui n’était pas loin d’une sorte de mépris résigné.

 

- Seulement mon fils a autant d’habileté à séduire qu’une meule à foin. Mais on le veut lui, pour cette mission, et personne d’autre…Que pouvais-je y faire ? Lui apprendre, moi, son père ! Non, non, folie…Mais vous, vous le ferez.

- Comment ?!

 

Estomaqué, le Comte buta sur la révélation et s’en étrangla tout haut, attirant aussitôt les attentions d’Oscar.

Il n’avait pas pleuré. Il étouffait de rage.

A contre jour, sa figure disparaissait complètement au profit de la formidable chevelure embrasée, auréole d’ange prêt à exterminer la moindre adoratrice.

Un soubresaut lui vint, à son tour. Souterrain, réprimé, atroce…incontrôlable.

 

- Que vous avais-je dit !! cria son jeune supérieur. Vous pouvez être fier, père ! Car vous avez sous vos yeux la réaction qu’aura la Cour toute entière à notre retour !!

- Je…je…pardonnez-moi, bredouillait péniblement Girodel entre deux accès d’hilarité.

 

Son Capitaine ! Une allure à peu près aussi déliée qu’une allumette, doté d’un tempérament à assommer à coup de poings la moindre noble élevée dans le coton et les rubans, catapulté à l’autre bout de la terre pour y lécher le lobe d’une impératrice dévoreuse d’hommes ? Et on le voulait comme précepteur…Lui, un sauveur…Le Messie, oui ! On n’apprenait pas les miracles dans les écoles militaires.

 

- Ce…c’est purement nerveux, s’excusa encore le jeune homme, essuyant rapidement ses larmes. J’ai été…pris par surprise, je ne m’attendais pas…

- Mais enfin, qui y’a t-il d’extraordinaire !

 

L’exclamation du général calma un peu tout ce monde.

 

- Qui y’a t-il de si drôle à ce que mon fils gagne enfin ses galons sur d’autres terrains de combat ! La Grande Catherine adore les échecs, mon fils n’a qu’à apprendre. Elle aime les beaux esprits, il ne manque pas de répartie. Elle aime à se travestir, il peut le faire aussi. Elle aime les hommes virils, il n’a qu’à paraître à Versailles pour que toutes les demoiselles se retournent sur son passage. Tudieu, on ne lui demande tout de même pas de se marier avec cette vieille haridelle ! Tout au plus de lui compter fleurette, de la charmer, de…

 

 

Une sorte de gargouillis émergea soudain du jardin. De la terrasse, plutôt…

Fronçant son sourcil en buisson, le Général de Jarjayes franchit en quelques enjambées l’espace qui le menait à la porte fenêtre, et sans transition l’ouvrit pour y bondir. Et jeter dans ce salon, tenu par l’oreille, un énergumène brun qui n’en pouvait plus de se tenir les côtes…

 

- ANDRE !!! JE JURE QUE TU VAS MOURIR !! eut le temps de hurler Oscar avant que son Lieutenant ne la retienne.

 

 

 

3.

 

 

 

 

 

 

 

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