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Epilogue

 

 

 

 

André ne put s'empêcher de sourire à travers son sommeil : quelque chose lui chatouillair le ventre.
Mmmmmm....Oscar....

Par réflexe il étendit une main, sûr de rencontrer les douceurs d’une hanche, le tendre galbe d’un sein, ou à l’extrême rigueur, la rudesse anguleuse d’un coude.

Tout plutôt que le vide des draps qu’il tâta en tous sens, vaguement contrarié de n’y trouver aucune anatomie féminine dénudée.

Il se réveilla d’un grognement hirsute, se redressa…et reçut en contrepartie une image dont la céleste beauté inonda littéralement sa rétine.


A la droite du lit, la porte-fenêtre était largement ouverte sur un soleil encore jeune dardant ses rayons sur une silhouette qui se tenait là, immobile, debout en contre-jour et lui tournant le dos.

Vêtue d’une chemise noire, si large qu’elle avait glissé d’une épaule dont la peau était par contraste aussi blanche que l’albâtre ; et, révélée à travers le tissu par cette lumière naissante, les perfections d’une affolante nudité.

Immédiatement, les images envoûtantes et sensuelles de leur nuit submergèrent André tandis qu’un lent sourire, tout à fait conscient cette fois-ci, lui venait au souvenir de l’ardeur pour le moins fougueuse de sa bien-aimée. Car très vite ils avaient renouvelé leur folle étreinte, à un rythme disons…soutenu. Six fois. Non sept, heu…et même neuf en comptant les travaux manuels.

Eh oui…avec Oscar il valait mieux être en forme.


Constatant que ce n’était donc pas un gratouillis amoureux qui l’avait effleuré mais bien la simple caresse du vent, il quitta sans bruit ce lit dévasté et tira un drap, s’entoura les reins avec un bout et balança l’autre par-dessus son épaule. Et se cala confortablement contre une des colonnes du lit pour profiter pleinement du charmant spectacle joué pour lui seul…


Plus qu’une présence, c’est ce regard insistant que sentit Oscar au bout de quelques secondes. Elle ne bougea pas, se contentant de tourner la tête pour détailler d’un œil intéressé l’espèce d’individu aux allures de dieu grec qui la dévisageait là-bas, très séduisant à vrai dire, malgré ses yeux cernés et ses cheveux en bataille.

Immédiatement, les images sulfureuses de leur nuit la submergèrent. Combien de fois, déjà ? Cinq. Ah non sept. Et…ah tiens, mais oui…neuf, en comptant les travaux manuels ?

Eh bien…avec André il valait mieux être bon en calcul mental.

Elle sourit de manière engageante.


- Mon cœur, à l’avenir tu devrais éviter de porter ce genre de tenue si tu tiens un tant soit peu à ma santé…dit-il en s’approchant.

Oscar comprit parfaitement l’allusion quand il laissa couler ses contemplations admiratives le long de ses jambes nues puis dans l’échancrure de la chemise, ouverte plus que de raison.

- Et renoncer au plaisir de te causer une crise cardiaque ? Jamais de la vie ! En plus, je te trouve plutôt mal placé pour me donner des leçons d’ordre vestimentaire…acheva t-elle en l’examinant avec appétit.

 

Ah…la Grèce Antique et ses toges à l’équilibre précaire, semblant toujours prêtes à tomber au bon moment…quelle fabuleuse époque tout de même. Le ton soudain préoccupé du jeune homme la tira de ses extases.

- Dis-moi Oscar, tu n’aurais pas des penchants un peu morbides par hasard ?

- Pardon?

- Et bien oui : lorsque je portais ces chemises affreuses tu ne rêvais que de me tuer, lorsque j’étais ce Masque Noir tu ne rêvais que de lui faire la peau et maintenant, tu es déterminée à me faire mourir à coup de jambes sublimes. Sans parler du reste. Tu m’inquiètes, tu sais…

 

Elle poussa un soupir heureux : s’habituer à ses manières fantaisistes étaient si nouveau pour elle, mais si délicieux. Elle se retourna tout à fait pour faire face à ce charme invraisemblable penché vers elle.

- Mmmm…c’est vrai, tu as raison. Il semble bien que je sois morbide. Qu’est-ce que tu préconises ? 

- Et bien, voyons…si tu es vraiment décidée à me faire mourir d’une façon horrible, je propose que l’on s’enferme ici sans plus jamais répondre à personne, faisant l’amour tels des bêtes jusqu’à ce que l’on retrouve nos deux corps imbriqués l’un dans l’autre dans un état de putréfaction avancée.

Elle éclata de rire en jetant ses bras autour de son cou.

- J’adore !

- Je savais que cela te plairait, grogna André, j’ai toujours d’excellentes idées.

Et il se pencha sur ces lèvres qui s’offraient. Mais elle s’écarta de lui bientôt – trop tôt ! – et le mena vers le balcon de pierres pour contempler de nouveau ce soleil levant, dans ses bras cette fois. À la sentir ainsi contre lui, il devina que les yeux d’azur contemplait un horizon bien plus large que celui s’offrant à eux. Embrassant la chevelure incomparable, il questionna gravement.


- Et maintenant Oscar, qu’allons-nous faire ou plutôt…que vas-tu faire, toi ?

Elle soupira, non de lassitude mais d’un intense bien-être.

- Je ne sais pas. Pour la toute première fois de ma vie, je n’en sais absolument rien…et c’est merveilleux ! Vois-tu, depuis ma plus tendre enfance j’ai toujours dû faire face, j’ai toujours dû décider de tout, être forte, commander, diriger, selon l’ordre immuable préétabli par mon titre et le destin choisi par mon père…Et aujourd’hui ma vie me parait ressembler soudain à un joyeux chaos, un désordre magnifique grâce à ce que tu m’as fait goûter : la liberté !

Alors je ne sais ce que nous réserve l’avenir, je ne sais même encore si je veux continuer ou non d’être un homme. Ce que je sais seulement, c’est que je veux être libre, m’affranchir comme toi des conventions. Et me battre, aux côtés de tous ceux qui comme toi croient que cette liberté pourra un jour changer les choses. Tu m’y aideras n’est-ce pas ?


Sur les derniers mots elle s’était retournée pour se noyer dans les prunelles couleur de forêt, noua ses bras avec dans les yeux le même sourire que sur ses lèvres. Il lui renvoya le sien, incandescent.

- Et bien ma douce, quel programme ! approuva t-il, amusé. Nous voici repartis pour de sacrées aventures, dis moi. Je t’imagine déjà, fière et fougueuse amazone bravant à toi seule tous ces pourris de Royalistes, ou mieux encore, te dressant effrontément sur les barricades telle… je ne sais pas moi… la Liberté guidant le Peuple par exemple…Tu serais magnifique ainsi, les cheveux au vent et le drapeau à la main; tu devrais même montrer un de tes jolis seins aussi, car alors toute la foule te suivrait en hurlant d'admiration et…

- ANDRE !!!

Il éclata de rire.

 

- Mais tu es vraiment infernal, tu ne prends donc jamais rien au sérieux ?!! dit-elle en jouant les outragées. Il écarta tendrement une mèche de ses yeux furibonds.

- Oh si, des tas de choses même. Mais dans cette vallée de larmes et de désespoir qu’est l’existence, il n’y a vraiment que deux choses qui nous sauvent un peu du désastre ! Le rire en est la première…

- Et la deuxième ? demanda Oscar soudain calmée, un délicieux frisson la gagnant en voyant ses airs charmeurs. Elle se haussa un peu plus vers lui.

- La deuxième c’est…murmura t-il en se penchant, : …manger !! »


Et de déposer un baiser sonore sur sa joue !

- Viens, j’ai faim !

 

Mais quelle fripouille !!! Oscar eut beau protester envers ses manières imprévisibles qu’il l’avait déjà prise par la main pour courir à travers ce Château vide, l’emplissant très vite de leurs rires de gamins frondeurs.

Et de quelques baisers volés également.


Arrivés en trombe dans les cuisines, Oscar s’aperçut qu’il n’avait pas tort.

Elle aussi mourrait de faim ! Elle ne perdit pas une minute pour déverser sur la table trois mois de conserves patiemment confectionnées par Mariette, puis s’installa à la place d’honneur afin de profiter du festin, c'est-à-dire sur les genoux d’André.

Et entreprit de nourrir consciencieusement le jeune homme.


- Tu chais Ochcar, je crois que cha chuffit là… articula t-il au bout d’une minute.


Oscar se retourna, surprise, pensant qu’avec un demi-jambonneau, deux tranches de saucisson, une de pâté et six cornichons cela semblait bien peu pour quelqu’un ayant très faim.

Le problème c’est quelle avait tout mis en même temps. Elle embrassa l’énorme joue dans un sourire.

- Il faut que tu reprennes des forces, tu sais. Nous avons une rude journée devant nous…

Aussitôt le regard déçu d’André s’éleva jusqu’à elle : rentrer à Versailles, déjà…et rencontra tout au contraire un éclat azuré des plus coquins.

Oh bon sang !! mais c’est qu’il adorait être pris pour un bel étalon, lui !

Oscar éclata de rire lorsque fougueusement il enfourna l’autre moitié de jambonneau dans le peu de place qui restait.


La jeune femme de son côté ne fut pas en reste et dévora littéralement tout ce qui lui tomba sous la main, sans compter les trois bouteilles de cidre qu’ils descendirent à eux deux. Puis se levant enfin, elle alla chercher un pot de confiture pour son dessert avant de venir se rasseoir, en face d’André cette fois.

La confiture, ça, c’était une affaire grave.

Pas question de partager.

Et entreprit de la déguster comme elle le faisait petite fille, avec les doigts ; ce qui à l’époque exaspérait positivement Grand-Mère d’ailleurs, qui prétendait que c’était la manière de manger la plus répugnante qu’elle ait jamais vu.

Ce qui était vrai.


Ce n’est pas du tout ce qu’André eut l’air de penser, pourtant.


Relevant les yeux au bout d’un moment, Oscar le vit qui la fixait dans le silence de ses yeux clairs, d’une flamme avivant aussitôt un brasier dévastateur au creux de son bas-ventre. Elle ôta lentement de sa bouche son index plein de confiture.

- Tu n’aurais pas une idée derrière la tête, par hasard ? demanda t-elle en léchant lascivement son doigt sans le quitter du regard.

- Pas du tout. J’en ai plusieurs. Bon ! nous avons repris suffisamment de forces, il me semble ! s’exclama t-il soudain en se levant pour se précipiter vers elle, d’une vigueur qui laissait présager à la jeune femme qu’elle allait lui servir de dessert, sans plus de façon, à même la table !

Eh bien, après la Grèce Antique, l’Homme des cavernes maintenant ! Mmmm…grâce à André, réviser l’histoire de l’Humanité devenait soudain beaucoup plus intéressante !


Mais l’Homme des cavernes devait sans doute aimer son confort, car si le jeune homme l’arracha bien de sa chaise, ce fut pour la prendre dans ses bras et l’emporter résolument à travers les couloirs, sourd à ses protestations.

- André !!! Mais attends, bon sang !! Arrête-toi !

- Oh non, ma belle ! Tu viens avec moi…

- Mais il ne s’agit pas de ça ! Moi je suis d’accord, mais je crains que ton drap, lui, n’est été d’un autre avis !!

- Quoi ? dit-il avec une suprême indifférence, nu comme un ver en effet.

- Ton drap est resté dans la cuisine et…oh, et puis laisse tomber… acheva t-elle en savourant avec délice cette nouvelle leçon d’Histoire : de mieux en mieux, Adam et Eve à Arras à présent !

A défaut de pomme il sentait quand même le cidre, ce qui revenait au même, et Oscar entreprit de goûter au péché originel en enfouissant son visage dans le cou du jeune homme pour le couvrir de baisers.

Ils arrivaient dans le grand hall, allaient atteindre l’escalier monumental.


- Ah, André ! C’est justement toi que je cherchais. Nous avons un énorme problème avec les taupes dans la partie est du parc et…ooooooohhh, Mademoiselle de Jarjayes !!!


Pétrifiés d’horreur, les deux jeunes gens se retrouvèrent nez à nez avec l’intendante du Domaine, la vieille Mariette, tous trois se regardant bientôt avec une égale stupeur.

Tous quatre aurait été plus juste, car la virilité d’André n’était pas restée insensible au fait qu’Oscar soit à moitié nue dans ses bras, et elle pointait à cet instant une tête toute rose et intéressée elle aussi face à cette rencontre impromptue.

Alors là, c’était la fin de tout. Le beau rêve se brisait, nul doute que la vieille fille allait bientôt tomber en syncope, faire un scandale, s’empresser de prévenir le Général des turpitudes qui se déroulaient ici…


- Vous vous êtes blessée, Mademoiselle de Jarjayes ?

 

 

Hein ?

Oh bon sang, se pouvait-il que…

Les taupes n’étaient pas que dans le parc, apparemment ! Cette pauvre fille était donc si myope ? André embraya comme il put sur cet infime espoir.

- Ou…i, hum…c’est exactement ça, Mariette ! Osc…Mademoiselle de Jarjayes s’est foulée la cheville, en vérité. Je la ramenais à sa chambre…

- Oh mais quelle pitié !

Quel bonheur, surtout : cette vieille taupe le croyait !!

 

- Voulez-vous que je vous fasse monter un peu d’alcool pour vous frictionner, Mademoiselle ?

- Non, je vais le faire ! répondit aussitôt André, enfin je veux dire…que heu…je lui en apporterais plus tard…

 

Oscar, elle, commençait à se mordre les joues pour ne pas rire et ne put s’empêcher de couiner discrètement.

- Bon, Mariette, vous voyez qu’Os…que Mademoiselle de Jarjayes souffre atrocement là, il nous faut y aller, conclut-il, trop heureux de s’en tirer à si bon compte.

L’intendante insistait, cependant.

- Pardonnez-moi Mademoiselle, mais pour les taupes, comment faisons nous !


Poussant un soupir excédé, le jeune homme redescendit les trois marches gravies d’un coup.

- Les taupes ont détérioré toute la partie est, Mademoiselle. Que devons-nous faire ?

Oscar se racla la gorge, tâchant désespérément de reprendre son sérieux et un ton plus conforme à son rang. Evidemment, même à moitié dénudée dans les bras d’un homme totalement nu, elle représentait l’autorité suprême de ce Château…


- Et bien je…hum, vais étudier ce grave problème en effet…avec André. P…pour trouver un plan d’attaque, en quelque sorte.

André tourna vers elle un regard intéressé.

- Un plan d’attaque ? Excellente idée ! Très bon ça !

Oscar tourna vers lui un regard intéressant.

- Oui, et il ne faut aucune précipitation dans ce genre de situation, poursuivit-elle, l’œil languide, un examen approfondi s’impose. Très approfondi même…

- Tout à fait, sourit André d’un air entendu, oubliant complètement tout ce qui n’était pas ces beaux yeux bleus. La taupe ne serait-elle pas un peu vicieuse, cette année…

- Terriblement. Et vorace.

- Le combat sera rude…

- L’issue totalement incertaine… 

- Il faudra donc unir nos forces…

- J’en ai peur. Unissons nous alors… gémit Oscar en se mordant les lèvres.

 

Sans plus pouvoir se contenir, André bondit vers l’escalier.

- Oui ! Bon ! Voilà Mariette ! Le devoir nous appelle : la taupe n’attend pas !!!


La vieille fille contempla un instant l’escalier de ses yeux vagues et hébétés, puis, entendant une porte claquer là-haut sur un rire cristallin :

 

 

- Ben moi, j’ai rien compris…grommela t-elle en se grattant la tête.



 

F i N

 

14.

 

 

 

 

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