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Chapitre 8

 

 

 

“A la claire fontai-ne, m’en allant promener, j’ai trouvé l’eau si clair-reuh que je m’y suis...NOYÉ !”

Dents serrées, André naviguait dans un coin de la grange en chantonnant méchamment. Etre loin d’ici, bon sang...il devait absolument se sortir de ce bourbier et aucune idée ne venait. Dormir ! S’affaler dans une botte de foin et ronfler jusqu’à la fin de ses jours ? Efficace....ou bien révéler qu’il était le fils caché d’un nobliau du coin: brillant, et totalement faisable s’il voulait finir écartelé sur la place du village pour mensonge éhonté.
“Il court, il court le furet...”. Mais pourquoi était-il incapable de dire ce simple mot : NON ! Pourquoi à chaque fois qu’il se trouvait sous le regard de braise de Rose Bertin, ce petit mot et tous les autres le fuyaient pour constituer une gigantesque marmelade de cerveau ? N-O-N... C’était simple !

Au lieu de cela, il avait promit.
Echange de promesses, en fait, là était le problème. Son silence à lui dépendait du sien, à elle. Elle se taisait, et il devait l’aider. Et bien sûr qu’il valait mieux s’exécuter et définitivement oublier ce NON et tout le reste, mais tudieu comme sa vie devenait compliquée ! De simple voyage d’agrément, cela se transformait en mission secrète au sein de la mission secrète. On s’y perdait.
Au diable cette Rose !

André se mordit la lèvre, confus. Voilà qu’il jurait maintenant et jetait des malédictions à tous vents. Il leva un oeil suspicieux au-dessus de sa tête : il ferait beau voir qu’on l’entendît, là-haut, cela lui retomberait encore sur le coin de l’âme...en plus de la modiste, des hordes de sauterelles ou de grenouilles rouge sang le poursuivraient jusqu’à la fin de ses jours, pas de doute.

“Cadet Roussel a trois maisons...” et lui, André, devait multiplier ses ennuis par six. Aider Rose ? Bon sang !
Réfléchir.
Tout d’abord, agir comme à l’habitude. C’est-à-dire bouder. Vis-à-vis d’Oscar bien entendu car il semblait de notoriété publique qu’elle lui en voulait de quelque chose. D’exister, visiblement. Il ne pouvait faire un pas ou simplement respirer que son amie d’enfance y détectait une envie cachée de se moquer d’elle, s’ensuivait un coup de pied ou de poing selon le temps dont ils disposaient. Monotone, l’amitié. Donc se tenir loin d’elle n’était pas pour lui déplaire. Mais voilà, avec la Bertin dans les pattes il ne pourrait plus se laisser aller à la douce quiétude de faire son boudin dans un coin. Non contente de l’avoir passé à la question en l’obligeant à tout raconter du destin d’Oscar, la modiste avait exigé désormais “qu’il amadoue son amie sans en avoir l’air” ! Amadouer Oscar !!! Le jeune homme se demandait vraiment s’il ne préférait pas une ventrée de grenouilles multicolores et gluantes pour l’engloutir sur-le-champ.
Mais fort bien, entendu, l’amadouer.
Seulement pourquoi faire ?
Le but de la manoeuvre échappait à André bien qu’il soupçonnât quelques diableries chiffonnières ; si comme il le supposait Rose Bertin escomptait faire entrer Oscar dans une robe et la rendre “à sa vraie nature”, nul doute que cela allait très mal finir. Une robe ! Le Général avait déjà mis quatorze ans pour la faire entrer dans un uniforme de manière crédible, même avec Girodel et ses bonnes manières, toute la Cour de Russie allait crever de rire sur les parquets cirés. Et puis amadouer quoi, on se le demandait bien...La jeune fille, touchée un frais matin par la grâce d’un tissu de soie allait tournoyer autour de Rose Bertin en chantant, accompagnée de petits oiseaux bedonnants ? Mais elle, Oscar, elle les mangeait à la poêle, les oiseaux ! Elle les croquait à belles dents l’épée au côté, juste avant aller déjouer on-ne-savait-quelle machination infernale pour sauver la Reine ou le Roi. Tissu de soie, foutaises oui...

Il en était là de ses réflexions quand un bruit épouvantable fractura la quiétude de la cour, jouxtant l’auberge. A part le Général un peu plus loin toujours occupé à tancer les cochers sur leur mollesse et leur faculté à dormir à 4h du matin, il n’y avait personne. Mais quelqu’un semblait bien réveillé là haut, dans une des chambres, témoin ce tabouret de bois qui venait de jaillir d’un carreau et gisait au sol réduit à l’était de petit bois pour la cheminée.

- Espèce de sale fumier !!! hurla t-on.

Avec la prescience que donne l’habitude, André sut immédiatement que l’auteur de ce pléonasme ne pouvait qu’être Oscar, même si la voix était méconnaissable. Durant sa longue carrière de souffre-douleur, il n’avait jamais rencontré de fumier propre. Le fumier est sale, le fumier pue, le fumier est répugnant et tout ce qu’on voudra, mais propre, non. Seulement chez Oscar cela renforçait comment dire...une certaine idée de l’injure dans des circonstances très particulières : elle était encore en train de se battre.
Histoire de changer.

Contre Rose ?
Ho !
N’y tenant plus dans “l’amadouage”, la modiste venait d’attaquer Oscar à coup de petits noeuds de satin !
André se précipita, avala quatre à quatre l’escalier prêt à faire barrage de son corps pour protéger qui voudrait. Quelle vie...Mais dans les couloirs, soudain, il pila net. Il entendait Oscar distinctement maintenant, la voix comme étouffée, et...n’était-ce pas Girodel qui lui donnait la réplique ? Une ondée philosophique enveloppa le jeune homme. POURQUOI fallait-il qu’il se sente toujours obligé d’intervenir quand Oscar criait ? Rose Bertin avait raison, Oscar criait tout le temps. Et elle le traitait mal. Girodel paraissait se charger, apparemment, de sa mission éducative. A coups de poings ? La belle affaire, lui-même en recevait de copieuses épluchées depuis des années.
Et s’il laissait le Lieutenant faire la sale besogne pour une fois ? Il n’avait pas l’air de se laisser mener, lui. Pas compliqué, il était noble, il avait tous les droits. Cela tempêtait sec. La chambre entière en tremblait, vu le débit incertain de son amie l’autre devait l’étrangler. Excellent.
Une sorte de paix intérieure fondit sur André, il se promit de trouver dans quelle église on adorait Saint Victor pour aller y brûler un cierge.
Rose surgit à son tour dans le couloir, preuve qu’elle n’était pas encore passée à l’offensive après tout. Vu ce qu’elle portait cela n’était pas étonnant: selon les critères plus que sommaire d’André en matière de mode, il ignorait qu’on nommait cette chose très décolletée et pourvue de dentelle charmante “camisole”. Lui ne vit qu’une perspective fort intéressante sur l’échancré du vêtement. La peau était d’un rare éclat, appétissante même pour tout dire car une curieuse chaleur envahit l’estomac du jeune homme tandis que ses yeux se fixaient s...

- Mais allez-vous rester là sans rien faire ?!!

Le désespoir de Rose lui fit peine...enfin pour être tout à fait exact ce fut plutôt s’arracher à l’extase que provoquait ce vêtement insolite qui lui fit peine. Oscar ne portait jamais ce genre de choses. Voilà qui aurait un peu égayé la maison Jarjayes...
- Allez-y, par tous les dieux ils vont s’étriper !

Encore une fois on le privait d’en savoir davantage sur les tissus, les noeuds, les décolletés...tudieu, jamais tranquille !
Contraint et forcé André se précipita de nouveau vers l’avant, voulut héroïquement défoncer la porte qui n’était aucunement fermée et s’étala le nez au milieu de la chambre - ou plutôt de ce qu’il en restait - avec un goût amer dans la bouche : il allait passer pour un imbécile.
Histoire de changer, aussi.

A défaut de petites grenouilles colorées, on décida tout de même de l’exaucer, là-haut.
Il ne passa pas pour un imbécile. Encore moins ne reçut d’épluchées ni de cris.
En fait personne ne remarqua son entrée grandiloquente, ce qui peut-être avec le recul était pire que tout.
Une lutte sans nom avait absolument tout pulvérisé ce que la pièce comptait de meubles, voilà sans doute pourquoi ils s’attaquaient aux vitres. Restaient les poutres, un broc miraculeusement préservé et...

- Espèce de Jeanfoutre !!! Piétaille !!

...broc qui disparut soudain de l’inventaire, contre un mur. Tout comme Oscar, tenue par la poigne impitoyable de son Lieutenant.
Là...tout de même...Girodel y allait un peu fort...fallait-il intervenir...ou pas ?...laisser faire...hein Oscar...pas commode quand on te répond...oui mais...ce coquard à l’il...pas beau du tout...

- SILENCE !! CESSEZ IMMEDIATEMENT !!

Le jeune homme faillit avoir une attaque. Comment n’avait-il jamais fait le rapprochement ? C’est du Général de Jarjayes que Oscar avait hérité sa gueulante, bien sûr ! En moins autoritaire. Parce que là, tout de suite, on sentit que la vraie guerre commençait.

Plus de broc voulant contre les murs. Même les mouches étaient mortes sur le coup. Quelques insectes intéressés, tapis dans les encoignures de cette auberge sordide, se carapatèrent sans demander leur reste de sciure et le village lui-même, hoqueta.
Monsieur de Jarjayes avait parlé. Non, rugi ; Monsieur de Jarjayes venait de commander à être obéi. Il venait terrasser de son autorité effrayante tous ceux présents ici. Surgi de nulle part, sur le seuil de la pièce, il imposait sa stature et le bleu impitoyable de son oeil de pierre.
Et d’habitude, André savait bien ce qui se passait : tout pliait devant cette aura de métal qu’exhalait le militaire, absolument tout. La Nature, Dieu, sa fille, tous genou à terre devant le lion de Jarjayes, on rangeait couteaux et griffes, on se rognait l’orgueil et on pliait, sans mot dire.
Jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à cet instant même.

Car le Comte de Girodel renifla, essuya d’une main négligente le filet de sang coulant de sa bouche et sans un regard pour le frêle roseau qu’il tentait de rompre un moment plus tôt, il ne plia pas genou et vint solennel devant le Général.

- Je cesse, en effet, articula t-il lentement. Mais non sous votre autorité, Général. Dont je n’ai que foutre depuis quelques minutes pour vous parler de pleine vérité, depuis que votre cher fils m’a congédié de la plus élégante des façons en me menaçant de me faire déchoir devant mes hommes. Le motif ? Me faire payer d’appliquer vos ordres, Général de Jarjayes : lui apprendre les bonnes manières. Faire de lui un homme de Cour, un homme sachant enjôler la grande Catherine de Russie de par sa seule présence...Non de Dieu !! cria le jeune homme en laissant parler une rage pas moins terrible que l’autorité militaire, en tout point égale, fauve contre fauve.

- Votre fils n’est qu’un pleutre, Général ! jeta Girodel à l’auguste visage qui en blêmit de surprise. Un pantin que n’habille même pas l’uniforme royal, puisque c’est vous qui de manière incessante tirez les ficelles de son existence. Il souhaite me révoquer ? Fort bien ! J’y consens car vous me répugnez, vous, les Jarjayes, imbus de vos grandeurs et de vos mépris à ne croire qu’au mérite, lorsque notre siècle n’a faim que de talents. Oui, de talent, Général ! Au risque de passer à vos yeux pour un de ces révolutionnaires que je suis sûr vous exécrez pire que la boue de vos bottes ! Le talent auquel je crois, qu’il soit chez un loqueteux ou un simple bourgeois et dont mon régiment en est l’illustration ! Mais que l’on méprise. parce qu’il n’a pas de particule devant le nom. Particule que je porte, et que je n’aie nulle intention de laisser bafouer par quiconque sans lui en demander raison. Seulement votre fils ne la mérite même pas, cette joie, Général, il ne mérite pas que je perde face à lui : je m’en vais, définitivement, puisqu’il en a décidé ainsi. Je repars pour Versailles où je déposerais sans attendre ma démission et rejoindrais mes terres sur l’heure. Etes-vous satisfait ? Cela convient-il à vos attentes ? Désormais enseignez-lui tout ce que vous désirez, et que votre filsl aille au diable, Général de Jarjayes !

Une gigantesque commotion accueillit la sortie du Comte, personne ne songea à bouger d’un pouce.
Une tempête agitait le crâne d’André Grandier...il venait d’assister à un moment historique et en avait le souffle coupé. Tenir tête au Général, bon sang ! Cet homme avait osé ! Il allait finir à la Bastille, pour sûr. Tout âgé qu’il était, l’auguste militaire était encore bien vert et nul doute qu’il allait provoquer le Lieutenant à l’épée. Leurs vies basculeraient dans le chaos, la mort rôdait déjà, guettant son dû et...

Et contre toute attente, le Général avança et saisit durement Oscar par le bras. Cette dernière était vraiment dans un piteux état, les yeux comme deux bouts de charbons incandescents à fusiller le seuil et l’absent qui venait de les outrager en paroles, sa frêle silhouette quémandant la vengeance. Son père ne sembla pas du même avis.

- Vous allez vous débrouiller comme vous l’entendez, siffla t-il près du visage de sa fille, vous emploierez les moyens qu’il faut mais vous allez rattraper cet homme et le convaincre de rester.
- Père !!
- Taisez-vous, fils impie ! Je peux comprendre ce qui vous révulse chez Girodel maintenant que je connais ses pensées libérales abjectes, mais s’il s’avise de reparaître à la Cour sans pouvoir chanter nos louanges dans cette affaire, et nous sommes morts ! Morts, entendez-vous !  Car vous n’avez pas l’air de bien comprendre l’enjeu de ce petit exercice qui nous mène en Russie : nous croyez-vous sans ennemis ? Pensez-vous que le Roi accueillera notre défaite avec bonhomie et franche indifférence, comme un conte pour enfants turbulents ? Aussi méprisable que soit le rôle que nous jouons, il n’en est pas moins essentiel de damer le pion à ces maudis Anglais, Allemands et autres patacouèques : la Tsarine DOIT nous adorer, voilà l’ordre ! Et pas de finasserie, pas de circonvolutions, la réussite sinon la mort ! Et croyez-moi, au regard de vos récents exploits je n’hésiterais pas à vous faire porter l’entière responsabilité en cas d’échec. Vous n’êtes qu’un imbécile, mon fils !

Sans plus de façon il projeta Oscar vers la porte, pour lui signifier comme à l’habitude qu’elle n’avait qu’à obéir.
André ne put s’empêcher d’en avoir le coeur serré, comme à chaque démonstration d’autorité débridée du Général. Elle ne connaissait que cela, les brimades, toujours ; et jamais de tendresse. Il tenta d’esquisser un geste de réconfort mais elle marchait déjà au dehors, humiliée mais non vaincue, mortifiée sans le moindre doute et tremblante de rage. Obéir. Elle ne connaissait que cette réalité, et en serra les dents pour se taire.

- Et toi, que regardes-tu ! lui lança le Général, à lui qui pourtant n’avait rien fait. Retourne donc dans ta chambre te préparer, nous levons le camp. Quand à vous...Il passa devant une Rose Bertin pâle et muette. Je vous saurais gré après vos petites démonstrations éthyliques, de vous dispenser à l’avenir de vous promener toute nue dans les couloirs !
 
Le “HO!” outragé n’y fit rien: la pauvre modiste venait d’apprendre la célèbre exagération des Jarjayes à ses dépends et fondit en larmes. Et André, contrarié, de se demander quand il reverrait de sitôt une camisole...

Ce ne fut pas bien difficile pour Oscar de diriger ses pas, les hennissements des chevaux prouvaient sans doute possible la volonté inflexible de son Lieutenant: il partait en effet sur l’heure.
Folle de rage oui, comme le supposait si  justementAndré mais choquée aussi, touchée par quelque coup invisible et redoutable.
Ses paroles !
Elle n’y voyait pas très clair à vrai dire, et pas seulement à cause des larmes rares noyant ses longs cils. Moralement, bien davantage. Ils venaient de se heurter à quelque chose d’indéfinissable et de terrible, une autorité bien pire que celle de son père et elle n’arrivait à en démêler l’écheveau. C’était différent. Pénible, dérangeant. Extrêmement inconfortable à affronter.
Complètement déroutée, elle devait admettre sa colère inouïe à en ressentir du désarroi. Depuis quelques heures, sa vie paraissait se précipiter dans une sorte de cauchemar éveillé. Cette maudite Bertin qui avait ouvert le feu avec ses regards suspicieux...elle-même avait juste souri, et voilà que la modiste paraissait se douter de quelque chose ! Se battre à cause d’elle, encore, cela avait été plutôt plaisant. Mais Girodel, ensuite...

Elle prit une inspiration, d’un air qui lui fit défaut. Tout la fuyait, de toute façon.
S’excuser...son père le lui paierait !

Elle trouva Girodel au fond de la grange : ses gestes brusques et précis incommodaient son cheval, il n’en avait cure. Il lui tournait le dos, elle fut persuadée pourtant qu’il avait parfaitement conscience de sa présence. Lui aussi, paierait. Elle ne savait encore comment, ni quand, mais il lui semblait plus que nécessaire de fomenter une gentille petite vengeance de derrière les fagots dès que possible.

- Cessez de faire comme si je n’étais pas là ! s’exclama t-elle, désagréable. Vous savez parfaitement pour quelle raison mon père m’envoie ici et vous vous en délectez, avouez-le !

Elle n’était pas très forte pour les excuses, pas étonnant. Aucune pratique en la matière. Les gens faibles, s’excusent. Jamais elle. Elle reprit son souffle, et ses attaques. Enfin, ses excuses...

- Je vous félicite pour votre petite diatribe à l’instant, très réussi. Satisfait de vous-même ?
- Persiflez, Capitaine, allez-y...mâchonna t-il vaguement en continuant de seller son cheval.

Oscar réfléchit à toute vitesse. Mauvaise méthode : son père allait la trucider dès le départ du Lieutenant. Bon sang ! Maudit homme...

- Bon, très bien, je suis infiniment navrée, là ! lança t-elle d’une bouche méchante. Je vous prie, Comte de Girodel, d’accepter toutes mes plus pitoyables excuses !
- “Pitoyables” ?! ricana t-il par-dessus son épaule. Capitaine de Jarjayes, mais quel honneur ! Offrir ainsi votre allégeance dans une grange de ferme...
- Je...je n’offre aucunement mon allégeance, Lieutenant ! Comment oser penser que...

Elle suspendit son courroux: une fois encore il venait de la faire chuter, retourné tout à fait vers elle et appuyé nonchalamment contre la croupe de son cheval. Du diable si elle n’allait pas le tuer sur place ! Toujours ce sentiment si inconfortable...elle ne savait fichtrement pas comment s’y prendre avec lui, force était de le reconnaître. Elle le regarda de toute sa mauvaise grâce mortifiée.

- Vous triomphez, profitez-en donc...
- Vous vous trompez, Capitaine. Et je vais même vous avouer que je ne vous aime pas du tout dans ce nouveau rôle choisi par votre père.
- Que voulez-vous dire !
- Ne soyez donc pas sur la défensive à chacune de mes paroles, pour l’amour du Ciel, soupira t-il en approchant de quelques pas.
Oscar se raidit sensiblement.
- Ce que je tente de vous expliquer est que le Général ne semble rien y entendre dans l’éducation de son fils...oui, je sais, je suis un mécréant bon pour le bûcher de penser cela. Mais c’est ainsi. Et plutôt que vos excuses peu crédibles, je veux que vous l’admettiez devant moi. Je resterai à cette condition.
- Je...vous demande pardon ? Je ne comprends pas !
- Tout au contraire. Dites devant moi, yeux dans les yeux, “mon père a fait de moi un pantin”, et je reste.
- Quoi ?!!
- Ces quelques paroles, ou vous ne me reverrez plus.

La belle affaire, c’est ce qu’elle voulait ! Mais son père...Elle ouvrit la bouche. Aucun son. Impossible. Impossible ! Mais d’autres paroles vinrent bousculer le reste, bien pires.
- Vous aimez les hommes, la voilà la vérité n’est-ce pas ?

Le sang de la jeune fille se glaça instantanément. Pas de pensée cohérente à l’horizon, ni de colère pour lui tenir chaud, rien ! Que venait-il de dire ? Deux coups fatals, s’en était trop.
Un éclair de lucidité tenta une percée dans son cerveau de coton. Les hommes...hein ? Aimer quoi ? Foutre dieu, il pensait...Elle, un homme, aimer les hommes ! Et...à cet instant elle capta le regard gris si pénétrant et sa langue se colla contre son palais, incapable de s’en servir, muselée de honte ou pire, muette à vie. Aimer les hommes ! Heu...après tout, elle aimait un peu son père et André, et on pouvait décemment les classer dans cette catégorie. Et puis avec cette affirmation stupide, lui Girodel semblait à la fois continuer à la ranger dans cette dernière et oublier de lui faire dire cette phrase outrageante. Au fond, l’honneur était sauf.

- Evidemment, c’est cela, finit par soupirer son Lieutenant devant son silence hébété. Vraiment, comment n’y ai-je pas pensé plus tôt, je comprends mieux vos réticences face à Rose Bertin...

Oscar aurait adoré y voir aussi clair, mais elle ne comprenait pas bien quel rapport il y trouvait. Peut-être devrait elle en parler avec André à la prochaine étape...après lui avoir envoyé son poing dans la figure pour se défouler. Elle faillit sursauter parmi ces pensées un tantinet réconfortantes quand elle perçut le changement de regard : attentif, diablement attentif et lumineux, à la scruter plus commodément que jamais. Non mais ! Personne ne la regardait de cette façon, dans la vie !

- Il va falloir oublier nos querelles et parvenir à une sorte de statu quo, Capitaine. Et tout reprendre depuis le début.
- Pardon ? réagit aussitôt la fougueuse militaire.
Il ne lui semblait pas en être autre part que nulle part, à elle. Que voulait-il dire ? Elle le vit croiser les bras en laissant filtrer un regard dubitatif, plutôt proche d’elle finalement.
- Nous sommes parti sur de mauvaises bases, Capitaine. Et je veux bien en confesser l’erreur même si je ne retire aucune des paroles face à votre père. Je continue de penser à l’hérésie de son attitude même si j’admets ses maladresses involontaires au vu des circonstances nouvelles. Je vais devoir m’y prendre autrement pour vous enseigner l’art de la séduction.
- Ah...ah bon ?
- Sans nul doute. Nous allons commencer par la base : je dois vous apprendre ce qu’est une femme.

 

 

 

8.

 

 

 

 

 

 

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