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Chapitre 9

 

 

 

Un corps difforme, cela aurait aidé. Un nez défait. Une jambe de bois. Ou bien une bosse.
Un oeil crevé, mieux, une absence de dents ! L’idéal.
Et puis non, rien du tout, son Lieutenant n’avait rien de cet attirail vital, juste ses yeux clairs la fixant de manière goguenarde. Foutrerie ! Quel cauchemar que ces yeux-là...
 

 

Oscar faillit s’étrangler, fit des choses avec sa gorge juste après l’injonction : tout pour mourir sur place.
Eh non, pas encore l’heure, mon Capitaine !
Elle eut beau convoquer en silence tous les diables de l’enfer aussi mais rien à faire. IL se tenait toujours devant elle. IL s’amusait même beaucoup.
“Vous apprendre ce qu’est une femme ?” S’il espérait la traîner dans un bordel afin de lui montrer...dieu sait quoi, ja-mais, ô grand jamais on ne retrouverait le corps de ce Girodel de malheur. Elle le donnerait à manger aux chiens errants. Qu’espérait-il, une soudaine montée d’amitié virile ? Qu’elle abdiquerait par la simple vertu d’une engueulade face à son auguste père ? Par Dieu, comptes-y, petit Comte ! Elle étouffait de rage. Ou d’autre chose.

- Ce n’est donc pas aujourd’hui que je recevrais des excuses, soit. Mais peut-être pourrions-nous au moins nous serrer la main...
De...
Avant de rien comprendre, il la tenait. Une poigne terrible, pas comme tout à l’heure lorsqu’il se battait dans cette chambre d’auberge, non; sa main dans la sienne et il la broyait. Exprès. Bon sang, décidément, ses yeux !

Les siens jetèrent des éclairs à l’intrusion malvenue. Qu’essayait-il de prouver ? De se prouver ? Qu’il était le plus fort, mentalement s’entend ? Qu’il gagnait cette manche, bien sûr. Il assurait sa puissance. A coincer ses phalanges dans les siennes, Girodel triomphait. Et puis il avait compris, enfin il le croyait, ce qui était pire: qu’elle, étant “il”, aimait...damnation !
Son visage était au-dessus du sien, et Oscar se déroba, malgré elle.
Cela n’allait pas du tout. 
Un instant la pensée que tout s’arrangeait avait éclaté comme une délicieuse bulle de savon irisée, c’était fort commode d’affirmer sans cervelle qu’elle aimait les hommes et...et puis tout continuait à aller de travers.

- J’ai été vraiment stupide, pardonnez-moi.

Ah, ça, enfin une parole sensée...Evidemment qu’il était de notoriété publique qu’il fut stupide, depuis le temps qu’elle civilisait les rustauds sous ses ordres pour qu’ils s’en rendent compte. Même les moutons rencontrés depuis en chemin ne pouvaient ignorer cette vérité aveuglante. Et puis...

Et puis le chaos, voilà. Trop rapide, trop brusque cette lucidité pour être vraie, bien sûr. Il jetait ce “stupide” comme un camouflet, elle regarda la pointe de ses bottes comme pour y discerner le gant de la discorde quand il fut parti. Provocation...Oscar se sentit toute autant insultée et mortifiée par son “pardonnez-moi” que n’importe quel autre affront. La nouvelle lumière des yeux gris posés sur elle la glaça rétrospectivement, et toutes ces heures de voyage, et toutes ces leçons...qu’avait-il donc en tête avec son “ce qu’est une femme”, mordieu !

- Ah Oscar, nous sommes enfin prêts à partir et je t’assure que cela tient du miracle ! Tu n’imagines pas dans quel état se trouve Rose, enfin je veux dire Mademoiselle Bertin, elle n...Oscar ? Tout va bien ?
Elle regarda son compagnon d’enfance avec haine.
- Et NON tout ne va pas bien, cracha t-elle, et vous me cassez tous les pieds avec vos yeux en trous de serrure, et je me fous de Rose Bertin, de toi André et de tout être qui se trouve sur cette maudite terre ! Arrive sur l’heure ou tu auras affaire à moi !

Le jeune homme, abasourdi, la regarda passer devant lui et s’éloigner d’un pas rageur.

- Mais...mais c’est MOI qui viens te prévenir ! lança t-il exaspéré. Et je sais bien que tu te fous de ma personne, mais ça va changer, crois-moi, je te jure que...
- Bon et alors mon garçon, encore à rêvasser aux mouches ? hurla soudain le Général en pilant son élan devant la grange. Allez, allez, plus vite que ça, tout le monde t’attend ! Que tu es lent mon pauvre André...
- Mais...mais c’est MOI qui viens vous prévenir ! eut-il beau protester à l’orgueilleux équipage qui de nouveau s’ébranlait.

Le village ne fut pas peu triste de les voir partir, on alluma des feux de joie, on pansa ses plaies, la solidarité de la chopine marcha à plein : on envoya des émissaires pour protéger le patrimoine national. Une caravane de nobles surexcités et sanguinaires marchaient vers l’est ! Gare à vos auberges et à vos femmes...qui ces dernières, de fait, attendirent l’évènement avec impatience.

Pas de dents...ni cheveux...et des verrues, beaucoup de verrues. Une forêt.

Bercée par le chaotis de la route, Oscar immédiatement fit mine  de dormir. Pas eu le temps de se changer, ni elle, ni lui. Du sang toujours coagulé contre sa lèvre, l’oeil poché pour lui, elle la pommette, le jeune fille faisait mine de jouer l’absente et observait furieusement. Furieuse, tout court. Il avait des cheveux, pour sûr, et bien longs même. Souples et fournis, disciplinés par un noeud de satin encore en place malgré la bataille, des cheveux de lion blessé. Et pas de verrues, non. Non plus de bosse mais des dents saines. Une présence, que ce Lieutenant. D’une force et d’une intensité détestables. Jamais il n’avait tant occupé cet espace réduit.

Lui aussi observait.
Non, vraiment, tout cela n’allait pas du tout.
Girodel aurait volontiers occis quelqu’un, à commencer par le Général sans doute. Connaissait-il les penchants “particuliers” de son fils ? Probablement pas...Et la dureté permanente, et l’intransigeance, en fallait-il du courage pour supporter toutes les brimades qu’imposaient cet ogre de Jarjayes. Pauvre garçon...”allons, reprenez-vous Monsieur mon fils ! “ se souvint le Lieutenant en repensant à son propre géniteur. Il ne l’avait guère beaucoup connu. C'était la phrase qu'il lui répétait en tout cas, quand à quatre ans il se mettait à pleurer. Sévère lui aussi, et absent.
Il l’avait tant et tant de fois regretté d’ailleurs, mais à cet instant, voyant tout le saccage que pouvait causer un père omniprésent, c’était réellement à se demander s’il n’avait pas été béni des dieux malgré ses crises de larmes. Lui-même ayant préféré les hommes, que personne n’en aurait eu souci dans sa famille : sa mère était depuis bien trop longtemps occupée à ses humeurs et dépressions diverses, que pas un de ses cils n’auraient bougé à cette annonce édifiante. Mais il aimait les femmes, oh oui, la question ne se posait pas...Celle qui par contre le taraudait depuis quelques minutes, était ce qui lui avait pris de lancer cette phrase idiote.
 

 

A vouloir être le maître à penser de ce freluquet de malheur, une nouvelle fois dans les ennuis jusqu’au cou !
“Bravo Girodel, très fort ton “vous apprendre ce qu’est une femme”, croustillant ! “

Il contracta le poing, heureux que son comparse se soit endormi. L’imbécile. Parlait-on vraiment du Capitaine de Jarjayes ? Moment idéal pour le fixer sans vergogne en tout cas. Silhouette mince, visage mince...délicat. Imberbe. Pouah...Une peau si fine qu’il avait été presque content de lui envoyer son poing dans la figure, allez savoir pourquoi. De longs cils, également. Vraiment longs. Ils ombraient sa pommette abîmée...tudieu, le petit serpent l’observait ! Des prunes, qu’il dormait...ahah quelle gouape que ce Jarjayes.

L’imbécile, c’était lui bien sûr, d’avoir songé qu’il baisserait la garde si vite. Et puis pourquoi, d’abord, son supérieur avait au contraire toutes raisons supplémentaires de le haïr un peu plus. Avoir détruit le vaisseau mère - ou père - voilà qui n’était pas pour s’attirer les faveurs du fils. Faveurs...

Détournant le regard, le Lieutenant s’absorba dans l’inintérêt du paysage.

Ce petit diable aimait donc les hommes. Attrayant quand on songeait à la carrière que lui imposait son père. Avait-il un amour caché parmi la garnison ? Une petite “folie” portant guêtres et haut-de-chausse le saluant d’un garde-à-vous lascif dès qu’ils étaient seuls ? Cette insanité ne parvint même pas à l’amuser, aucune joie, un vague dégoût tout au plus, mais de lui-même. Ses pensées étaient absurdes.
Vrai qu’il était délicat, tout de même, ce curieux Capitaine ; il se souvint : la bagarre tout à l’heure.
Cette lutte à mort pour tout dire, sans se rendre compte de la disproportion car après coup cela tenait du grotesque. Mais lui, Girodel, l’avait tenu contre ce mur, à sa merci d’étrangleur, il ne pouvait se cacher en avoir éprouvé d’intenses satisfactions. Et cela aurait été si simple de partir, vraiment partir, au lieu de son “vous apprendre ce qu’est une femme”. Sot qu’il était ! Pourquoi rester, c’était à y perdre son latin. Pour qui, peut-être ? Cette douce écervelée de couturière était sympathique, un peu trop exubérante et parfumée pour lui plaire, mais attachante. Le compagnon d’armes du Capitaine semblait d’ailleurs penser la même chose. André Grandier, en voilà un qui était on ne peut plus fréquentable. Franc, généreux, il l’appréciait beaucoup.

Au fond, c’était peut-être pour lui qu’il restait...

Prenant soudaine conscience de l’ambiguité de la formule, Girodel eut un mouvement involontaire : il observa son supérieur, une réflexion absolument éblouissante venant fracasser sa conscience. Et si... Bon sang !

Mais bien sûr ! D’une limpidité !

Les cris perpétuels, l’agressivité...tout était là, sous son nez depuis le début et il n’avait rien compris : le Capitaine était en fait secrètement attiré par son ami d’enfance ! C’était tellement évident. André était très séduisant et dans la pleine possession de ses forces d’hommes quoi qu’un peu gauche et assurément trop gentil. Mais certaines femmes trouvaient cela terriblement attirant, nul doute que cela fut vrai pour un homme...

- Evidemment ! ne put-il s’empêcher de clamer en se redressant comme une marionnette de sa boite. Et la haine, à son endroit, tout concordait : il était le parasite tout choisi pour perturber l’idylle que caressait certainement d’amorcer Oscar de Jarjayes durant ce voyage. Quelle occasion plus propice pour un rapprochement “inopiné” que cette aventure en terre étrangère ? Son père l’imposant dans ce périple, lui, Girodel, comment ne pas le voir constamment comme l’ennemi contrariant les honteux battements de coeur pour son trop beau serviteur...quelle fameuse découverte ! 
 

 

Il aurait volontiers continué cette aimable marmelade intellectuelle, mais Oscar enfin sortie de sa fausse somnolence s’était dressée à son tour, agressive comme de coutume.

- Evidemment quoi ! Enfin, vous y êtes ? Vous prenez conscience de votre bêtise ?

Ignorant l’acidité, il bondit et s’assit à côté de la jeune fille à son plus grand effroi, témoin le recul immédiat dans l’encoignure de la chaotique voiture.

- C’est d’une telle vérité ! triomphait Girodel, contemplant avidement le fin visage comme pour y lire une confirmation. Je comprends tout ! Pourquoi ne pas me l’avoir dit ?
- Pardon ? Vous devenez fou à présent ? Vous avez l’air hors de vous-même à tenir des propos décousus. De quoi parlez-vous, morbleu !
- Mais de vous, de vous bien sûr ! Et de votre ami André.
- Plaît-il ?
- Incroyable comme toute cette mosaïque s’éclaire enfin ! André dont vous ne pouvez supporter qu’il parle à quiconque sans vous emporter, que vous ne cessez de surveiller !
- QUOI ?!
- Vous voyez ? Votre rougeur vous trahi ! Bon sang mais quel sombre idiot je suis de ne pas l’avoir vu avant...
- Sombre idiot, certes ! Que voilà de belles résolutions sur votre état de santé, Girodel. Je salue votre lucidité. Et je ne vois pas en quoi je rougis, je vous prie ! Que...que vient faire André, d’abord, je ne...
- Et vous bégayez, autre signe !
- Mais ventrecul, vous m’agacez avec vos signes ! cria Oscar excédée et vaguement mal à l’aise, tâchant de se reculer un peu plus face à l’exaltation du jeune homme. Allez-vous me dire le sens de tout ceci ou je vous jure que je recommence à vous...
- Vous êtes secrètement amoureux d’André, n’est-ce pas ?

Cette fois aucun son ne sortit de sa bouche ouverte face la bombe qu’on lui lançait en plein visage.
Aucune préparation possible au cataclysme renversant ses repères, juste une incommensurable colère, là, au creux de son ventre. Elle allait réellement tout casser. Il ne resterait que l’essieu et les roues de cette berline, et les chevaux traînant le cadavre de ce fou.

- Répétez un peu ça...gronda t-elle après quelques secondes d’absolue stupéfaction.
- Amoureux, et complètement aveugle ! obéit Girodel sans se rendre compte le moins du monde que c’était tout sauf une invitation à poursuivre. Et vous ne le savez pas encore, histoire connue depuis la nuit des temps ! Vous n’en avez aucune conscience, vous souffrez, en silence...oui, oui bien sûr, vos sautes d’humeur s’expliquent si aisément, et votre caractère épouvantable, travaillé par vos hormones quand vous le regardez...
- GIRODEL ! JE VAIS VOUS TUER !

Sans sommation Oscar lança son poing d’une telle rage que la voiture vacilla un peu, atteignit son Lieutenant à l’épaule au lieu de la mâchoire par la vertu des ornières de la route. Elle se souleva et arma l’autre main, peine perdue : enfin sorti de son extase de fin limier et guère coopératif à se laisser défoncer le portrait, Girodel parvint à lui saisir un poignet, puis l’autre, de par cette savante sauvagerie masculine qu’elle ne possèderait jamais. Elle cria de rage contrainte de se rasseoir, se débattit comme une diablesse, voulut mordre même - réflexe ô combien pathétique - mais rien à faire, il l’abattit de nouveau contre le siège, essayant cette fois d’utiliser son corps pour l’immobiliser.

- Sale fumier ! Cul de chien ! hurla Oscar devant se soumettre une fois de plus à la puissance détestable, à demi allongée. Je vous jure qu...

Une poigne terrible la saisit à la nuque et souffla toute injure possible : une bouche venait de se plaquer contre la sienne en une prise on ne peut plus virile et musclée. A peine quelques secondes sur sa bouche farouchement close, que déjà elle tentait une autre manoeuvre pour se dégager, les poignets vrillés contre le cuir, s’agitant, désespérément...puis de plus en plus...mollement.
Elle ? molle ?

- Est-ce donc la seule façon de vous faire taire ?  jeta le jeune homme, essoufflé, incertain, le regard étrange.
Il aurait dû se dégager. Logique. Au lieu de cela il la regarda de manière très brève, pour tout aussitôt reprendre sa bouche, direct, en y mettant sans ambages bien moins de...brutalité.

Confondue, Oscar sentit une main se desserrer et la sienne, la sienne propre, vint s’accrocher à son Lieutenant tout contre cette épaule qu’un instant plus tôt elle frappait. Folle ! Folle et molle, voilà ce qu’elle devenait...par tous les Saints du ciel ! Le ventre renversé d’incertitudes et d’angoisses floues, elle goûta une saveur inconnue, mais fugace : sitôt leurs langues effleurées il se dressa, presque épouvanté. Elle le comprenait. C’était horrible. Du...au sens stricte et objectif du terme. Parce que, subjectivement parlant, là, c’était...

- Je...je ne sais absolument pas ce qui m’a pris ! balbutia Girodel en s’écartant un peu. Cette... vous...cela n’aurait pas dû se produire...
- Il faut...il faut oui...répliqua tout aussi glorieusement Oscar en n’osant rien regarder.
- N’allez pas imaginer...penser...que je...poursuivit-il piteusement...et sans la moindre transition la reprit contre lui, comme aimanté par sa bouche, l’embrassant encore plus passionnément.
 

 

De Dieu, si elle pouvait penser ! Elle fut tout juste capable de s’accrocher à lui, et de répondre à ce baiser comme elle pouvait. Moment volage de...singulières sensations, il s’écartait encore à la profonde confusion de la jeune fille : déjà ? Bon sang !

Là il se dégagea complètement, vint s’encoigner à l’autre bout comme si la terre entière n’y suffirait pas et sa main passa sur son visage pour se laver de l’évènement.

- Nom de Dieu ! et il envoya un poing contre le cuir du siège. Vous aviez raison, je suis complètement fou ! Bon à finir sur un bûcher. Je ne peux même pas vous donner d’explication rationnelle à...à ce qui vient de se passer !
Il jura encore.
- Girodel, il...hasarda Oscar, la bouche délicieusement douloureuse.
- Et mes grandes phrases, et toutes ces théories fumeuses, et juste après ce...Il faut vraiment que je parte de ce cauchemar !
- Girodel...
- Et avec vous, en plus ! J’ai fait ça avec...vous, un...
- Girodel !
- ...alors que jamais, sur la tête de mon auguste foutu paternel, jamais je n’ai eu le moindre désir pour un de mes semblables ! Un homme, moi ! Faire...ça à un homme ! Un...
- GIRODEL ! Allez-vous m’écouter une minute ? Je ne suis PAS un homme, bordel de Dieu ! Etes-vous réellement aveugle ?

Second coup de tonnerre. Ce carrosse tout terrain devenait le théâtre de microclimats dévastateurs.

- Je vous demande pardon...?

Elle ne fut pas moins consternée que lui. Cela était sortie de manière si naturelle qu’elle se rendit compte après coup que c’était bien la seule fois de sa vie qu’elle prononçait ces mots-là.
Et pourquoi ? Plus une once de goguenardise dans les yeux clairs, ni de méfiance, ni...pas sûr que ce nouvel éclat soit meilleur, pourtant ! Autant boire la coupe de la honte jusqu’à la lie. Elle se sentait totalement ivre, justement.

- Pas la peine non plus de me regarder comme si j’étais lépreuse ! bredouilla t-elle, hargneuse, sans en avoir aucunement les moyens. J’imaginais pourtant que vous vous en doutiez...
- Vous êtes une...femme ?! Et comment...comment aurais-je pu le savoir !
- Mais...du diable si je sais ! A la caserne, lors de notre duel, lorsque vous preniez vos ordres à mon office...
- Ah parce que c’est sensé être marqué sur votre uniforme ? Il laissa couler son regard sur le plastron de sa chemise dont le jabot, de travers, ne révélait rien du tout.
- Je...ne soyez pas vulgaire, Girodel ! s’embrouilla Oscar.
- Une femme...alors ça c’est vraiment la meilleure diablerie que j’aie jamais ent....Mais attendez, et cette mission ! Vous, séduire la Tsarine, une femme, et vous une femme, et...et votre père ?
- Pardon ?
- Votre père, il est au courant de votre véritable sexe ?
- Lieutenant ! Vous êtes un imbécile ou vous vous forcez pour l’occasion ?
- Et André ! Lui aussi il croit que...vous êtes comme lui ? ajouta le jeune homme sans écouter.
- Mais non enfin ! Il le sait...il...
- En somme, tout le monde est au courant.
- Mais pas du tout ! Et arrêtez de me regarder de cette manière !
- Moi ? Je vous regarde d’une manière...une femme, bon sang de Dieu !
- Et cessez de crier à tous vents, ce n’est pas non plus une raison pour....
- Alors, si vous êtes une femme, tout ce que je viens de ressentir est on ne peut plus normal !
- ...ce que...quoi ?
- Vous n’avez rien ressenti, vous ? Cette pulsion...
- ...queuh, moi ? Quoi ?

Rouge comme une pivoine, Oscar perdit le peu de moyens encore à sa disposition, d’autant qu’un sourire absolument solaire s’épanouissait sur le viril visage.
Et qu’il s’approchait encore.

- Mais bon sang c’est insensé, Oscar ! éclata t-il de rire.
- Qu...qui vous permet de m’appeler ainsi ?
- Un instant j’ai cru...et pas du tout ! Fantastique, tout simplement incroyable ! Car vous aussi vous y avez pris - plaisir, je l’ai aussitôt perçu, la nature est donc merveilleusement faite !
- Quoi, de quoi la nature ! Plaisir à quoi ! s’étrangla Oscar.

Il se calma, toujours un peu haletant, épaississant d’un coup l’atmosphère.
Sa candeur la protégeait, puisque jamais auparavant elle n’avait été si...proche d’aucun homme existant, impossible pourtant d’ignorer le trouble qui les enveloppait. Il pencha la tête de côté, mobilisant l’acuité de ses yeux gris. Terrible. Affreux. Elle allait se consumer sur place.

- Ne me dites pas que c’était votre premier baiser...
Sa voix, épouvantablement douce, le bouquet ! La sienne ne pouvait être que lamentable.
- Bien sûr...que non ! mentit-elle. Cessez cette conversation Girodel, c’est...c’est un ordre, c’est...agonisa t-elle quand il s’approcha un peu plus.
- Et j’ai fait ça comme un sauvage, quel rustre je suis...murmura t-il. Evidemment, c’était votre premier baiser, vous ne pouviez y prendre aucun plaisir...
- Je...a...arrêtez ça, Girodel, arrêtez ou bien...ou...

Tel le serpent hypnotisé par la flûte de son charmeur, elle observa la main masculine venir se poser contre son cou et doucement, oh cette fois si doucement, l’attirer à nouveau.

- Recevez toutes mes excuses...et sa bouche reprit sa place, se fondit littéralement contre la sienne.
Plus aucune contrainte, aucune pression, elle eut l’impression qu’il l’emportait hors d’elle-même. Elle tombait. L’épaule, encore, fut le refuge propice où s’accrocher, tout comme le torse, quelque part, pressé contre elle, partout...
Non !

Exsangue, elle réussit à l’éloigner - au bout de combien de temps ? - de ses deux mains, vraiment très molle.

- C’est...c’est ignoble...articula t-elle d’un voix languide, en haussant son regard jusqu’à lui.
- Je suis absolument d’accord...
Langueur pour langueur, elle ne résista pas, à sa très grande honte. Et cette fois ce fut elle, Oscar de Jarjayes, pleine et entière qui lui prit le cou pour quérir le plaisir doux et sauvage renversant les entrailles...qu’elle rejeta tout aussi vite.

- C’est...
- Je sais, oui, c’est mal, compléta Girodel précipitamment en se laissant tomber contre le dossier de la banquette, à ses côtés, après ce baiser.
- Vo...voilà. C’est très mal, acquiesça la jeune fille se redressant, totalement perdue.
- D’autant que vous me haïssez...
- Tout...à fait. Indéniablement.
- Et il ne faut pas que cela se reproduise...
- Jamais, opina t-elle pour elle-même.
- Et puis vous êtes amoureux d’André...enfin...amoureuse...
- ...hein...je...je suis...je ne sais pas ce que je suis...oui...vous dites ?
- Il ne s’est donc rien passé...
- C’est...ça. Rien...du tout...

Leurs deux souffles, c’était encore trop. Il se reprit le premier, sans autre regard il ouvrit la portière à demi, héla le cocher qui s’arrêta pour lui permettre de poursuivre la route à ses côtés.
La jeune fille salua mentalement la délicatesse du geste.
Ou, plus honnêtement, sitôt seule se laissa complètement choir sur la banquette les deux mains sur le visage. Foutrecul ! Un Capitaine de la Garde complètement molle, soumise à...comment dénouer le mot ? Aussi inextricable que la pelote de nerfs s’agitant au fond de son ventre. La nature, ah, elle devait bien rire...

“ Ridicule ma pauvre Oscar, tu es un monstre vivant ! Il va falloir te reprendre, et vite. Tu vas devoir être impitoyable. Une machine de guerre. Une...Ooooh...bordel de Dieu mais pourquoi personne ne m’avait jamais dit à quel point c’est bon ! Et je hais cet homme ! Et...il va falloir que je trouve une solution très vite...faire cesser cela...”


Molle menteuse, très chère Oscar ! Elle n’avait qu’une envie, une seule : encore. Encore ! Elle !

 

 

 

9.

 

 

 

 

 

 

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