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Chapitre 4.

Le Masque

 

 

Elle n’en dormait plus. Presque deux semaines et pas le moindre indice, pas le plus petit élément de réponse, pas même le début d’un commencement d’un embryon de piste.
Rien !
Une église clocheta au loin et Oscar compta machinalement…

Deux heures du matin et elle n’arrivait toujours pas à trouver le sommeil. Elle ne s’était pas couchée en fait, allait et venait dans sa chambre d’une démarche agitée désormais familière ; tout juste si elle avait retiré sa veste d’officier.
Toujours cette même, cette lancinante question : comment un homme, seul, pouvait défier un tel déploiement de force ? Depuis deux semaines Versailles était mieux gardée qu’une forteresse turque et rien, encore et toujours !

Ce Masque Noir se riait d’eux, continuait impunément ses forfaits, redoublait d’audace, même .

Oscar enrageait.
Cet échec, c’était le sien. Aiguillonnée par son orgueil et son honneur, la jeune femme ne supportait cet état de frustration, d’inutilité. En vérité, depuis deux semaines l’affaire d’Etat était devenue affaire personnelle.

Elle en était là de ses agacements quand une soudaine impulsion la jeta dans le couloir. Elle avait soif, et de quelque chose d’un peu moins lénifiant que les excellents mais sempiternels chocolats chauds de Grand-Mère. A défaut de la faire dormir, l’alcool donnerait au moins quelques couleurs à ses insomnies…
Elle dévala l’immense escalier de marbre, allait s’engager dans les couloirs. Et se fixa.
Un bruit . Très faible. Vers le bureau de son père où se trouvaient les alcools justement, mais aussi…le coffre. Se pourrait-il…?

 

Remontant à pas de loup elle se précipita vers la chambre d’André, à l’autre bout du couloir.

- André, réveille-toi immédiatement ! Il y a quelqu’un en bas. Viens vite ! chuchota t-elle. Elle recommença, n’obtenant aucune réponse.

- André ! Mais vas-tu répondre, bon sang !!

En vain. Elle n’allait pas crier , quand même! En désespoir de cause elle fit jouer le loquet. Fermé.
Ça, c’était sa nouvelle lubie.
Il s’enfermait maintenant, prétendant que " Ce n’est pas parce que je suis le larbin ici, qu’il faut que tout le monde se croit obligé de rentrer dans ma chambre comme dans un moulin."

Charmant …

Oscar leva les yeux au ciel : de toute façon, elle n’avait pas besoin de lui ! Regagnant sa propre chambre, elle fonça vers le secrétaire, en sortit une boite. Les deux pistolets reposaient sagement dans leur écrin de velours rouge, cadeau de son père pour ses quatorze ans. Ils étaient réellement magnifique avec leurs crosses aux incrustations d’argent et de nacre, ornées de ses initiales ; et soupesant le froid métal la jeune femme se sentit réconfortée. Voilà bien le seul compagnon qui ne la trahirait jamais !
Pistolet au poing, elle redescendit rapidement, se faufila telle une ombre dans les couloirs.

Il était là.
S’affairant bel et bien vers le coffre, silhouette noire comme l’enfer révélée par la lueur cotonneuse de la lune inondant la pièce. Et pour cause, les volets de droite étaient largement ouverts, la porte-fenêtre fracturée. Choisir le domicile de l’officier ayant juré sa perte ! Quelle impudence ! Un lent sourire se dessina sur les lèvres d’Oscar : qu’elle stupidité surtout...Le bandit venait de commettre sa première erreur.
Elle s’avança et le mis en joue, froide et calme.

- Puis-je vous aider Monsieur ? Ou devrais-je dire…le Masque Noir !

La silhouette se redressa, se retourna sans hâte.


- M’aider ? Assurément. Voudriez-vous m’ouvrir ce coffre je vous prie ? sourit-il, désinvolte en levant ses mains gantées, pas impressionné pour deux sous de se voir pris au piège.
Il était grand, et jeune semblait-il, dégageait surtout une impression de puissance maîtrisée, prête à bondir, dangereuse très certainement. Pas le genre d’adversaire à sous-estimer. Noir des pieds à la tête, des hautes bottes de cavalier jusqu’au morceau d’étoffe qui voilait la quasi-totalité de son visage, laissant tout juste filtrer un regard clair à la couleur indéfinissable. Un regard étonnement serein et amusé, insolent plutôt, qui la jaugea tandis qu’elle approchait.

- Ainsi voici donc le célèbre Colonel de Jarjayes, reprit-il. Je suis positivement enchanté de faire votre connaissance, croyez-le. Bien que je déplore quelque peu les circonstances de cet impérissable évènement, vous vous en doutez.

Il se moquait. Elle n’en laissa rien paraître mais la jeune femme se sentit un peu désarçonnée par une telle légèreté de ton et ces manières sarcastiques.
Elle avait beau tenir une arme, étrangement elle ne se sentait pas en position de force. Car malgré sa désinvolture, tout semblait à l’affût chez cet homme, dissimulée, à l’image de sa voix grave et assourdie, dotée d’un vague accent italien. Une voix évidemment contrefaite, pensa Oscar.
Appartenait-il à la noblesse ? Sa diction très soignée témoignait d’une instruction supérieure, en aucun cas le profil d’un vulgaire bandit de grand chemin. Et puis malgré la pénombre relative, il fallait bien admettre qu’il avait beaucoup de prestance, une assurance propre au gens habitués à ce qu’on leur obéisse. Il fallait donc user de la même arme que lui : l’intimidation.

- Vous connaissez mon nom, Monsieur ! Et bien à votre tour de me donner le vôtre. Qui êtes-vous ! Répondez, je ne le répèterai pas !
Au lieu d’obtempérer, il émit un petit rire insolent et secoua la tête.

- Oh Colonel, Colonel ! Vous me décevez… supprimer dès à présent tout le piquant de cette rencontre en vous révélant mon identité ? Quelle platitude ! Allons , ne suis-je pas votre prisonnier ? La chose est donc entendue : vous avez gagné, j’ai perdu. Soit ! Dans ces conditions, gardons encore un peu de mystère voulez-vous ? Et causons, comme entre gens du même monde…

Bon sang, cette crapule mène le jeu !, fulmina Oscar.
- Monsieur, je ne… voulut-elle protester, mais il poursuivait sans vergogne.
- Tenez, ne pourrais-je pas commencer par baisser les bras ? Outre le piquant de la scène, je crains que nous ne sombrions très vite dans le ridicule : voyez, je ne suis même par armé…

Il avait raison sur ce dernier point, mais elle n’eut pas le temps de dire un mot qu’il se dirigeait déjà vers les flacons d’alcool, posés non loin.

- Mais qu’est-ce que vous faites !

Suffoquée, elle le vit tranquillement se servir un verre et s’installer dans le fauteuil préféré de son père, croisant nonchalamment les jambes sur la table basse lui faisant face.

- Ne vais-je pas être embastillé, très bientôt ? Vous n’aurez tout de même pas le cœur de me refuser ce dernier verre, Colonel ! Le verre du condamné…sourit-il en lui adressant un toast muet.

Il ne demandait pas, il commandait. Oscar sentait bien que la situation lui échappait mais elle ne savait fichtrement plus comment s’y prendre.
Elle avança, furieuse.
- Monsieur, je vous déconseille de le prendre sur ce ton !! Maintenant il suffit, cette comédie n’a que trop durée ! Levez-vous !!!
- Mmm… ou sinon vous me tuez, j’imagine, dit-il plaisamment en sirotant son verre, sans pourtant faire mine d’obéir.
Oscar avança encore.
- Je ne plaisante pas ! Levez-vous !!!

Tout alla si vite qu’Oscar n’eut même pas le temps de réagir.
Passant à l’action avec une rapidité foudroyante, le bandit lança brusquement son verre dans sa direction et s’éjecta du fauteuil.
Elle voulut éviter le projectile par réflexe, détourna son arme une fraction de seconde… et se retrouva l’instant d’après étroitement ceinturée entre deux bras férocement musclés, les mains liées dans le dos par une poigne terrible. Elle se démena aussitôt sauvagement contre lui, mais l’étreinte était redoutable, confirmant la puissance qu’elle soupçonnait.

Bougre de foutre !! Elle s’était faite avoir comme une bleusaille, se laissant endormir par sa désinvolture et sa feinte nonchalance ! Furieuse contre elle-même, Oscar redoublait d’efforts désespérés, quand brusquement elle se rendit compte de ce qu’elle était en train de faire. A se démener ainsi, frottant sa poitrine contre celle de son assaillant, ce dernier ne devait plus avoir le moindre doute sur sa véritable nature. Même avec l’étroit bandage enserrant ses formes.
Sa manœuvre venait tout simplement de révéler son terrible secret.

Affolée, elle cessa immédiatement tout mouvement, s’écarta de lui comme elle put, pour redécouvrir le sourire ironique. Un sourire aux dents très blanches, infiniment dangereux, un sourire de prédateur…

- Depuis tout à l’heure je m’en doutais…dit-il doucement, comme pour lui-même. Ainsi le Colonel de Jarjayes est une femme…une très jolie jeune femme qui plus est ! et son sourire s’accentua tandis qu’il la dévisageait intensément.
- Lâchez-moi ou j’appelle, dit-elle froidement en une tentative qu’elle savait inutile, contrôlant sa voix pour ne pas laisser transparaître sa panique.
- Mais faites donc je vous en prie ! rit-il brièvement. Cependant, je doute que la vieille dame à moitié sourde et l’espèce de fillette se faisant passer pour un homme vivant ici constituent une grande menace pour moi…

Alors Oscar eut vraiment peur. Il avait raison. A part Grand-Mère dormant dans la partie la plus éloignée de la bâtisse et André jouant les souches à l’étage, elle était seule. Son père était partie la veille et ce monstre le savait, voilà pourquoi il n’avait pu résister à l’envie de venir ridiculiser le nom des Jarjayes par un cambriolage retentissant.
Ridiculiser…et souiller, elle en fut épouvantablement certaine à cette seconde.
Et précisément parce que tout semblait perdu elle se redressa, portée par son instinct viscérale de se battre, encore et toujours. Son cœur cognant à se rompre, elle foudroya du regard son adversaire.

- Et maintenant ? Qu’est-ce que vous allez faire ? M’embrasser de force, me violer peut-être ! Et bien allez-y !! Puisque c’est comme cela que des canailles de votre espèce agissent avec les femmes, n’est-ce pas ? Allez-y, prenez votre plaisir immonde Monsieur, mais n’espérez de moi ni larmes ni suppliques !! Je vais même vous donner un conseil : lorsque vous en aurez fini, tuez-moi !! Car sans cela je jure sur mon honneur que je vous retrouverai où que vous soyez, qui que vous soyez, et que je vous ferai payer ce forfait en vous arrachant la partie de votre anatomie qui semble aujourd’hui vous causer tant de satisfactions !  (ndla ses couilles, quoi).

Elle se raidit, fière, indomptable, prête à subir l’infâme assaut…et rien ne vint.
Sans bouger mais sans desserrer non plus son étreinte , il la regarda dans la calme tranquillité de son regard clair, hocha la tête lentement.

- Belle…et courageuse, approuva t-il. Décidément, vous êtes à la hauteur de votre réputation Colonel ! Plus encore, à présent que je connais votre délicieux secret. Mmm…beauté et courage conjugués si parfaitement, la chose est rare ma foi… Vertus estimables en tous cas, même pour des canailles de mon espèce comme vous dites ! Laissez-moi toutefois vous préciser une chose…

Il la lâcha brutalement, gardant un poignet captif qu’il ramena à lui.
- ...sachez que je ne viole pas. Moi...je séduis ! Et dans un geste totalement imprévisible il lui ouvrit la main pour déposer la caresse de ses lèvres contre sa paume, sans la quitter des yeux. Puis sur un salut et un petit rire moqueur, il bondit tel l’éclair vers la fenêtre.

De longues, très longues minutes la jeune femme resta plantée au milieu de la pièce vide, regardant sa main ouverte comme si ce bandit y avait laissé quelque marque, un indice lui permettant de comprendre ce qui venait de se passer.
Et se calmant peu à peu, repensant à chaque détail, chaque élément de cette hallucinante rencontre, une idée…bizarre germa dans son esprit.

Cet homme, tout de noir vêtu avait quand même une carrure étrangement familière ; sa voix aussi, qui avec beaucoup, beaucoup d’imagination pouvait évoquer… Oh non… La comédie qu’André lui jouait depuis des semaines, le fait qu’il n’ait pas répondu, tout à l’heure. Comme par hasard. Bien sûr, elle avait vaguement noté que les cheveux du bandit étaient plutôt courts contrairement à l’exubérante queue de cheval qu’arborait son ami. Mis à part ce détail, un tel faisceau de coïncidences… Et Oscar n’avait jamais cru aux coïncidences !!

Elle se rua telle une furie à l’étage et cette fois tambourina comme une possédée.
- Bon sang André, ouvre tout de suite ou j’enfonce la porte !!  cria t-elle, redoublant ses attaques par une série de coups de pieds qui faillirent atteindre un tibia.
André ouvrait enfin.

- Foutre de foutre, mais qu’est-ce que tu croyais ! Que je ne comprendrais pas que…

La suite resta coincée au fond de sa gorge. Car ce ne fut pas la noire silhouette qui s’encadra comme elle l’avait confusément supposée, mais au contraire une liquette blanche à manches de mousseline bouffantes . Certes oui elle vit un masque, mais de satin blanc, et remonté sur son front. Et sur la tête le plus vaste, le plus affreux, le plus ridicule des bonnets de nuit achevé par une pampille glandouillant-pandouillant plus bas que la taille. Le tout le faisant ressembler à… un nain. Un nain géant.

- Oscar, tu as vu l’heure ?  bailla André à s’en décrocher les mâchoires tout en retirant le deuxième petit bouchon de cire obstruant ses oreilles. Qu’est-ce qui se passe encore, c’est quoi tout ce tapage ! Tu ne te sens pas bien, c’est ça ? Tu veux un chocolat chaud ? C’est quand même pas une heure pour…Bon et alors, tu vas où maintenant !!

Il leva les yeux au ciel et soupira de lassitude. « Je me demande ce qu’elle a en ce moment… » et entendant la porte claquer il s’adressa au couloir, mécontent.
- Merci Oscar, vraiment ! C’est malin de m’avoir réveillé pour rien : je vais avoir les yeux tout bouffis, moi, demain !!!

 

4.

 

 

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